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Publié le 17 Mars 2021

Interview Crif - "La Lutte contre le racisme et l’antisémitisme me tient à cœur tant elle est révélatrice de l’état de notre société", Christian Estrosi

En janvier 2021, le Conseil municipal de Nice a adopté à l'unanimité la définition de l'antisémitisme de l'IHRA (Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste), déterminant les différentes formes de l'antisémitisme et permettant ainsi de lutter contre l'antisémitisme et les formes de haines. Nous avons posé au Maire de Nice, Christian Estrosi, plusieurs questions en lien avec les diverses missions du Crif.

Monsieur Christian Estrosi, Maire de Nice a répondu aux questions de Robert Ejnes, Directeur Executif du Crif. Christian Estrosi est également Président de la Métropole Nice Côte d’Azur et Président délégué de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Le Crif : Le 29 janvier, le Conseil municipal de Nice a adopté à l'unanimité la définition de l'antisémitisme de l'IHRA, l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, déterminant les différentes formes de l'antisémitisme, notamment dans ses nouvelles formes d'antisionisme et de haine d'Israël. Cette définition a été adoptée par l'Assemblée nationale et par le Conseil de Paris, mais le Conseil municipal de Nice est le seul qui l'ait adopté à l'unanimité. Comment cette définition va-t-elle permettre de lutter contre l'antisémitisme et les formes de haines, et comment expliquez-vous cette unanimité niçoise ?

Christian Estrosi : La Lutte contre le racisme et l’antisémitisme, délégation que j’ai confiée à mon adjointe Martine Ouaknine, également en charge du Devoir de Mémoire, est un combat de tous les jours. Il me tient à cœur tant il est révélateur de l’état de notre société. Et en tant que personnalité publique et politique, j’ai la responsabilité de tirer la sonnette d’alarme.

Depuis 2017, le nombre d’actes antisémites en France a augmenté de 121%, passant de 311 en 2017 à 687 en 2019. Les expressions publiques de cet antisémitisme, sous différentes formes, et notamment celles évoquées dans les conclusions de l’enquête IFOP du 4ème trimestre 2019, relatent que 34 % des Français de confession juive se sentent souvent ou de temps en temps menacés, contre 8 % pour le reste de la population. Ces chiffres traduisent la permanence et le développement d’un antisémitisme du quotidien que je refuse catégoriquement de voir se banaliser.

Il me paraissait donc essentiel que nous intégrions dans nos travaux la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste. Cette définition nous servira d’abord d’instrument d’orientation utile en matière d’éducation et de formation, dans la continuité des nombreuses actions éducatives que nous menons et soutenons pour la mémoire et la prévention des préjugés de toutes sortes. Elle pourra être utilisée dans des contextes de formation, des lexiques, manuels, guides pour l’enseignant, etc. Cette définition permettra également de soutenir les autorités judiciaires et répressives dans les efforts qu’elles déploient pour détecter et poursuivre les attaques antisémites de manière plus efficiente et efficace.

Il est important de préciser que cette définition n’a pas pour but de soutenir ou non la politique de l’Etat d’Israël qui est souveraine, mais plutôt de lutter plus activement contre l’antisémitisme en France et dans nos quartiers, en intégrant cette donnée essentielle, d’ailleurs adoptée par l’Assemblée nationale et l’Union européenne. L’opposition niçoise l’a très bien compris et je suis fier d’avoir présidé le seul Conseil municipal de France qui se soit prononcé à l’unanimité pour adopter cette délibération à la portée si symbolique.

 

La ville de Nice est jumelée avec Netanya, et a plusieurs accords avec des institutions scientifiques et universitaires israéliennes.  La gestion de la crise sanitaire par Israël a été particulièrement efficace. Avez-vous échangé avec vos partenaires israéliens pendant la crise ? Ces échanges vous ont-ils inspiré pour Nice, la Métropole et la Région ?

Christian Estrosi : Nice est un partenaire actif de la coopération décentralisée franco-israélienne et entretient des liens fervents de jumelage, d’amitié et de solidarité avec Netanya, sa ville sœur depuis plus de 50 ans. Ce jumelage est l’un de nos plus anciens, il se caractérise par une relation forte et singulière, qui s’exprime bien au-delà des aspects formels et du caractère officiel des jumelages traditionnels.

J’ai toujours été très attentif à ce qui était expérimenté en Israël, une véritable start up nation qui a toute mon admiration. Je garde en mémoire ma visite à Haifa il y a quelques années, où j’ai pu notamment assister, impressionné, à la transformation d’un parking en unité capable d’accueillir des lits d’urgence. À la suite de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice, j’ai tenu à faire appel au savoir-faire israélien pour expertiser nos installations et préconiser les meilleures mesures de sécurité à envisager.

Je pense que nous avons beaucoup à apprendre d’Israël qui, il faut le dire, a beaucoup d’avance sur la France en matière de gestion de crise et de lutte contre le terrorisme. J’ai réitéré à l’ambassadeur Daniel Saada, au cours d’un récent entretien, ma volonté de développer encore davantage d’échanges et accords de coopération avec Israël.

