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Publié le 5 Mai 2021

France - Strasbourg : La lutte contre l'antisémitisme et ses "nuances"

Les élus strasbourgeois ont adopté, lundi, trois motions portant sur la lutte contre l’antisémitisme, sans toutefois trouver de consensus. Explications.

Publié le 4 mai dans Dernières Nouvelles d'Alsace

Plus de deux heures de débats lourds et pesants lors du conseil municipal, lundi, n'ont pas permis d'aboutir à un consensus sur les modalités d'adoption de la définition de l'antisémitisme élaborée par l'IHRA (International Holocaust remembrance alliance).

Ce qui est appelé «définition» est un document qui compte une définition à proprement parler, ainsi que des commentaires et exemples concrets. Les élus strasbourgeois débattent depuis des semaines de ce sujet.

Suite au rejet de la résolution présentée le 22 mars par Jean-Philippe Vetter (LR) et de l'émoi et l'incompréhension que cela avait suscité, la maire, Jeanne Barseghian, avait proposé, en vue du conseil de lundi, un texte portant sur la lutte contre l'antisémitisme, qu'elle a proposé de travailler avec les groupes politiques du conseil.

Les négociations ont duré toute la semaine, jusqu'à ce dimanche et elles ont permis de faire évoluer le texte d'origine. Mais la dernière version n'a pas permis de trouver de consensus en raison d'une tournure de phrase qui ne retient que les quelques lignes de la définition de l'antisémitisme élaborée par l'IHRA, et qui met à distance le reste du travail.

Pour les groupes d'opposition, LR et LaREM ainsi que le groupe socialiste, cette tournure de phrase est porteuse d'ambiguïté. « Un concours d'esquives », dit Jean-Philippe Vetter, qui explique que le point de départ de sa réflexion sur le sujet a été de voir une association porter les revendications du mouvement BDS de boycott d'Israël, dans un événement officiel de la ville. Il a également mentionné les agressions et actes antisémites qu'a connus Strasbourg.

Pour Jeanne Barseghian, au contraire, le texte, fruit des discussions, est « un texte fort, de qualité, qui sait transcender nos différences pour nous rassembler sur l'essentiel ». L'essentiel étant ici, pour la municipalité, l'engagement dans la lutte contre l'antisémitisme. Le coprésident du groupe écologiste et citoyens Marc Hoffsess juge l'opposition « arc-boutée sur une injonction », celle de l'adoption de l'intégralité du travail de l'IHRA, alors que, dit-il, celui-ci fait débat et appelle à la nuance. C'est aussi ce qu'a dit la maire : « Le texte (de l'IHRA) peut avoir des vertus et il a aussi des limites. Je ne comprends pas qu'on puisse taire que ce texte fait débat ».

La majorité estime que les commentaires, et exemples, sont de nature à entraver la critique des gouvernants israéliens et la maire a cité en exemple un commentaire dans ce sens figurant dans un rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. C'est pourquoi elle a souhaité en rester à la seule définition par une formulation de quatre mots.

« Ces quelques mots fractionnent le tout », réplique Pierre Jakubowicz (Agir), tandis que Céline Geissmann (PS) explique que rejeter les exemples ayant pour but de rendre la définition opérationnelle, revient à « nuancer cette définition » et donc à « remettre en cause son utilité ».

« Si l'Histoire doit nous apprendre une seule chose, a dit Alain Fontanel (LaREM), c'est qu'il n'y a pas de nuance possible dans la lutte contre l'antisémitisme. » Catherine Trautmann (PS) a insisté à plusieurs reprises sur les conséquences des votes, en termes de message envoyé à la population, parlant de « devoir d'unanimité ».

Deux heures de dialogue de sourd, et plusieurs jours de négociations 

Dans le camp écologiste, plusieurs élues, comme la coprésidente du groupe, Caroline Zorn ou l'adjointe à la culture, Anne Mistler, ont fait valoir qu'elles avaient été blessées par le fait que, suite au rejet de la résolution du 22 mars, des commentaires avaient pu jeter le doute sur leur engagement dans la lutte contre l'antisémitisme. Bref, le sentiment de gêne est général.

Pendant les négociations cette semaine, Alain Fontanel et Jean-Philippe Vetter avaient également déposé un texte de motion reprenant celle adoptée par le conseil municipal de Schiltigheim, tandis que Catherine Trautmann proposait, à son tour, un texte pour faire bouger les lignes.

Mais, après plus de deux heures de dialogue de sourds, et plusieurs jours de négociations dignes « d'un concile », selon les mots de Catherine Trautmann, la maire s'est résolue, faute de consensus, à mettre au vote, après une ultime interruption de séance, le texte résultat des négociations non abouties, ainsi que les deux autres textes.

Les élus ont décidé de ne pas s'opposer au(x) texte(s), n'ayant pas leur assentiment afin d'éviter le spectacle de votes de rejet comme lors de la séance du 22 mars, les uns et les autres ne prenant pas part aux votes selon les motions.

Donc les trois textes ont été adoptés en trois votes successifs. Celui présenté par la maire et qui contient un plan d'actions contre l'antisémitisme, avec 46 voix du groupe écologiste et citoyen. Celui de Catherine Trautmann avec les 15 voix socialistes et des groupes LR et LaREM. Enfin, celui de Jean-Philippe Vetter et Alain Fontanel avec les 15 voix LR, LaREM et PS (et une voix contre).

Juridiquement, le conseil municipal de Strasbourg a donc adopté les deux motions reprenant le travail dans son entier de l'IHRA sur la lutte contre l'antisémitisme, mais aussi la motion qui s'en tient aux lignes de la définition, mais qui ajoute un plan d'actions concrètes.

La définition de l'IHRA devrait être soumise au vote du conseil de l'Eurométropole ce vendredi. Avec un nouveau débat en perspective.

 

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