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Publié le 19 Décembre 2023

L'entretien du Crif - Ilana Cicurel : l’Europe doit stopper l’antisémitisme des manuels scolaires palestiniens

Députée au Parlement européen, Ilana Cicurel, spécialiste des questions d’Éducation et de Culture, rappelle les mesures prises par la France, dont le plan d’actions « est l’un des plus volontaristes » dans le cadre d’une stratégie européenne de lutte contre l’antisémitisme. Elle demande à la Commission européenne d’aller plus loin, notamment en ce qui concerne les dérives récemment mesurées dans des Universités européennes, elle vient aussi de saisir les autorités européennes pour que puisse cesser dans les manuels scolaires palestiniens, l’actuelle diffusion de représentations antisémites dans les territoires palestiniens, dont elle souligne ici, exemples à l’appui, l’ampleur et la nocivité publique.

Le Crif : Depuis le 7 octobre, nous avons assisté à une flambée d’actes et de menaces antisémites en France. Quelles actions, selon vous, sont à mener prioritairement ? Et le cadre européen est-il opérant en ce domaine ?

Ilana Cicurel : Il est sidérant de constater que la réaction à un massacre de l’ampleur de celui du 7 octobre, inédit par le degré de barbarie et de sadisme atteint, puisse se traduire par un déchaînement antisémite partout en Europe et aux États-Unis. Il faut toutefois ne pas se laisser envahir par une désespérance qui, à terme, consacrerait la victoire du terrorisme et de l’idéologie islamiste qui le sous-tend.

Ce qui sera déterminant, c’est de ne pas laisser l’opinion publique s’habituer à ce niveau d’antisémitisme et la détermination des gouvernements et des pouvoirs publics à lutter contre un fléau qui est toujours le signe de la décadence d’une société ne croyant plus en elle-même. En octobre 2021, la Commission européenne a lancé une stratégie de lutte contre l’antisémitisme qui appelle chaque État membre de l’Union européenne à mettre en place une stratégie nationale. Annoncé en janvier 2023 par la Première ministre, le plan français est l’un des plus volontaristes et mobilise l’ensemble des ministères. Le renforcement de l’efficacité des réponses, policière et judiciaire, en est un élément clé : formation des agents de la fonction publique à la lutte contre l’antisémitisme, amélioration du recueil et du traitement des plaintes, émission d’un mandat d’arrêt en cas d’infractions grave à caractère antisémite. Malheureusement, aujourd’hui seuls 13 États membres se sont dotés d’un tel plan. Le gouvernement français est déterminé à peser pour que les 27 États membres en adoptent un.

 

 

« La Commission européenne s’est dotée d’un réseau de signaleurs de confiance » pour mieux lutter contre la haine en ligne

 

 

L’Union européenne contribue aussi à la sécurité physique des citoyens juifs et vient d’allouer une enveloppe supplémentaire de 5 millions d’euros destinés à la protection des lieux juifs en Europe, qui viennent s’ajouter aux 24 millions déjà débloqués à cette fin en 2022.

J’ajoute que la lutte contre la diffusion de contenus de haine en lignes s’est considérablement renforcée avec le Digital Services Act (DSA), qui impose aux plateformes en ligne le retrait des contenus signalés sous 24 heures. La Commission européenne s’est dotée d’un réseau de signaleurs de confiance qui permet de traiter avec une vigilance particulière les contenus antisémites. 

 

 

Le Crif : Dans le domaine universitaire, on a vu de graves dérives apparaître aux États-Unis notamment. Comment expliquer un tel relativisme dans un milieu, celui du savoir, qui devrait l’exclure catégoriquement et comment l’Europe peut-elle se prémunir d’un « antisémitisme d’atmosphère », qui menace et touche les étudiants juifs ?

