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Publié le 11 juin dans Le Figaro
Le monde entier connaît Bambi, le grand classique de Walt Disney. Mais qui a retenu le nom de Felix Salten? Le créateur du mythique faon était pourtant un prolifique homme de lettres de l'âge d'or viennois, qui dut fuir les nazis. Mis à l'honneur par le Musée de Vienne (MUSA), cet auteur juif avait cédé dans les années 1930 les droits de son roman animalier pour 1000 dollars à un producteur américain, qui les vendra ensuite au fameux studio d'animation.
Écrit en 1923, Bambi, l'histoire d'une vie dans les bois, présenté sur une jaquette sans image de cerf, n'a d'abord pas attiré les foules. «Felix Salten a changé d'éditeur et à ce moment-là, le livre est devenu un franc succès, avant d'être rendu encore plus célèbre, bien sûr, par l'adaptation cinématographique en 1942», a expliqué Ursula Storch, commissaire de l'exposition. Entretemps, Bambi est interdit comme l'ensemble de l'œuvre de l'écrivain du fait de ses origines, en Allemagne d'abord, puis dans une Autriche annexée par Adolf Hitler en 1938.
Depuis, l'histoire poignante du jeune animal confronté au deuil de sa mère tuée par des chasseurs, a donné lieu à de multiples interprétations. Felix Salten, chasseur lui-même, livre un récit sur la nature et la noirceur de l'être humain, note Ursula Storch, tout en rappelant qu'il ne s'est jamais livré à une exégèse de son texte.
C'est un conte «profondément inscrit dans son temps, bien plus qu'une simple histoire pour enfants autour de la perte de la maman», commente le philosophe Maxime Rovère, auteur de la préface de la nouvelle édition française. Derrière «l'impression de peur, la fuite perpétuelle des animaux», «impossible de ne pas faire le lien avec l'expérience personnelle» de l'auteur, qui assiste à la montée de l'antisémitisme.
Symbole de la Vienne intellectuelle
Toutefois son œuvre ne saurait se résumer à Bambi: l'exposition montre l'étendue des travaux de ce représentant du modernisme viennois. Né en mars 1869 à Budapest dans le puissant empire austro-hongrois, Felix Salten rejoint la capitale Vienne avec sa famille l'année suivante. Il commence à travailler comme journaliste à l'aube de ses 20 ans, un métier «resté son gagne-pain pendant plus de 50 ans», raconte Marcel Atze, responsable de la collection de manuscrits de la Bibliothèque de Vienne.
«Touche-à-tout», «caméléon de la langue», il rédigera en outre une cinquantaine d'ouvrages: on lui doit des livrets d'opéra, des poésies, des critiques d'art, des scripts de films et même un roman pornographique, Josefine Mutzenbacher.
Il fréquentait «la crème de la crème», comme le psychanalyste Sigmund Freud ou le musicien Richard Strauss, raconte la commissaire de l'exposition. Mais l'Anschluss fit soudain basculer cette vie mondaine. Dans une lettre, Felix Salten confie son «mépris des Viennois et des Autrichiens en général», qui accueillent Hitler dans la liesse.
Son journal intime témoigne de son angoisse qui grandit au fil des jours. «Ses notes vont droit au cœur. Quand vous les lisez, vous pouvez vraiment imaginer ce qui s'est passé», relate Marcel Atze, qui a passé avec ses collègues plusieurs semaines à les déchiffrer. «Il est incroyablement précieux en tant que témoin, car il existe très peu de documents comme celui-ci», analyse-t-il encore.
La reconnaissance posthume de Vienne
L'homme de lettres prépare fébrilement son départ vers la Suisse, qu'il rejoindra en mars 1939 avec son épouse en emportant des milliers d'ouvrages de sa bibliothèque. Il sera deux ans plus tard privé de sa nationalité par les nazis, un jour marqué «en rouge et non en noir ou bleu comme d'habitude» dans son carnet, note Marcel Atze, et «tremblera» jusqu'à son dernier souffle en 1945.
Sa petite-fille suisse, Lea Wyler, ne l'a pas connu mais par les récits de famille, elle décrit «un homme brisé», affecté par le décès de son fils des suites d'un accident de voiture et la perte de «Vienne, sa maison, ses amis». «De cet homme si doué, si plein d'humour et de malice», elle regrette que la postérité ne retienne «que Bambi». Quand, pis encore, il n'est pas éclipsé par sa propre création.
«Tout le monde pense que Disney l'a inventé. Le crédit ne lui revient même pas et pendant ce temps, le studio américain a amassé des millions», s'insurge Lea Wyler, saluant quand même «un sentiment de rédemption» dans la reconnaissance accordée, aujourd'hui, par la ville de Vienne.