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Publié le 22 Juin 2021

France - Benjamin Stora : L’acculturation d’un enfant de la guerre (Épisode 2)

1955. Un soldat français installe une mitrailleuse à la fenêtre de sa chambre. Il tire sur des Algériens. Détonations assourdissantes et odeur mélangée de souffre, de nitrate et de charbon de bois. Ainsi commence la guerre d’Algérie pour le petit Benjamin Stora qui rêve désormais d’ailleurs...

Illustration : Benjamin Stora (à gauche) avec ses parents et sa sœur sur la place de la Brèche à Constantine, en Algérie, en 1951 Auteur : Crédits : © Archives privées Benjamin Stora

Publié le 22 juin dans France Culture

A Constantine, même si la guerre fait quelques incursions, la vie semble s’écouler comme d’habitude au rythme nonchalant de la Méditerranée.

"On vivait au rythme d'une ville provinciale, au rythme lent. Le cinéma le samedi soir, les mêmes films qui sortaient à Paris arrivaient à Constantine. Il y avait beaucoup de films américains, je me souviens très bien avoir vu Le pont de la rivière Kwaï, Les dix commandements".

Il faut dire qu’au début, personne n’imagine qu’un jour la France pourrait partir de cette colonie devenue trois départements. Alors pourquoi s’en faire ? Sauf que chez les Stora où on est SFIO depuis 1936 et le Front Populaire, on se méfie des ultras de l’Algérie française. Car personne n’a oublié que 10 ans auparavant, ils avaient tous été vichystes et antisémites. Alors on votait Guy Mollet qui était pour l’Algérie française, comme François Mitterrand.

"Il y a cette croyance, en particulier dans la communauté juive, que la France est là depuis trop longtemps et que ce n'est pas possible qu'elle s'en aille. Je veux dire, c'est quelque chose est inimaginable dans la conscience".

"Par exemple la famille Stora, connaissait très bien des familles musulmanes, des gens très engagés aussi du côté de la culture comme Ferhat Abbas, le docteur Bendjelloul, un grand notable musulman qui était aussi un ami de ma famille. Ces deux grandes figures algériennes étaient à la fois très engagées sur une forme d'autonomisation de l'Algérie par rapport à la France, c'est-à-dire de reconnaissance de leur personnalité, de reconnaissance de leur histoire, de leur langue, de leur religion, l'islam. Mais en même temps, très attachés à la République".

L'exil en France... 2 valises par personne pour emporter toute une vie...

Mais l’engrenage infernal de la guerre s’impose un siècle après l’arrivée des Français malgré les Camus, Tillion, Roblès, Roy et autres Lazarus. Puis le renouveau de l’espoir avec l’arrivée en 1958, du Général De Gaule. Mais quand finalement et tardivement tout le monde comprend que cette Algérie, il va bel et bien falloir la quitter, c’est l’angoisse qui embrasse la famille Stora, les parents comme les enfants qui les regardent s’inquiéter pour l’avenir dans une France que personne ne connaît vraiment. Et puis c’est le départ. La rupture. L’exil. Le traumatisme.

"Fin 61, début 62, on sait que c'est une situation de basculement qui va s'opérer. (...) Avec l'armée qui patrouillait dans les rues, les barbelés, le couvre feu, etc. on savait que c'était une guerre. (...)  Est-ce que l'on part ou est-ce que l'on reste, ça devient de plus en plus tranché. Une large majorité qui dit grosso modo où est ce qu'on va aller? Qu'est ce qu'on va devenir? Comment ça va se passer pour nous, tout ça sur fond général d'attentats de l'OAS toutes les nuits".

 

À PROPOS DE LA SÉRIE

Il est comme ces auteurs, artistes et autres cinéastes qu’on assigne, cantonne et enferme dans un unique domaine. A la seule évocation de son nom on sait de quoi il va s’agir. Il faut toujours qu’il soit là où on l’attend. Pas de surprise, pas d’effet. Si Benjamin Stora semble ne pas échapper à cette règle immuable, réduit à l’incarnation solitaire de l’Histoire algérienne, il tente d’échapper à cette force centrifuge qui voudrait nous faire croire qu’il n’est que ça, « l'historien de l'Algérie» le cher pays de son enfance juive bercée d’une insouciance en bleu, blanc, rouge. Un paradis perdu « une main devant, une main derrière » qu’il n’aurait jamais su quitter, faisant de lui, sa vie, son œuvre. Pourtant, aux antipodes des chantres de la « nostalgérie », il s’est bâti dans les « ismes » des révolutions du 20ème siècle. A la veille de mai 68, le petit Pied Noir de Constantine s’efface tandis que plane l’ombre de Marx et que vrombissent les fracas de l’éternelle lutte des classes.

Pour en savoir plus : Benjamin Stora, voyage au bout de l’Algérie...

 

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