Ilana Cicurel : Vous avez tout à fait raison. Alors que l’université devrait être le lieu où l’on apprend le doute, la distinction entre faits scientifiquement établis et opinions  ̶̶̶  fondement de la démocratie selon Hannah Arendt  ̶̶̶  on voit s’installer dans certaines universités américaines, un terrorisme intellectuel qui conduit à une criminalisation systématique de l’État d’Israël et à un malaise des étudiants juifs. Ces derniers sont présumés coupables tant qu’ils n’ont pas montré patte blanche en adhérant à un récit imposé nourri d’une idéologie inspirée par le wokisme, qui analyse le conflit israélo palestinien sous le prisme réducteur, et en l’occurrence totalement inadapté, de l’opposition dominants/dominés, colonisateurs/ colonisés.

Depuis le 7 octobre, on a franchi un cap avec une confusion voire une inversion des valeurs qui conduit à pointer un doigt accusateur sur Israël alors même qu’il se défend contre un massacre sans équivalent depuis la Shoah et que le lancement incessant de roquettes vise délibérément à causer le plus de morts civils possible. Un sondage vient de montrer que si 80 % des Américains soutiennent Israël, 51 % des 18-24 ans seraient favorables à ce qu’Israël disparaisse au profit du Hamas !

 

 

« Il faut instaurer un mécanisme de signalement permettant une remontée systématique des incidents antisémites dans toutes les universités européennes »

 

 

Nous n’en sommes pas là en Europe mais nous avons reçu, dans le cadre des travaux du groupe de travail transpartisan de lutte contre l’antisémitisme au sein du Parlement européen (WGAS), la Présidente de l’Union des étudiants juifs européens. Elle a présenté un rapport alarmant sur les actes antisémites qui augmentent de manière exponentielle sur les campus universitaires depuis le 7 octobre. 

J’ai l’intention, en tant que membre de la commission Culture et Éducation du Parlement européen, de lancer une initiative en direction des présidents d’universités européennes pour qu’il y ait une prise de conscience du phénomène et que nous puissions mettre en place un mécanisme de signalement permettant une remontée systématique des incidents antisémites et élaborer une stratégie commune. Cela passe aussi par des programmes éducatifs qui, tout en respectant la diversité des regards qui peuvent être portés sur ce conflit, permettent d’acquérir un socle de connaissances partagé. Si la jeune génération veut œuvrer pour la paix, il faut commencer par regarder ce conflit pour ce qu’il est : un conflit complexe et tragique et que l’on cesse de plaquer sur lui des conflits non résolus avec lesquels il n’a rien à voir. 

 

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Le Crif : L’Union européenne accorde une aide substantielle à l’Autorité palestinienne. Comment cette aide peut-elle à l’avenir être mieux contrôlée ou conditionnée ? Concernant l’éducation et les manuels scolaires en particulier, quelles sont les constats que vous dressez et les actions que vous préconisez ?

Ilana Cicurel : Mais il y a aussi toute une révolution à mener dans le domaine de l’Éducation et certains États membres comme la France et l’Autriche sont plutôt bons élèves en la matière !

Je me réjouis que le Ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, vienne de signer un nouveau partenariat avec l’UNESCO pour renforcer la formation des enseignants et de l’ensemble des personnels de l’Éducation, à tous les niveaux, pour déconstruire les préjugés antisémites et les sensibiliser aux formes contemporaines de l’antisémitisme. Une enveloppe de 600 000 euros y sera consacrée. Cela s’inscrit dans le prolongement de la stratégie de lutte contre l’antisémitisme que l’UNESCO avait présentée lors d’un événement que j’avais accueilli au Parlement européen, en partenariat avec le Congrès juif européen en mai dernier. 

