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L’impact du traumatisme de la Shoah chez les enfants dépend de nombreux facteurs étroitement intriqués : l’histoire familial, le pays de résidence, le milieu dans lequel a vécu le Survivant avant et après la Guerre, l'adaptation post-traumatique et la stratégie d’adaptation réparatrice adoptée par l’enfant de survivant consciemment ou inconsciemment pour compenser le vécu traumatique de ses parents.
Sous l’égide du professeur Yaël Danieli, un Groupe de Recherche de l'AMIF sur les Enfants des Survivants de la Shoah (GRAESS), coordonnée par Muriel Vaislic endocrinologue et par Patrick Bantman psychiatre en étroite collaboration avec Rachel Rimmer de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et la commission du souvenir du Crif, a vu le jour, afin de mieux comprendre les conséquences du vécu traumatique de la Shoah chez les enfants de survivants de la Shoah en France.
Dans ce but, nous avons mis en place une grande étude et nous sollicitons un peu de temps à tous les enfants de Survivants pour répondre à ce questionnaire, strictement anonyme (Etude du Groupe De Recherche De l'AMIF sur les Enfants des Survivants de la Shoah [GRAESS] - AMIF - Association des Médecins Israélites de France). Les résultats de cette étude sont d’autant plus importants qu’ils nous permettront d’améliorer les connaissances sur la transmission transgénérationnelle du traumatisme de la Shoah chez tous les enfants de ces survivants qui ressentent "les cicatrices sans les blessures".
Vous êtes nés après 1945 ? Votre mère et/ou votre père ont subi des persécutions et/ou des restrictions de liberté liées aux législations antisémites durant la guerre 39-45 ? Ils vivaient en France, en Afrique du Nord, dans un pays occupé par les Nazis ou dans un pays dirigé par un régime ayant collaboré avec les Nazis ? Nous vous invitons à participer à cette étude strictement anonyme.
Pour répondre au Questionnaire, cliquez ici
Les descendants de deuxième ou troisième génération (c'est-à-dire les enfants et les petits-enfants) des Survivants de la Shoah ont fait l’objet de nombreuses études cliniques observationnelles et descriptives au cours des deux dernières décennies qui ont permis d’approfondir les connaissances sur l’étiopathogénie de la transmission transgénérationnelle des « traumatismes de masse ».
Très récemment, il a été incriminé le rôle de l’épigénétique dans la transmission transgénérationnelle du traumatisme. Quel a été le point de départ de cette hypothèse ?
Dr Bruno Halioua : L’équipe du professeur Rachel Yehuda de l’école de médecine du Mont Sinaï à New York s’intéresse depuis plusieurs années aux enfants des survivants de la Shoah. Cette équipe a établi qu’il existait un risque plus important de troubles psychologiques lorsque l’un des parent Survivant de la Shoah présentait un état de Stress Post traumatique consécutif à l’expérience traumatisante de la Shoah. Mais surtout leurs travaux ont montré que les troubles psychologique des enfants des Survivants différaient selon le sexe du parent souffrant de traumatisme. Ainsi, ceux dont la mère souffrait d’un état de Stress Post traumatique (ESPT) avaient un risque accru d’ESPT, tandis que lorsque le père est en souffrance les risques de dépression chez les enfants étaient considérablement augmentés.
Comment a-t-on mis en évidence que le traumatisme de la Shoah pouvaient s’inscrire dans les gènes ?
Dr Bruno Halioua : Rachel Yehuda a voulu approfondir les connaissances à propos de cette transmission du traumatisme de la Shoah en s’intéressant à l’ADN des survivants de la Shoah et de leurs descendants. Elle s’est intéressée aux empreintes biochimiques (en particulier aux groupements méthyles) apposées sur l’ADN des gènes impliqués dans la régulation du cortisol qui joue un rôle majeur dans la gestion du stress. Elle a montré que les enfants de survivants dont seul le père souffrait d’ESPT avaient une méthylation accrue du promoteur du gène du récepteur des glucocorticoïdes GR-1F. tandis que ceux dont les mères et les pères souffraient d’ESPT présentaient une méthylation plus faible du promoteur GR-1F. Elle a également mis en évidence une méthylation du gène FK506 impliqué également dans la réponse au stress à la fois chez les survivants de la Shoah et chez leurs enfants. Ainsi les travaux de Rachel Yehuda ont permis d’envisager le rôle d’altérations épigénétiques chez les Survivants de la Shoah avec pour conséquence une modification de l'expression de plusieurs gènes impliqués dans la régulation du cortisol qui jouent un rôle dans le stress transmissible aux prochaines générations. Le vécu traumatique de la Shoah entraînerait une vulnérabilité accrue au stress qui pourrait être expliqué entre autres par une empreinte biochimique apposée sur l’ADN qui a la caractéristique d’être transmise sur plusieurs générations sur le plan épigénétique sans produire de changements dans la séquence d'ADN.
Les études sur la transmission épigénétique des traumatismes sont-elles limitées aux enfants des Survivants de la Shoah ?
Dr Bruno Halioua : Non, cette transmission épigénétique des traumatismes n’a pas été rapportée uniquement chez les descendants des survivants de la Shoah. Elle a également été mis en évidence chez les adolescents de mère ayant été victime de violence conjugale avant la naissance, chez les enfants de femmes exposés à des stress prénataux sévères dans des zones de guerre en république démocratique du Congo et chez des enfants de veuve Tutsis exposés au génocide Rwandais au deuxième et troisième trimestre de grossesse. Un point reste positif. Les empreintes épigénétiques sont réversibles comme l’a mis en évidence une étude sur des vétérans souffrant d’un ESPT après une psychothérapie. Attendons nous à approfondir encore plus nos connaissances dans les prochaines années sur les enfants des survivants de la Shoah qui ont acquis les « cicatrices sans les blessures »….