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Publié le 6 juillet dans Le Figaro
«La menace reste très significativement élevée» souffle en petit comité un chef du renseignement. En 18 mois, la France a été le théâtre de sept attentats islamistes, six en 2020 et le dernier, perpétré le 23 avril au commissariat de Rambouillet. «Un rythme assez soutenu», relève-t-on, sachant que cinq actions violentes ont été déjouées dans la même période.
Selon un dernier bilan, 7768 radicalisés figurent encore au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), contre 10.000 à l’automne 2018. Une baisse assumée à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), où l’on a préféré clôturer des dossiers pour «prioriser» les moyens sur les individus les plus dangereux. En prison, figurent encore 467 détenus impliqués dans des procédures terroristes et 703 prisonniers radicalisés. Au-delà des chiffres, l’hydre s’est métamorphosée.
La menace a muté sous quatre formes fluctuantes
La notion de menace «endogène» ne suffit plus à épuiser la complexité de la situation. D’abord, les experts s’accordent à le dire: la menace «projetée» d’une équipe formée dans les zones de combat pour frapper la France comme en 2015 a considérablement diminué. C’était une réalité entre 2014 et 2016, mais le dernier projet d’action remonte à cinq ans. Idem pour ce que la DGSI nomme la «menace soutenue» qui, jusqu’en 2018, mettait en scène des fanatiques établis en France, incités à passer à l’action par des «contacts» restés dans les zones de combat, à l’image de Rachid Kassim, djihadiste tué en juillet 2017 à Mossoul.
Dans le même esprit, la menace «inspirée», où le djihadiste bascule dans la violence au nom d’une organisation terroriste et en réaction à la propagande a, elle aussi, «très sensiblement diminué». Incarné par Khamsat Asimov, tueur d’origine tchétchène qui avait mené une attaque au couteau dans le quartier de l’Opéra le 12 mai 2018, ce mode opératoire tombe en désuétude. D’abord, révèle une source informée, parce que «400 combattants français sont morts dans les zones de combat et qu’un peu moins de 300 sont considérés comme disparus». Par ailleurs, d’autres «mentors» sont incarcérés en Irak ou dans des prisons kurdes, et la propagande s’est tarie, tant en volume qu’en qualité. «Beaucoup de contenus sont formatés, pas spécifiques au public français qui ne rêve plus de combattre sous la bannière de l’État islamique», cingle ce haut cadre du renseignement.
Une forme d’idéologie hostile à la République, qui désigne la France et les Français comme des ennemis de l’islam, appelle à la violence et imprègne des esprits perméables
Un haut cadre du renseignement
La grille de lecture des services s’est enrichie d’une nouvelle forme, la menace émanant de profils «autonomes» ou «isolés». «C’est le risque principal depuis trois ans, porté par des gens aux liens de plus en plus ténus avec les organisations terroristes», assure-t-on au sommet de la lutte antiterroriste, où l’on fait sien le concept de «djihadisme d’atmosphère» développé par Gilles Kepel. «Une forme d’idéologie hostile à la République, qui désigne la France et les Français comme des ennemis de l’islam, appelle à la violence et imprègne des esprits perméables», grimace-t-on. Outre les discours insidieux de l’islam politique, qui exacerbent la haine, la DGSI observe sur internet des contenus incitant à commettre l’indicible. «Certaines vidéos sont devenues des “classiques”», note un expert, à l’image de cette séquence réalisée par Daech qui montre comment tuer au couteau. Cette scène insoutenable a été visionnée par Leila B., 18 ans, fascinée par l’ultraviolence et interpellée en avril dernier à Béziers alors qu’elle cherchait à confectionner une bombe. Plus récemment, le terroriste de Rambouillet avait regardé des nasheed, des chants religieux, avant de tuer.
Six profils de djihadistes se dégagent
Les neuf derniers auteurs d’attentat étaient jusqu’alors tous inconnus des services. Après analyse, les experts ont dressé une nouvelle typologie. Parmi ceux affichant une «motivation profondément religieuse» figure le Pakistanais auteur de l’attaque au hachoir du 25 septembre 2020, devant les anciens locaux de Charlie Hebdo. Devant les policiers, cet intégriste a assumé son geste en expliquant qu’on n’insulte pas le Prophète. Pour illustrer la «motivation plus politique», les praticiens de l’antiterrorisme citent l’attaque à la voiture-bélier de trois policiers à Colombes le 27 avril 2020. Muni d’une lettre d’allégeance à l’État islamique, l’auteur revendiquait quinze ans d’engagement pour la cause palestinienne. La catégorie des «profils ultraviolents, fascinés par une violence morbide», peut quant à elle être incarnée par la jeune terroriste de Béziers ou encore par Chérif Chekatt, qui avait tué cinq personnes au marché de Noël à Strasbourg, en décembre 2018.
