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Publié le 27 Mai 2025

L'entretien du Crif - Constance Le Grip : Sanctionner plus fortement l’antisémitisme et toutes haines, c’est renforcer l’unité nationale

Députée des Hauts-de-Seine (Ensemble pour la République-Renaissance) membre de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Constance Le Grip y préside le groupe d’études sur l’antisémitisme. Promotrice active de la proposition de loi de lutte contre l’antisémitisme dans les universités, à l’origine aussi de l’adoption par les députés d’une résolution visant à une coopération européenne renforcée contre les haines antisémites, elle répond aux questions de Jean-Philippe Moinet sur le renforcement législatif des sanctions prévu en ce domaine et le cadre républicain universaliste de lutte contre toutes les haines, rappelé par les récentes Assises de lutte contre l’antisémitisme.

Le Crif : Vous êtes promotrice de la proposition de loi qui renforce le dispositif de lutte contre l’antisémitisme dans les universités, qui a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale. Quelles sont les avancées qui vous semblaient importantes d’inscrire dans ce texte, pourquoi fallait-il passer par une nouvelle loi et non par des mesures simplement applicables dans les Universités comme ailleurs ?

Constance Le Grip : J'ai en effet été désignée il y a quelques semaines co-rapporteure, aux côtés de mon collègue député Pierre Henriet, de la proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'Enseignement supérieur. Cette proposition de loi, issue du Sénat et d'une mission d'information relative à l'antisémitisme à l'Université, et menée par deux sénateurs, Pierre-Antoine Lévi et Bernard Fialaire, avait été adoptée par le Sénat le 13 février dernier à l'unanimité ! Tel n'a pas été le cas à l'Assemblée nationale où, tant en commission que dans l'hémicycle, le débat a donné lieu, malheureusement, à un affrontement politique et à des prises de parole très choquantes, tout particulièrement de la part des députés de La France Insoumise.

Nous avons néanmoins réussi à faire adopter la proposition de loi à une large majorité le 7 mai dernier. La suite du cheminement parlementaire nous conduit maintenant à une CMP (Commission Mixte Paritaire), qui se réunira le 27 mai. Si la CMP est conclusive, ce que je souhaite vivement, nous pourrions examiner le texte issu de ladite CMP conclusive, dans chacune de nos Assemblées, dans la deuxième quinzaine de juin. Notre souhait, aux quatre co-Rapporteurs que nous sommes, les sénateurs Pierre-Antoine Lévi et Bernard Fialaire, et mon collègue député Pierre Henriet et moi-même, est que la loi, une fois définitivement adoptée, puisse entrer en vigueur pour la rentrée universitaire prochaine.

 

 

« Le texte prévoit de renforcer les sanctions disciplinaires dans les Universités. Trop d'étudiants juifs vont en cours la peur au ventre »

 

 

Le Crif : Quels en sont les grands principes ?

Constance Le Grip : Le texte voulu et porté par les sénateurs est inspiré par trois principes d'action : éduquer, prévenir, sanctionner. Ce texte nous est apparu vraiment très important, tant les faits antisémites progressent dans nos Universités et nos établissements d'Enseignement supérieur, et tant le déni de réalité et la sous-évaluation des faits ne sont plus possibles, oui, il est très important de renforcer les moyens de lutter de toutes les manières possibles contre ce poison qu'est l'antisémitisme. Le texte prévoit par exemple que soit inscrite pour la première fois dans le Code de l'Éducation l'obligation de sensibiliser les élèves, les collégiens, les lycéens, les enseignants et les futurs enseignants, à ce qu'est l'antisémitisme. Dans l'Histoire et actuellement. C'est donc un véritable parcours éducatif qu'il est ainsi proposé d'inscrire dans la loi, dans le Code de l'Éducation.

