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Publié le 6 avril dans Le Figaro
71, avenue Henri-Martin. 43, rue de Courcelles. Deux adresses entre lesquelles Francis Szpiner partage son temps, quand il ne ferraille pas dans les salles d'audiences des tribunaux judiciaires de Paris, Créteil, Bobigny ou ailleurs. Deux bureaux qui symbolisent sa double casquette : maire du 16e arrondissement de Paris, depuis le 28 juin 2017, et avocat au barreau de Paris, depuis 1975. «Né à Paris d'un père né à Paris, ayant grandi dans le 9e et le 10e arrondissement puis fait toutes mes études à Paris, je suis un vrai Parisien !» s'enorgueillit le benjamin d'une fratrie de trois, qui a grandi dans une famille «républicaine et laïque» marquée par la Shoah - trois de ses grands-parents sont morts dans les camps, son père a été maquisard dans le Lot-et-Garonne après avoir échappé à la rafle du Vel d'Hiv.
Aujourd'hui âgé de 67 ans, Francis Szpiner est intervenu au cours de ses 45 ans de barre dans des centaines de dossiers, dont certains très médiatisés. Il a ainsi défendu Pierre de Varga, soupçonné d'avoir commandité l'assassinat du prince Jean de Broglie en 1976 ; les hommes politiques Alain Juppé, Dominique Baudis et surtout Jacques Chirac ; la proxénète Madame Claude ; le dictateur centrafricain Bokassa ; le fondateur du GIGN Christian Prouteau dans l'affaire des écoutes de l'Élysée ; les proches d'Ilan Halimi, enlevé, séquestré et torturé en 2006 ; la famille de la jeune Agnès Marin, violée et tuée en 2011 ; l'association La Voix de l'Enfant ; Latifa Ibn Ziaten lors du second procès Merah en 2019... Dans un petit carnet qu'il tient scrupuleusement à jour, il note toutes «ses» assises : il en est à «250 affaires, à peu près».
«Auberge espagnole»
En ce printemps 2021, Me Szpiner est au cœur de plusieurs affaires tout aussi médiatiques. Le 31 mars, il a pu crier victoire lorsque la cour d'appel de Paris a débouté Éric Brion, qui poursuivait en «diffamation» sa cliente Sandra Muller, l'initiatrice de #BalanceTonPorc. Il attend de pied ferme l'arrêt de la Cour de cassation dans l'affaire Sarah Halimi, prévu le 14 avril. Il suit également les avancées de l'affaire Yuriy ; sorti de l'hôpital, son jeune client a été entendu par les enquêteurs et le sera «bientôt» par le juge d'instruction. Très discrètement, il assure également la défense du jeune fils de Samuel Paty, ce qu'il refuse de commenter. Le sexagénaire s'épanouit dans cette richesse de dossiers. «Le charme de ce métier, c'est que c'est une auberge espagnole, chacun peut y trouver ce qu'il a envie d'y trouver ! On peut avoir un combat privilégié par rapport à d'autres. Mais je pense que la richesse de notre métier, c'est de diversifier. Parce qu'être monomaniaque, ça peut être desséchant.»
L'ancien membre du Conseil de l'ordre (1995-1997), membre du Conseil national des barreaux (1998-2002) et vice-président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (2002-2008), qui a écopé en 2013 d'un «avertissement» de la cour d'appel de Lyon pour avoir qualifié l'avocat général Philippe Bilger de «traître génétique» après le premier procès de l'affaire Ilan Halimi, fait cependant une exception à cette diversité d'affaires. «J'ai toujours pensé que le terrorisme, sous toutes ses formes, était le venin inoculé à la démocratie. Et je le combats depuis des années. C'est la raison pour laquelle je ne me vois pas défendre un terroriste. Pour autant, un accusé terroriste a le droit d'être défendu, et par les plus grands ; c'est la preuve que la démocratie judiciaire fonctionne, et je crois que c'est important», confie-t-il. «Le métier d'avocat est un miracle de la civilisation. Il n'est pas naturel que la société donne des droits à celui qui trouble l'harmonie de la société, et qu'un avocat soit là pour les faire respecter.»