Pour le profil des «dépressifs», Jamel Gorchene, le tueur de Stéphanie Monfermé au commissariat de Rambouillet le 23 avril dernier, fait figure d’archétype. «Très mal dans sa peau en raison d’une crise existentielle, ce fils d’un musulman très rigoriste avait des inclinaisons homosexuelles non assumées, révèle une source informée. Ses proches ont tenté de l’exorciser au travers d’une roqya en Tunisie, où un mariage lui était promis avec une femme.» En proie à un «bouillonnement intérieur», il est passé à l’attaque la veille ou l’avant-veille de son départ programmé. Outre les «cas psychiatriques avérés», comme Nathan Chiasson, schizophrène qui a tué une personne et blessé deux autres au cri d’«Allah akbar» le 3 janvier 2020 à Villejuif, l’antiterrorisme français se dit enfin «très préoccupé» par le «profil très jeune» de certains assaillants. Ce fut le cas de cet adolescent mosellan de 15 ans, interpellé en octobre par la DGSI, près de Metz.
La mutation de la menace n’épuise pas d’autres risques bien réels
La DGSI a identifié quatre risques. D’abord, il y a l’impact de la situation syro-irakienne: l’EI y mène chaque jour des attaques, en particulier dans le désert de la Badiya, où des groupes terroristes ont été repérés. «Résilients, ils n’ont pas renoncé à frapper», prévient une source de tout premier plan. Sur zone, 150 adultes français ou originaires de France restent actifs dans le nord-ouest du pays du côté d’Idlib. Parmi ces profils «chevronnés», figurent les combattants de la Katiba Diaby ou du HTS (Hayat Tahrir al-Cham, organisation du Levant). La vigilance est aussi de mise pour les quelque 200 adultes et 300 mineurs français retenus dans les camps kurdes et décrits comme «hyper hostiles à la France».
Concernant les autres théâtres de djihad, la situation de l’Afghanistan inquiète les services français, avec un retour probable au pouvoir des talibans toujours en lien avec al-Qaida. Idem pour la zone sahélienne: si le désert y est par définition peu attractif pour y instaurer un califat idéalisé, la région sous tension pourrait déstabiliser l’Algérie. Parmi les autres facteurs de vigilance, la DGSI porte une attention accrue sur les membres de certaines communautés, notamment pakistanaise et égyptienne, installées en France. Sous l’influence de prédicateurs, les plus radicaux seront d’autant plus surveillés, le 8 septembre avec l’ouverture, le 8 septembre, du procès des attentats de 2015. Enfin, reste l’épineux sujet des «frustrés du djihad», entravés et incarcérés avant leur passage à l’acte, entre 2014 et 2019. Autant de «profils très endurcis», animés d’une réelle soif de revanche.
L’antiterrorisme riposte sur tous les fronts
Confrontés au casse-tête d’assaillants inconnus des radars et susceptibles de basculer en quelques heures, les services sont confrontés au défi de la détection. Si la technique de l’algorithme, chargée de «chaluter» des données sur les réseaux, est jugée «encourageante», elle doit s’affiner. Misant plus que jamais sur le renseignement humain, qui reste le meilleur moyen pour jauger une «cible» et ses intentions mortifères, les services de renseignement ont fluidifié les échanges sous le chef de filât de la DGSI. En outre, la Sécurité intérieure veille à maintenir en l’état la réactivité de la chaîne des signalements mise en place depuis 2015, tandis qu’un travail se poursuit pour modéliser les passages à l’acte et forger un inédit outil de détection.
Après avoir instauré un «dialogue structuré» avec la communauté médicale en charge des profils «psy», la DGSI a décidé de dégager plus de moyens pour traiter de «manière plus significative» les signalements de la plateforme Pharos qui n’ont pas pu être gérés dans le cadre légal de l’apologie. Sur le terrain, tandis que la DGSI a pris en compte 106 sortants de prison en 2020 et au moins 59 cette année, l’État maintient la pression, avec 209 expulsions d’étrangers en situation irrégulière fichés au FSPRT et 538 visites domiciliaires menées depuis octobre 2017. Ce qui a permis de déjouer deux attentats ces six derniers mois.