- English
- Français
Publié le 15 juillet sur le site de l'AJCF
Chaque année, le 16 juillet, nous nous inclinons devant les victimes des crimes racistes commis par le gouvernement dit de Vichy, femmes et hommes, enfants et vieillards emportés par des rafles organisées par les autorités françaises dans l’été 1942 à travers tout le pays, et notamment à Paris les 16 et 17 juillet 1942. 13.152 personnes, de tous âges et de toutes conditions, furent arrêtées par la police française pour la seule raison qu’ils étaient juifs. Nous avons tous en mémoire les images terribles de ces alignements d’autobus de la RATP, réquisitionnés pour conduire ces malheureux au Vélodrome d’Hiver, le célèbre Vel d’Hiv. Ils y furent entassés dans des conditions atroces, avant d’être déportés à Auschwitz.
Le 16 juillet 1995, pour la première fois, le Président de la République Jacques Chirac, reconnut les responsabilités françaises à l’occasion du 53° anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv :
« Ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été, chacun le sait, secondée par des Français, secondée par l’État français. »
Pour lui, « la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable ». Il rappelait aussi que la rafle fut, dit-il, « le point de départ d’un vaste mouvement de résistance de nombreuses familles françaises, des Justes qui sauvèrent de nombreux juifs », comme pour montrer que l’abjection, la lâcheté, la haine, pouvaient être compensées par la générosité, le courage, l’amour des autres et notamment des persécutés. En 1997, il revenait sur le sujet :
« Mais, si le mal doit être reconnu, le bien ne doit pas être méconnu. Aux heures les plus noires, la noblesse et l’espérance continuaient de vivre. Elles étaient dans le cœur, aussi et surtout, de tous ces Français anonymes, ces Justes parmi les Nations ».
Il identifiait alors les Justes à la diversité de la population, et il énumérait les actions des Justes en faisant référence aux diverses catégories de la société française : curés, pasteurs, enseignants, médecins, secrétaires de mairie, religieux et religieuses, paysans, employés, ouvriers, gendarmes et policiers. Toutes les catégories sociales sont représentées. Serge Klarsfeld l’a bien montré, si 76 000 juifs de France ont été déportés, les trois-quarts de la communauté juive résidant en France a été préservée, malgré la présence d’un gouvernement collaborationniste.
La loi du 3 février 1993 avait institué une Journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite « gouvernement de Vichy ». Elle devait se tenir le dimanche 16 juillet ou le dimanche suivant cette date. Elle a été modifiée par la loi du 10 juillet 2000 afin d’insérer un hommage aux Justes de France, occasion pour la Nation, de témoigner sa reconnaissance à tous ceux « qui ont recueilli, protégé ou défendu, au péril de leur propre vie et sans aucune contrepartie, une ou plusieurs personnes menacées de génocide ».
Sur la médaille des Justes délivrée par Yad Vashem, on lit cette phrase du Talmud : « Quiconque sauve une vie, sauve l’univers tout entier ». Contre la haine, contre l’antisémitisme en plein renouveau, contre ceux qui défient la République, le choix du don de soi, de la fraternité, de la solidarité exprime le meilleur de ce que chaque citoyen peut offrir à la collectivité pour le bien commun.
C’est en pensant à cette diversité de la société civile, que Simone Veil, présidente d’honneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah prononça ce discours le 18 janvier 2007 au Panthéon à l’occasion de l’hommage rendu par la Nation aux Justes :
« Face au nazisme qui a cherché à rayer le peuple juif de l’histoire des hommes et à effacer toute trace des crimes perpétrés, face à ceux qui, aujourd’hui encore, nient les faits, la France s’honore, aujourd’hui, de graver de manière indélébile dans la pierre de son histoire nationale, cette page de lumière dans la nuit de la Shoah. Les Justes de France pensaient avoir simplement traversé l’Histoire. En réalité, ils l’ont écrite. De toutes les voix de la guerre, leurs voix étaient celles que l’on entendait le moins, à peine un murmure, qu’il fallait souvent solliciter. Il était temps que nous leur exprimions notre reconnaissance. »
Simone Veil avait raison : les Justes étaient des personnes modestes, qui ne se sont guère considérées comme des héros, mais plutôt comme des personnes normales, qui ont accompli un geste qui pour elles, était normal. Elles ont simplement considéré le persécuté comme une personne, comme un frère, comme une sœur. Certaines ont accompli leur geste comme un acte conscient de résistance, beaucoup l’ont accompli par simple humanité. C’est la solidarité des petits gestes, selon l’historien Jacques Semelin. Les Justes montrent que la Résistance, c’était aussi ouvrir sa porte aux persécutés, ou dire non, refuser d’obéir. Le refus des ordres reçus lorsqu’ils sont indignes et exigent un sursaut de la conscience. Nous savons avec les travaux de Serge Klarsfeld, qu’une multitude de protestations de la conscience, de « Non », et de mains anonymes tendues ont permis de sauver des milliers de personnes. Tous entendaient refuser l’ignominie, tous entendaient déchirer l’ignoble toile de complicité laquelle Vichy cherchait à insérer l’ensemble du peuple français. Tous réagirent en conscience. Toutes les catégories sociales sont représentées.