 

Vous avez inauguré le Mur des déportés en janvier 2020. La Ville de Nice entreprend de nombreuses initiatives pour la Mémoire. Comment ces manifestations permettent-elles de lutter effectivement contre l'antisémitisme et les haines et contre l'oubli de la Shoah ?

Christian Estrosi : Il est important que nos jeunes deviennent les « témoins des témoins », comme ont pu le dire Simone Veil et Elie Wiesel lors d’un grand colloque à Nice sur la Mémoire. Nos témoins rescapés disparaissent, je pense à Annette Cabelli, ou à mon ami Charles Gottlieb, qui a accompagné pendant plus de 15 ans tous les collégiens lors des voyages de la Mémoire à Auschwitz que j’ai initiés dès 2004 avec Martine Ouaknine, alors Présidente du Crif.

C’est dans cette volonté d’être passeurs de mémoire que nous avons inauguré le Mur des déportés, à l’occasion du 75ème anniversaire de la Libération des camps en janvier 2020. Ce monument de 3,22m de haut et 5,88m de long, réalisé selon le modèle du Mémorial de la Shoah à Paris, rend hommage aux Juifs déportés entre 1942 et 1944 vers les camps de concentration depuis la gare de Nice, parmi lesquels Simone Veil (alors Simone Jacob) et Arno Klarsfeld (père de Serge Klarsfeld). Sur ce mur, figurent ainsi la liste nominative des déportés, soit 3.603 noms, établie sous l’autorité morale de Serge Klarsfeld et du Mémorial de la Shoah. Je veux d’ailleurs rendre hommage à Serge et Beate Klarsfeld, qui ont tant donné à Nice pour reconstituer les fichiers des personnes déportées et à leur combat contre les extrêmes.

La construction de ce mur s’inscrit dans la lignée des nombreuses actions honorant le devoir de mémoire entreprises par la Ville de Nice telles que le Mur des Justes inauguré en 2014 et portant les noms des Justes des Alpes-Maritimes qui ont sauvé des Juifs durant la Seconde Guerre Mondiale, ou encore la participation aux voyages de la mémoire à Auschwitz. Ce projet d’envergure, inédit à l’époque, a depuis été reconduit par les Présidents qui m’ont succédé au Département.

Nous sommes également en lien régulier avec Yad Vashem et le Mémorial de la Shoah pour renforcer ce devoir de mémoire, indispensable aujourd’hui dans cette époque stupéfiante où les démons de l’antisémitisme reviennent de façon plus insidieuse encore avec la crise sanitaire. Nous avons aussi inauguré au Musée Masséna l’exposition Charlotte Salomon, puis celle consacrée à Beate et Serge Klarsfeld. Une boîte aux lettres à l’effigie de Simone Veil a été réalisée par l’artiste C215 pour rendre hommage à cette grande dame et « résister » aux actes de vandalisme survenus à Paris sur ces mêmes boîtes aux lettres. Ces dernières années, nous axons aussi beaucoup nos actions de sensibilisation et de lutte contre la haine sur les réseaux sociaux.

Résister doit être notre mot d’ordre.

 

Le Crif : Vous avez lancé le Mouvement « La France audacieuse », afin de renforcer le rôle des territoires dans les crises. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Christian Estrosi : Dès 2017, avec un grand nombre de Maires et d’élus de toute la France, j’ai lancé un mouvement politique, La France Audacieuse, dont la vocation est de porter la voix des territoires.

Ce mouvement apporte une nouvelle offre politique à ceux qui se reconnaissent dans les acteurs locaux pour porter leurs voix dans une logique de dépassement. Il rassemble élus et citoyens, de la droite et du centre, convaincus que la France a besoin de l’audace des territoires pour se réformer. Ce message, que nous portons depuis plus de 3 ans, a trouvé une résonnance particulière avec la crise sanitaire. Les élus locaux ont démontré leur capacité à se suppléer à l’État, sans aucune polémique. La France des territoires, c’est la France des solutions. Sur la crise, comme dans de nombreux sujets qui méritent des mesures de décentralisation immédiates et concrètes, il est temps que la France fasse confiance aux maires.

Ne serait-ce qu’à Nice, j’ai mis en place une cellule de risque et de gestion des risques qui a piloté plusieurs actions de soutien aux personnes âgées isolées chez elles (paniers de première nécessité, soins médicaux, appels téléphoniques…). Je me suis battu pour obtenir les équipements pour nos soignants et tout ce qui manquait cruellement : masques, gants et aujourd’hui vaccins. Nous avons mis en place, au sein de la Maison d’Accueil des Victimes, une plateforme d’écoute et d’accueil pour tous les actes de maltraitance au sein du couple mais aussi à l’égard des enfants. Cette mobilisation s’est faite également dans la Métropole que je préside, première métropole rurale de France, où la solidarité territoriale est une réalité depuis sa création. Elle s’est faite également en solidarité avec les autres collectivités périphériques à celles que je gère.

La force des territoires, à Nice comme partout en France, c’est cette capacité des élus locaux à se dépasser, qu’il soit à la tête d’une ville comme du plus petit village, pour tout donner au service des autres.