«Le droit pénal, c'est de la politique»
Cette profession d'avocat, il l'a choisie parce qu'il avait «le goût de l'indépendance», parce qu'il était «resté bagarreur» après des premières années turbulentes et parce qu'il avait «envie de rencontrer des gens que d'habitude on ne rencontre pas, des cabossés de la vie, des personnes qui défient leur destin». De 1976 à 1980, celui qui a été élu en 1978 deuxième secrétaire de la très honorifique Conférence des avocats du barreau de Paris a travaillé auprès d'«un avocat corse formidable», Me Charles Robaglia, qu'il considère comme son mentor. Il lui doit ses premières assises. «Il défendait le braqueur Jean-Charles Willoquet, ennemi public n°1 en concurrence avec Jacques Mesrine . Il avait aussi un autre client dans l'affaire et comme il ne voulait pas plaider pour les deux, il m'a dit: “Tu plaideras dans le dossier Willoquet. Comme il faut que tu saches comment ça marche, tu plaideras avec moi deux dossiers qui viennent avant”. C'est ainsi que le premier homme que j'ai défendu était un Antillais qui avait tué sa concubine de plusieurs coups de couteau.»
Ce client a écopé de... cinq ans de prison avec sursis. Une décision qui ferait scandale aujourd'hui. «C'était une autre époque», commente Me Szpiner. «Ce qui est passionnant dans ce métier, c'est d'ailleurs d'observer l'évolution du droit. Il est fascinant de voir, en 45 ans de profession, comment la société a changé et comment les lois traduisent ces changements de société.» L'avocat y a d'ailleurs parfois lui-même contribué. Il ne s'en cache pas : à ses yeux, «la procédure pénale, le droit pénal, c'est de la politique». «Pour moi, les deux sont liés. On ne peut pas être avocat et se désintéresser de la politique.» La politique, le jeune Francis y a plongé dans sa vingtaine, guidé par son modèle absolu, Charles de Gaulle. Le général est d'ailleurs omniprésent dans son bureau de maire. «J'ai toujours pensé que c'était une grande figure de notre pays, qu'il avait sauvé l'honneur de la France et que les bases de la Ve République qu'il avait jetées avaient permis le redressement. Il était naturel que je me retrouve au RPR», explique-t-il.
«Savoir être impopulaire»
Plus jeune, Francis Szpiner a essuyé plusieurs défaites électorales après avoir été envoyé au front par sa famille politique. «J'ai été candidat par devoir ; si j'avais voulu, en tant qu'avocat du président Chirac, j'aurais pu demander des circonscriptions plus gagnables», glisse-t-il. Finalement élu maire LR du 16e arrondissement aux dernières élections municipales, il assure «être très heureux d'être maire du 16e, un arrondissement où vit une population formidable trop souvent caricaturée» mais s'avoue «frustré» car être «maire d'arrondissement, ce n'est pas être maire à part entière». Il se passionne déjà pour la prochaine élection présidentielle et prendra «évidemment» part «au combat de 2022». «Après, ça dépend de qui est candidat», ajoute-t-il en souriant, lui qui compte pour associé au cabinet STAS François Baroin, qu'il qualifie de «petit frère qu'[il] n'a pas eu».
Comment combine-t-il ses deux activités? «C'est une question d'organisation ; ça fait de longues journées ! Chaque semaine est différente en fonction du calendrier de mes obligations judiciaires et municipales», décrit-il. Lorsqu'il ne travaille pas, celui qui a été promu commandeur de la Légion d'honneur en 2011 lit «compulsivement», écrit, se rend au Grand Orient de France - il est franc-maçon «comme son père» - regarde des matchs de rugby, passe du temps avec sa femme et sa fille de 18 ans. Après avoir donné des cours à l'École des hautes études internationales et politiques, Assas, Sciences Po, il n'exerce aujourd'hui plus d'activités d'enseignement. Il est en revanche toujours capitaine de vaisseau de réserve de la Marine, lui qui avait songé à préparer Saint-Cyr - «mais mes parents m'avaient dit : “Jamais!”», se souvient-il. Il ne regrette finalement pas une seconde d'avoir choisi le droit. «Avocat, c'est un métier dur; il faut savoir être impopulaire, avoir le goût du combat et se construire une certaine carapace. Mais je n'en connais pas de plus beau.»