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Illustration : Paul Salmona © mahJ – Hannah Assouline
Le Crif : La collection du mahJ compte aujourd’hui plus de 12 000 œuvres, et de très nombreux fonds d’archives. Comment est composée cette immense collection permanente ?
Paul Salmona : Au départ, il y a le don par Louis Hachette au musée de Cluny d’une centaine de stèles funéraires juives mises au jour lors de la construction du siège social de l’éditeur, rue Pierre-Sarrazin : c’est en France le plus grand ensemble de stèles hébraïques médiévales et le seul trouvé in situ.
Salle Moyen Âge © mahJ – Giovanni Ricci-Novara
Nous présentons aussi la magnifique collection d’Isaac Strauss, l’arrière-grand-père de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, qui fut le premier collectionneur d’objets et de mobilier juif ; il avait acquis des judaica dans toute l’Europe et notamment une arche sainte en bois marqueté, provenant de Modène et datée de 1472, probablement l’un des plus beaux meubles « haute époque » des collections françaises. À sa mort, la collection Strauss fut acquise par Charlotte de Rothschild et donnée à Cluny, qui nous l’a déposée en 1998.
Le mahJ a aussi reçu en don en 2002 le fonds du petit musée d’Art juif ouvert rue des Saules en 1948. Enfin, depuis 1988, le mahJ a acquis des œuvres et reçu un nombre important de dons de particuliers, et de dépôts des consistoires.
Cette politique se poursuit à un rythme important chaque année. Les dons sont essentiels, car ils nous permettent d’accéder à des ensembles méconnus : archives familiales – notamment les ketoubbot –, photographies anciennes, œuvres d’artistes de l’École de Paris, œuvres d’artistes contemporains… Mais chaque acquisition est un choix rigoureux, car nous ne pouvons pas tout conserver. À la différence des musées de Berlin, Londres, Rome ou Vienne, spécifiquement dévolus au judaïsme de leur pays, le mahJ est avec le musée d’Israël et le Jewish Museum de New York la seule collection internationale sur le judaïsme, et l’une des plus belles au monde.
Le Crif : Une grande exposition sur Marcel Proust, Marcel Proust – Du côté de la mère, est actuellement présentée au mahJ. Parlez-nous un peu de la préparation de cette exposition d’envergure et de ses objectifs.
Paul Salmona : Avec Isabelle Cahn, commissaire de l’exposition, nous explorons la judéité de l’écrivain et son empreinte dans À la recherche du temps perdu. Car on ne le sait pas toujours, si Marcel est le fils d’un médecin catholique originaire d’Illiers, en Eure et Loir, sa mère, Jeanne Weil, est née dans une famille juive parisienne originaire d’Alsace. Grâce à Antoine Compagnon, nous mettons en évidence l’importance de cette hérédité à travers l’arbre généalogique de Baruch Weill, l’arrière-grand-père de l’écrivain, un dynamique porcelainier qui fut aussi le mohel (circonciseur) de la première synagogue consistoriale édifiée à Paris, dont il acquit le terrain rue Notre-Dame de Nazareth.
Nous montrons aussi le milieu israélite dans lequel est élevé Marcel, notamment au lycée Condorcet où se retrouvent les fils de familles juives républicaines. Nous soulignons le rôle de Jeanne Weil dans l’éducation esthétique et la formation littéraire de son fils, avec de magnifiques œuvres de Whistler, Monet ou Caillebotte. Nous illustrons aussi les sociabilités juives de la côte normande (déjà !), que fréquente l’écrivain, avec des toiles de Boudin, Dufy, Helleu, Vuillard…
Nous soulignons l’importance du Livre d’Esther dans la complicité de la mère et du fils, qui se donnent la réplique avec les vers de Racine. Les descendants de Robert Proust, nous ont d’ailleurs prêté un magnifique tableau de Frans Francken le jeune, représentant Esther et Assuérus, qui appartint à Marcel. Une section développe l’engagement de Proust dans l’affaire Dreyfus. Et l’on retrouve aussi des œuvres qui évoquent l’homosexualité de l’écrivain, ou sa passion pour les Ballets russes, avec des toiles magnifiques de Jacques-Emile Blanche et Pierre Bonnard.
Enfin, nous abordons la réception de Proust par les revues sionistes dans les années 1920. Comme beaucoup de nos manifestations, cette exposition montre une « part juive », souvent oubliée, de l’histoire de France, mais c’est aussi et surtout un enchantement pour l’œil et l’esprit.
Vue de l’exposition « Marcel Proust. Du côté de la mère » © mahJ – Christophe Fouin
Le Crif : Toute l’année, le mahJ propose des rencontres, des conférences, des concerts ou encore des projections autour de ses collections et de ses expositions temporaires. Quels sont les prochains grands rendez-vous à ne pas manquer ?
Paul Salmona : L’auditorium organise plusieurs manifestations par semaine :
Fête de la Musique, Cour d’honneur, 2017 © mahJ – Paul Allain
Il y a aussi toutes les activités d’éducation et de médiation, comme les ateliers Proust au mois de juillet. Autant de bonnes raisons pour devenir « Ami du mahJ », ce qui offre de nombreux avantages pour 35€ par an, et la certitude de ne rien rater de ce programme très riche.
Le Crif : Aujourd’hui, c’est la Journée internationale des Musées. Quelles sont les relations du mahJ avec les musées juifs d’Europe et, plus largement, du monde ? Travaillez-vous ensemble à certaines occasions ?
Paul Salmona : Actuellement nous accueillons en résidence Maya Katznelson et Zakhar Dudzinski, les fondateurs du Jewish Cultural Heritage Center de Biélorussie, qui résident actuellement à Riga en Lettonie. Ce musée est virtuel.
Nous avons des relations étroites avec la plupart des musées juifs européens et américains, notamment pour les prêts d’œuvres et les projets d’exposition. Notre exposition « Chagall, Modigliani, Soutine… Paris pour école, 1905-1940 » va être présentée au Jüdisches Museum de Berlin en 2023. Et nous sommes à l’affût de leurs innovations muséographiques permettant de faire accéder tous les publics à la richesse et la diversité des cultures du judaïsme.