Les Justes sont des héros silencieux, qui ont agi souvent seuls, mais aussi très souvent en réseaux, proches du reste des réseaux de Résistance. Nous savons que les Justes reconnus officiellement ne représentent qu’une petite partie des sauveteurs, parce que beaucoup ont choisi la discrétion. On peut relire, parmi d’autres témoignages, Un sac de billes de Joseph Joffo, qui raconte la fuite éperdue à travers la France occupée de deux gamins, Joseph et son frère Maurice : un prêtre, rencontré par hasard dans un train, déclara au moment fatidique d’un contrôle qui pouvait se révéler dangereux, que « ces deux enfants sont avec moi » alors qu’il ne les connaissait pas, mais il avait compris qu’ils étaient en fuite.
C’est ce qu’a voulu rappeler Emmanuel Macron le 1° juillet 2018 lors de l’entrée de Simone Veil au Panthéon. Il a souligné à cette occasion tout ce que notre pays lui doit, notamment son triple engagement pour les femmes et les droits humains, pour l’Europe, pour la mémoire de la Shoah. Elle n’a jamais séparé la mémoire de la déportation, de celle des Justes parmi les nations. Le Président l’a rappelé comme un élément majeur de tout ce qu’elle a donné à la France :
« Comme Jean Moulin, Simone Veil s’est battue pour que la France reste fidèle à elle-même. Trahie par un État français qui pactisait avec l’occupant nazi, elle aurait pu retourner contre son pays la douleur de son épreuve et de ses deuils, elle n’en fit rien. Et lorsqu’elle décida de témoigner de sa déportation, ce fut d’abord pour rendre hommage aux Justes de France. Elle se leva contre ceux qui dressaient le portrait d’une France gagnée par les délires antisémites d’Hitler, de Pétain et de Laval, pour rappeler le courage inouï et spontané de ces familles françaises qui, au péril de leur vie, avaient caché des enfants juifs, les sauvant de la persécution et d’une mort atroce. Elle rappela ce temps où des Français fournissaient à leurs concitoyens juifs des faux papiers et des faux certificats de travail. C’était le temps où l’archevêque de Toulouse, Monseigneur Saliège, appelait à l’asile dans les églises, c’était le temps où des pasteurs célébraient secrètement Pourim dans leur temple. C’était le temps où des solidarités souterraines maintenaient la fraternité française. »
Tout près du caveau où elle repose désormais, sont inscrits les noms des Justes de France.
« Sous la chape de haine et de nuit tombée sur la France dans les années d’occupation, des lumières, par milliers refusèrent de s’éteindre »,
Nous dit désormais le Panthéon : les Justes ont contribué à sauver l’honneur du pays.
Les Justes portent un message universel : celui de la reconnaissance de l’autre, de la valeur de toute altérité. En notre temps fait d’individualisme, de tensions, d’antagonismes en tous genres, de renouveau de la haine et de l’antisémitisme, les Justes rappellent la puissance d’une vertu fondamentale pour faire tenir la société debout et la rendre humaine : la solidarité.
Lisons le chant final de Brundibár, l’opéra pour enfants de Hans Krása joué en 1943 dans le camp de Terezin :
« Brundibár est vaincu
Le tyran est perdu.
On ne s’est pas laissé faire,
On a gagné la guerre.
Les enfants ont chanté
Tous amis, réunis,
Tous amis, réunis.
Ils ont formé un chœur,
Pas un seul n’a eu peur
Devant ce dictateur. »
Oui, la solidarité face au Mal, est le premier acte, l’acte fondateur de la Résistance.