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Publié le 26 mars 2021 sur le site de l'ADN.eu
L’ADN est né d’une volonté de vous inviter à vivre ce que nous vivons en tant que média : vous connecter à ces pôles d’énergie de l’époque, initier les rencontres, faire naître d’authentiques conversations, et créer des relations durables. Aujourd’hui, en pleine crise sanitaire mondiale, nous avons besoin plus que jamais de créer du lien, de nous rencontrer et de vous présenter celles et ceux qui pensent et font le monde de demain. Un portrait, une rencontre.
Quelle est votre vision du changement ?
Yann Boissière : Il y a un adage fondamental, répété maintes et maintes fois, qui est facile à dire mais tellement difficile à appliquer... Pour changer le monde, il faut se changer soi-même. Aujourd'hui, beaucoup de choses sont technologiquement possibles et beaucoup de moyens peuvent être mobilisés pour transformer la société. De fait, nous avons tendance à penser que notre capacité de changement est très grande. Pourtant, il ne suffit pas de projeter une idée sur le monde pour le transformer. L'esprit humain a tendance à fonctionner comme ça. Nous avons des idées et nous pensons que nous pouvons les appliquer à notre réalité. Au final, nous sommes confrontés à l'impuissance la plupart du temps.
Comment cela ?
Y.B. : Tel qu'on le conçoit actuellement, le changement se heurte souvent à des volontés contraires. J'interviens fréquemment en entreprise. De nos jours, les idées de management bienveillant et d'empowerment des collaborateurs sont à la mode... Ces principes vont évidemment dans le bon sens. Parfois, et même souvent, le mode avec lequel on installe ces transformations est autoritaire. C'est la source de beaucoup d'impasses et d'incompréhensions. Il y a une contradiction entre le fond et la forme. C'est la même chose dans le domaine de l'écologie ou dans celui de l'égalité entre les hommes et les femmes. Par exemple, le nombre de dirigeants qui affirment être pour les quotas et la présence des femmes dans les Comex, mais qui n'appliquent pas ces principes dans leur conception de la société... La vraie difficulté, c'est de se changer soi-même. C'est un point fondamental. Le grand chantier de notre époque est d'arriver à comprendre que ni la technologie, ni le volontarisme ne sont suffisants, et qu'il faut avant tout changer nos consciences. Nul autre que nous-mêmes ne pouvons faire cela.
Les religions peuvent-elles nous y aider ?
Y.B. : Je pense que oui. Les religions stimulent la capacité d'imagination qui est propre à l'être humain. Beaucoup d'anthropologues et de psychologues ont travaillé sur cette question... Cyrulnik parle de la différence entre la pensée perceptuelle de l'animal et la pensée conceptuelle de l'être humain. C'est une capacité méta à se projeter dans quelque chose qui dépasse notre environnement sensoriel. C'est la puissance conceptuelle de la pensée qui permet d'imaginer autre chose que nous-même. Quand on veut se changer soi-même, ça peut être utile.
Heureux comme un juif en France ?, votre nouveau livre, entend montrer comment le judaïsme peut aujourd’hui faire œuvre de paix et de liant au sein du cadre républicain. Concrètement, que peut-il apporter ?
Y.B. : Dans la religion juive, il y a un tropisme pour l'interprétation et la contradiction. Ce sont des garde-fous contre la tentation totalitaire de la pensée. Au cours des deux premiers siècles de notre ère, la révolution rabbinique a instauré la discussion plurielle, le débat contradictoire et la décision à la majorité comme des chemins pouvant mener à la vérité. Les rabbins étaient des révolutionnaires. La particularité du judaïsme tient dans le fait que c'est une culture de la dissension. Ce n'est pas cartésien. En France, c'est un peu contre-intuitif. Pourtant, le génie de la contradiction est de la penser comme quelque chose de profondément positif. Un bon problème doit apporter plus de questions que de réponses. Après avoir discuté avec l'autre, et constaté peut être un désaccord, l'idée est de ressortir de cet échange avec une forme de gratitude... Cela traduit un goût pour la controverse, mais aussi pour le respect. Pour toutes ces raisons, le judaïsme pourrait être utile aujourd'hui au débat public. A l'heure où les réseaux sociaux favorisent l'art de l'invective et de l'ad hominem, il peut fournir des pistes intéressantes pour respecter la pluralité des identités et générer un respect commun qui est essentiel pour nous permettre de vivre et d'avancer ensemble.
Les religions pourraient donc redevenir un liant pour la société ?
Y.B. : En France, nous avons hérité d'une laïcité de combat, laïcité dont je suis moi-même un fervent militant. Nous avons voulu triompher du religieux sous prétexte qu'il était synonyme d'obscurantisme. Nous restons très marqués par cela. Au passage, nous vivons dans une bulle car ailleurs sur la planète, il y a plusieurs milliards de personnes pour qui la religion est un écosystème naturel. Cela fait partie de leur environnement quotidien. Il ne faut pas oublier que le mot religion veut dire relier les gens entre eux. Or, nous vivons dans une société qui se fracture et qui devient de plus en plus communautaire. Les religions, par essence, ont pour but de provoquer une élévation commune au bénéfice de gens qui sont très différents les uns des autres. Leur rôle est d'éclairer le débat public, de faire la part des choses et de rapprocher les communautés. Pour relier les gens entre eux, je milite pour un dialogue entre les pensées religieuses et non religieuses car les religions sont une réserve d'humanité qu'il faut savoir mobiliser. Elles recèlent une réflexion pluri-millénaire qui est une source de sagesse. A ce titre, elles ont plus que jamais un rôle de pacification à jouer.
Quel est votre grand projet pour 2021 ?
Y.B. : Ce sera plutôt pour 2022. Je compte organiser un grand voyage en Israël et dans les territoires palestiniens qui réunira des Français, juifs, musulmans, chrétiens, athées, agnostiques... Mettre ensemble toutes les convictions pour aller se confronter à un regard différent. C'est un voyage qui créera du lien tout en respectant les mémoires et les divergences de chacun.
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