La proposition de loi prévoit aussi d'inscrire dans le « dur de la loi » l'obligation, pour chaque Université et établissement d'Enseignement supérieur, de mettre en place une « mission Égalité et Diversité », au sein de laquelle sera identifié et spécialisé un « référent racisme et antisémitisme ». Concrètement, il s'agit de rendre obligatoire une pratique qui se fait déjà, peu ou prou, dans de nombreux établissements mais qu'il s'agit de systématiser, de la rendre identifiable et visible par tous, et aussi de rendre l’action plus efficace et plus réactive. Les « référents racisme et antisémitisme » seront bien sûr formés pour exercer cette mission.

Enfin, la proposition de loi vise à renforcer les sanctions disciplinaires, en augmentant les possibilités de mesures conservatoires prises à l'encontre de ceux visés par une procédure disciplinaire. Et, surtout, elle propose la création, au niveau de chaque Académie régionale, d'une section disciplinaire, présidée par un magistrat administratif, vers laquelle pourront être dépaysées les procédures disciplinaires, à la demande des présidents d'Universités et chefs d'établissements. Ces nouveaux dispositifs ont pour objectif de rendre plus efficaces, plus rapides et plus « professionnelles », les procédures disciplinaires qu'il faut incontestablement accroître et renforcer, s'agissant particulièrement des propos et actes antisémites.

Là encore, ce qui est important, c'est d'inscrire les dispositions dans la loi de la République. Et de ne pas se contenter de décrets ou de circulaires. Rehausser au niveau législatif un certain nombre de dispositifs mis en place par le niveau réglementaire nous semble essentiel pour faire prendre conscience de la gravité du phénomène, pour attester de la réalité de l'augmentation de l'antisémitisme dans nos Universités et pour dire que la République combat l'antisémitisme, sous toutes ses formes. Trop d'étudiants juifs vont en cours la peur au ventre, sont insultés, harcelés, stigmatisés, isolés, ou alors se cachent, dissimulent leur identité juive, quand ils n'abandonnent pas carrément leurs études. Nous avons entendu leur souffrance et leur indignation. Cette situation intolérable ne peut plus durer ! Nous nous devons de combattre ce fléau de toutes les manières possibles, avec tous les instruments que la loi et le droit peuvent nous fournir.

 

 

Une résolution adoptée « pour action européenne commune, à la hauteur de la menace que représente l'antisémitisme pour nos valeurs européennes »

 

 

Le Crif : Vous avez aussi proposé et obtenu l’adoption à l’Assemblée d’une résolution européenne. Quel est le contenu et surtout la portée de cette résolution, en quoi elle est importante ?

Constance Le Grip : La résolution européenne, que j'avais portée il y a quatre mois environ et réussi à faire adopter à l'unanimité par la commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale, vise à une coopération européenne renforcée contre l'antisémitisme et la haine anti-juive. Elle est devenue définitivement résolution européenne de l'Assemblée nationale le 10 mai dernier. Je rappelle qu'une résolution n'a aucune valeur contraignante, n'est pas normative, mais elle est une déclaration de principes et l'affirmation d'une volonté politique. J'ai pris cette initiative, consciente que la progression de l'antisémitisme concerne tous nos pays européens, particulièrement depuis le 7 octobre 2023 et les attentats terroristes islamistes perpétrées par le Hamas, et qu'elle appelle en riposte une action européenne commune résolue, renforcée, à la hauteur de la menace que représente l'antisémitisme pour nos valeurs européennes et le projet européen.

Dans la droite ligne de ce que Benjamin Haddad, Ministre déléguée en charge de l'Europe, avait initié après les attaques anti-juives menées dans les rues d'Amsterdam en novembre dernier, en réunissant plusieurs de ses homologues européens, j'appelle à plus de coopération, de coordination, d'échanges de bonnes pratiques, entre Etats-membres de l'Union européenne, dans la lutte contre l'antisémitisme, sous toutes ses formes. Et j'appelle aussi à ce que ce combat soit clairement identifié et appréhendé comme un combat essentiel pour nos valeurs européennes. Il existe depuis février 2021 une Stratégie européenne de lutte contre l'antisémitisme et de soutien à la vie juive. Cette stratégie européenne définit une série de mesures articulées autour de trois piliers : la prévention de toutes les formes d'antisémitisme, la protection et le soutien de la vie juive dans l'Union européenne, la promotion de la recherche, de l'éducation et de la mémoire de la Shoah. J'avais d'ailleurs auditionné, lorsque je préparais l'examen en commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale, de ma proposition de résolution européenne, Madame Katharina von Schnurbein, coordinatrice auprès de la Commission européenne de la lutte contre l'antisémitisme.

