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Le Crif - Yohan Benizri, vous êtes le Président du Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique (CCOJB). Votre mandat prendra fin dans quelques semaines. Quel bilan dressez-vous de votre présidence du CCOJB ?
Yohan Benizri - Je rappelle volontiers, particulièrement à l'aube de Rosh Hachana, que si le peuple juif est plurimillénaire, c'est grâce à sa faculté à se projeter dans l'avenir, et non à faire les comptes du passé. Il appartient à d'autres de tirer le bilan de cette présidence.
Ce que je peux vous dire, c'est que je suis fier de l'unité du CCOJB et de son action interne et externe. En interne, c'est surtout le développement d'outils visant à la pérennité de la vie juive en Belgique, tant à travers le développement d'un programme de formation de jeunes leaders que d'un programme d'aide et de remédiation qui met au service d'associations une aide professionnelle, à la manière d'un cabinet de consulting. Vis-à-vis du monde extérieur, il s'agit de nos réalisations politiques et médiatiques autour de sujets brûlants de l'actualité, mais également d'un travail de fond sur notre communication et les outils dont nous disposons. Il reste pourtant beaucoup à faire.
La communauté juive de Belgique se bat depuis des années contre l’interdiction de l’abattage rituel (shechita) promulguée en 2019 en Flandres et en Wallonie, une interdiction appuyée par une législation européenne. En juin dernier, le parlement de la région de Bruxelles a voté contre cette interdiction, une victoire pour les minorités concernées par l’abattage rituel. Vous parlez de « déni de démocratie » pour qualifier les interdictions de la shechita. Expliquez-vous.
J'ai longuement développé ce sujet, mais il peut être aisément résumé : l'opposition du bien-être animal d'un côté et de la religion de l'autre n'est pas seulement fausse, elle a désorienté le débat. Il ne s'agit, ni en Belgique, ni ailleurs, d'introduire le principe de l'étourdissement préalable. Ce principe est posé depuis au moins 50 ans. En réalité, la question est très simple: il existe depuis plus de 50 ans une exception très limitée au profit des minorités religieuses, leur permettant de produire de la viande casher ou hallal sous surveillance et dans des abattoirs agréés. Ce dont on parle ces dernières années, c'est uniquement de supprimer cette exception. Et donc d'écraser la minorité sans nouveaux arguments, ni philosophiques ni scientifiques.
Tout ce que nous demandons, c'est de ne pas remettre en question l’équilibre qui a été trouvé depuis des décennies entre les préoccupations légitimes en matière de protection du bien-être animal et le principe de justice, entériné dans nos constitutions, qui protège les minorités de la tyrannie de la majorité.
Au-delà de cette problématique majeure pour les Juifs de Belgique, quelle est l’actualité de la communauté juive belge ? Quel état de l’antisémitisme faites-vous aujourd’hui ?
Je crois que l'actualité de la communauté juive belge dépasse de beaucoup la question de l'antisémitisme. Nous avons à construire et à inventer, plus que nous n'avons à nous défendre, et la jeunesse juive belge me remplit d'espoir.
Cela étant dit, nous avons souffert de graves incidents ces dernières années, y compris des agressions physiques à Anvers, des cris à la guerre contre les juifs en marge de manifestations à Bruxelles, et le tristement célèbre Carnaval d'Alors.
Par ailleurs, il ne fait aucun doute que les crises que nous vivons attisent l'antisémitisme, ou, à tout le moins, normalisent des stéréotypes tout à fait abjects. Je suis également extrêmement inquiet de la perméabilité du discours de certaines élites à des thèses antisémites et au manque de scandale dans la population à ces occasions. Je rappelle à cet égard que notre ministre de la justice a tweeté sur un soi-disant "lobby juif" qui fait des heures supplémentaires entre "Alost, et Washington"; que notre ministre des institutions publiques avait expliqué que la présidente de la commission européenne "exagérait" en évoquant le Carnaval d'Alost, "probablement parce qu'elle est allemande"; et que sur la première chaîne publique, des journalistes se sont interrogés en prime time sur l'influence de la judéité de notre ex-ministre des affaires étrangères et ex-première ministre sur sa politique moyen-orientale.
Pour lutter contre ces fléaux, nous avons besoin de tout le monde, et le Crif est un partenaire essentiel pour nous.
Yonathan Arfi s'adresse au Cercle Joseph Wybran et au CCOJB, à Bruxelles