 

« Nous pouvons agir comme premier bailleur de fonds dans les territoires palestiniens. Car on ne prépare pas la paix quand, dans les manuels palestiniens, on désigne les juifs comme intrinsèquement "menteurs, escrocs et corrompus" »

 

 

Pour revenir au conflit israélo-palestinien, l’Éducation a un rôle crucial à jouer pour rendre à nouveau possible un horizon de paix. Comme je l’ai rappelé récemment en hémicycle en interpellant le Haut Représentant Josep Borell, nous sommes en tant qu’Européens, porteurs d’une promesse. Nous avons su construire la paix entre des nations ennemies après avoir fait usage de la violence nécessaire pour défaire le nazisme. Au-delà de la diplomatie, nous pouvons agir comme premier bailleur de fonds dans les territoires palestiniens, en particulier sur l’éducation. Car on ne prépare pas la paix, dans les manuels palestiniens, quand on désigne les Juifs comme intrinsèquement « menteurs, escrocs et corrompus », quand on glorifie une femme martyre ayant tué 13 enfants en appelant les élèves à s’en inspirer, quand on propose en fin de primaire un exercice de mathématiques qui invite les élèves à compter les cercueils de « martyrs » ou quand on illustre la loi de Newton par un enfant lançant une pierre sur un soldat israélien ! Ce ne sont que quelques exemples parmi de très nombreux qui sont malheureusement représentatifs de l’éducation à la haine omniprésente dans le système scolaire palestinien.

En tant que membre de la Commission du contrôle budgétaire des fonds européens, j’ai déposé un amendement qui a reçu une large majorité en séance plénière au printemps dernier et demande à la Commission européenne d’exiger la suppression de ces passages antisémites et d’incitation à la haine qui contribuent au rajeunissement des terroristes que l’on constate.

 

« Il faut aller plus loin en exigeant une refonte totale du curriculum scolaire et de la formation des professeurs. Nous ne pouvons plus fermer les yeux »

 

 

Le Crif : À propos de la guerre Israël-Hamas, on voit les divergences entre pays européens concernant « le cessez-le-feu immédiat », demandé par certains États (dont la France ou l’Espagne), refusé par d’autres (comme l’Autriche ou la Tchéquie), d’autres s’étant abstenus lors du vote de l’ONU (comme l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne). L’Union européenne peut-elle, à terme, retrouver une voix commune sur l’avenir du Proche-Orient, l’avenir des Palestiniens pourra-t-il se dessiner sans le Hamas, et êtes-vous optimiste sur les capacités européennes de peser sur la construction de « l’après » [guerre] ?

Ilana Cicurel : Comme vous le savez, l’Union européenne n’a pas véritablement de diplomatie. Et force est de constater que l’on fait face à une polyphonie plutôt qu’à une voix unifiée concernant le conflit. Je tiens à souligner que le Parlement européen a voté à une écrasante majorité, le 16 octobre dernier, une résolution équilibrée qui condamne les actes terroristes du Hamas, reconnaît le droit d’Israël à se défendre dans le respect du droit international et humanitaire et appelle à des « pauses humanitaires ». La tentative de demander un cessez-le-feu immédiat, demandé par certains avaient été rejetés. Je ne suis pas sûr que le même résultat serait obtenu aujourd’hui.

L’Europe peut-elle jouer un rôle pour préparer l’après ? Je reste convaincue que la force de l’Union, c’est son statut de principal bailleur de fonds des territoires palestiniens. Il doit y avoir un avant et un après 7 octobre. La

Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, annonce un examen approfondi pour vérifier que les fonds versés n’ont pas pu indirectement financés les terroristes du Hamas.

Le premier volet a annoncé qu’aucun détournement n’était à déplorer. Il faut aller plus loin en exigeant et en accompagnant une refonte totale du curriculum scolaire et de la formation des professeurs. Nous ne pouvons plus fermer les yeux. Il ne s’agit pas seulement d’assurer la sécurité mais aussi d’offrir aux enfants palestiniens un droit à une éducation à part entière qui leur permette l’acquisition de savoirs et de compétences propres à leur donner un avenir professionnel et une perspective d’émancipation.

 

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet, le 18 décembre 2023

 

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n'engagent que leurs auteurs -