Des progrès significatifs peuvent encore être faits, dans les Etats-membres, pour mettre en œuvre les diverses préconisations de la Stratégie européenne. Des efforts peuvent et doivent être accomplis pour renforcer nos outils numériques, judiciaires et éducatifs. Par exemple, il faut une application rigoureuse et rapide du Digital Services Act (DSA), pour supprimer les discours de haine en ligne et lutter contre la désinformation. J'ai souhaité aussi, dans cette résolution européenne, appeler la Commission européenne à continuer de sanctionner les États-membres qui ne respectent pas la décision-cadre du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal, et qui ne prennent pas les mesures attendues pour réformer leur droit pénal. De manière générale j'ai voulu, par cette résolution européenne, clamer que les principes fondateurs de l'Union européenne sont aujourd'hui gravement menacés par la résurgence des discours et crimes antisémites.

 

 

« Seule la promesse républicaine, réaffirmée et réarmée, peut nous permettre de restaurer la cohésion et l'unité dont notre pays a tant besoin »

 

 

Le Crif : Les juristes et experts qui ont participé aux récents travaux des Assises de lutte contre l’antisémitisme ont souligné l’importance, du point de vue du droit, de bien intégrer tout l’arsenal juridique en la matière dans le cadre universaliste républicain, réprimant toutes formes de haines, quelles que soient les victimes, qui sont d’origines ou religions différentes. Cela vous paraît important aussi ?

Constance Le Grip : Oui, je partage les recommandations et propositions formulées par les deux groupes de travail, l'un sur l'Éducation et l'autre sur la Justice, qui ont œuvré dans le cadre des Assises de lutte contre l'antisémitisme lancées et installées par Aurore Bergé, Ministre déléguée en charge de l'Egalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Je partage la conviction que seule la promesse républicaine, une promesse républicaine réaffirmée, réarmée, peut nous permettre de restaurer la cohésion et l'unité dont notre pays a tant besoin, et que ce sont nos valeurs républicaines qui peuvent nous préserver de la haine, de toutes les haines.

Liberté, égalité, fraternité, laïcité, il y a dans l'universalisme républicain le creuset dans lequel faire fondre toutes les détestations, toutes les haines, toutes les intolérances, tous les préjugés. L'antisémitisme, le racisme, la xénophobie, l'intolérance, les discriminations, sont autant d'attaques portées à notre République. Telle est mon intime conviction, tel est mon idéal.

 

 

« Les Frères Musulmans sont une menace existentielle pour nos valeurs républicaines, pour la République française »

 

 

Le Crif : Un rapport des services du Ministère de l’Intérieur mesure et souligne « l’entrisme » de la mouvance islamiste des « Frères musulmans » en France. Quelles réflexions et actions ces éléments doivent-ils, selon vous, en déduire les pouvoirs publics ?

Constance Le Grip : Je tiens à saluer le travail remarquable et courageux mené par toutes celles et tous ceux qui ont participé à l'élaboration et à l'écriture du rapport sur l'entrisme des « Frères Musulmans ». Et je tiens pour essentiel que ce rapport puisse être porté à la connaissance de tous car la prise de conscience, par nos concitoyens, par nos institutions, organisations, associations, de la réalité de ce qu'est le mouvement frériste et de la manière dont il fonctionne, peut être le premier pas vers une riposte collective. Ce rapport, étudié par le Conseil de Défense réuni la semaine dernière autour du Président de la République, corrobore bien sûr des informations, des données, des analyses déjà présentées par des universitaires, chercheurs, journalistes d'investigation mais il représente certainement, en ce qu'il est étudié au plus haut sommet de l'État, en Conseil de Défense, la fin d'une certaine naïveté, voire d'un certain déni. Il sonne le coup d'envoi de la réponse républicaine qu'il nous faut apporter à l'entrisme et au séparatisme des Frères Musulmans. Ces derniers, je veux le préciser, n'ont pas le triste apanage de ces stratégies d'évitement des lois de la République et de conquête des esprits, le salafisme, par exemple, représente aussi une menace pour la République.

A ce stade, je tiens aussi à dire, comment beaucoup d'autres avant moi, que le frérisme est un danger pour les musulmans eux-mêmes, par le dévoiement politique et sectaire qu'il fait de l'islam. C'est bien ainsi d'ailleurs que l'ont compris des dizaines de pays arabes et musulmans, qui ont interdit le mouvement des Frères Musulmans, non par hostilité à l'islam bien sûr, mais pour protéger leurs propres populations. Les Frères Musulmans sont une menace existentielle pour nos valeurs républicaines, pour la République française, et, plus globalement, pour la cohésion et l'unité de notre pays, pour sa stabilité, sa sécurité, le respect des lois, du droit, de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la liberté de conscience, d'opinion et d'expression. S'il ne s'avère ni possible ni surtout efficace de tout bonnement interdire l'organisation des Frères Musulmans dans notre pays, il est essentiel de combattre son influence, son entrisme, son emprise. L'influence du frérisme ne se déclame pas, ne se revendique pas, elle s'insinue, s'infiltre, avance dissimulée, s'appuyant sur des alliés et des « idiots utiles » : politiques, intellectuels, médiatiques, culturels, communautaires. Tous ceux qui servent les desseins des Frères Musulmans, et des islamistes en général, plus ou moins consciemment, par complaisance, intérêt ou aveuglement.

Le Président de la République a demandé au Gouvernement de formuler des propositions d'action début juin. D'ici là, comme l'a déjà fait le Ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau dans son ressort de compétence, le parti Renaissance, auquel j'appartiens, lance ce lundi plusieurs propositions, pour être en initiative et contribuer à alimenter le débat républicain. Après la loi confortant les principes de la République, adoptée en juillet 2021, dite "loi Séparatisme", nous plaidons pour une deuxième étape législative, une deuxième loi, pour continuer à renforcer notre lutte contre le séparatisme et contrer l'entrisme islamiste. Cette loi devrait pouvoir nous permettre d'agir plus vite et plus fort, notamment pour contrer les discours radicaux en ligne, qui se multiplient.

Nous portons plusieurs propositions précises : renforcer le contrôle du financement étranger des lieux de culte et des associations cultuelles, accélérer les dissolutions d'associations refusant les valeurs de la République, travailler à mettre en oeuvre un contre-algorithme sur les réseaux sociaux pour lutter contre la viralité des contenus séparatistes, créer un délit d'entrisme (comme la loi Séparatisme de 2021 avait créé un délit de séparatisme). Mais aussi, avec l'objectif d'affirmer haut et fort tant le refus de l'infériorisation de la femme par rapport à l'homme que la volonté de protéger les enfants : nous proposons l'interdiction  du port du voile par les fillettes et jeunes filles, et la création d'un délit de contrainte de port du voile. J'avais moi-même, d'ailleurs, déposé en janvier 2025, avant que l'idée ne soit reprise par Gabriel Attal et le parti Renaissance, une proposition de loi visant à interdire aux mineurs le port de tout signe ou vêtement manifestant ostensiblement l'infériorisation de la femme sur l'homme. Reprenant en cela une idée présentée par Aurore Bergé en 2021, au moment de l'examen de la première loi Séparatisme, idée qui n'avait pu alors prospérer. Je suis d'ailleurs également favorable à l'interdiction du port du voile (comme de tout signe religieux ostensible) dans les compétitions sportives organisées par les fédérations sportives. Autre proposition de loi que j'ai déposée en 2024.

L'entrisme frériste, et plus globalement islamiste dans notre société, dans les medias, à l'école, dans le sport, voire dans des associations et partis politiques, est une réalité que nous ne pouvons plus, que nous ne devons plus, nous cacher. La réponse sera la République, toute la République, et un réarmement républicain, laïc et régalien. Le moment est venu.

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

 

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs -