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Publié le 23 Mai 2024

L'entretien du Crif - Jean-Luc Moudenc : « Il faut dissoudre les collectifs propageant la haine et l’antisémitisme »

Le Maire de Toulouse et Président de Toulouse-Métropole, Jean-Luc Moudenc, préconise ici une action « ferme et courageuse » des autorités. Observant une « corrélation, lamentable et instrumentalisée, entre l’action d’Israël et la perception des juifs », qui « vire à l’israélophobie » et « confond soutien à la cause palestinienne et haine envers les juifs » - « voilà la nouvelle forme publique de l’antisémitisme » déclare-t-il, le premier vice-Président (sans étiquettes) de France Urbaine (fédération des plus grandes villes de France), en réponse aux questions de Jean-Philippe Moinet, ajoute : « Notre vigilance doit s’exercer à l’égard des collectifs qui, au prétexte du soutien à la cause palestinienne, encensent le Hamas, propageant ainsi la haine et l’antisémitisme. De même, la négation du terrorisme islamiste dans le progrom du 7 octobre doit être punie. J’appelle au courage de nos dirigeants pour la dissolution de ces collectifs ».

Le Crif : Vous avez réagi à la récente et honteuse profanation du « Mur des Justes » à Paris - érigé en mémoire des victimes de la Shoah. Déplorez-vous dans votre ville de Toulouse aussi des actes manifestant la flambée d’antisémitisme qui a suivi le 7 octobre, et de quels types sont-ils ?

Jean-Luc Moudenc : Comme en 2012, après l’horreur des attentats d’Ozar Hatorah, nous avons observé, après le 7 octobre, une recrudescence de l’antisémitisme et cela, avant même la réplique israélienne. Cet antisémitisme s’est exprimé de manière diverse. En effet, des tags antisémites sont vite apparus sur les murs du collège des Ponts-Jumeaux et aux abords de l’Université du Mirail. Le tripode que nous avons installé avec le CRIF, en soutien des otages du 7 octobre, a été régulièrement l’objet de souillures et de crachats, bien que nos services les aient effacés à chaque fois, dès signalement. Les insultes antisémites à destination d’étudiants juifs se sont multipliées, les conduisant à se sentir en danger et à ne plus se rendre dans leurs propres universités. Et puis, il y a aussi un antisémitisme qui a progressé à bas bruit sur les réseaux sociaux, peut-être moins visible mais davantage pernicieux, donc tout autant destructeur.

Lorsque je me suis rendu à l’Espace du Judaïsme de Toulouse, le 11 octobre dernier, ou lors du rassemblement contre l’antisémitisme, le mois suivant, où 7000 personnes étaient présentes, plusieurs membres de la communauté juive de Toulouse me confiaient qu’ils avaient dû changer certaines de leurs habitudes, comme ne plus avoir recours aux services de livraison Uber en raison de leur nom, ne plus porter l’étoile ou la Kippa ou encore retirer leur mezouzah devant leur maison.

Ces témoignages dégagent une forte et terrible impression de déjà-vu. Trop de nos compatriotes juifs sont obligés de cacher leur judéité par peur d’être une cible car ils sont tenus responsables de ce qui se passe au Proche-Orient. Cette corrélation, lamentable et instrumentalisée, entre l’action d’Israël et la perception des juifs, vire à l’israélophobie, confondant soutien à la cause palestinienne et haine envers les juifs : voilà la nouvelle forme publique de l’antisémitisme qui ne dit pas son nom et dans le piège de laquelle il ne faut pas tomber !

 

 

« La négation du terrorisme islamiste dans le progrom du 7 octobre doit être punie. J’appelle au courage de nos dirigeants pour la dissolution de ces collectifs »

 

 

Le Crif : Face à la montée de l’antisémitisme en France et en Europe, quels types de mesures vous semblent les plus importantes et urgentes à prendre ou à renforcer ?

Jean-Luc Moudenc : Il faut prendre le sujet à bras le corps, agir et être intraitable. Nous ne pouvons laisser les Français de la communauté juive plongés dans une profonde inquiétude face à cette nouvelle montée de l’antisémitisme. Alors que nous venons d’éviter, de justesse, l’incendie d’une synagogue à Rouen, nous savons qu’à tout moment, un autre drame peut survenir.

Dans la situation actuelle, notre vigilance doit s’exercer à l’égard des collectifs qui, au prétexte du soutien à la cause palestinienne, encensent le Hamas, propageant ainsi la haine et l’antisémitisme. De même, la négation du terrorisme islamiste dans le progrom du 7 octobre doit être punie. J’appelle au courage de nos dirigeants pour la dissolution de ces collectifs. Mais il faut reconnaître que, si les femmes et les hommes politiques ont une responsabilité importante, certaines décisions de la justice administrative, parfois au plus haut niveau, surprennent et annihilent ce courage.

Nos magistrats sont de fidèles serviteurs républicains de l’Etat de Droit, faisant en cela leur travail, mais parfois en poussant jusqu’au bout cette logique de l’Etat de Droit, certaines de leurs décisions - pas question de généraliser - aboutissent à l’impunité de ceux qui, chaque jour, travaillent avec détermination à la destruction de ce même État de Droit. Ce paradoxe dangereux mérite une urgente réflexion et la recherche d’une solution. Cela ne sera pas facile mais ne pas entreprendre cette démarche au motif de cette complexité serait mortifère pour notre société et les valeurs humanistes qui la fondent. Notre société doit se défendre et toutes les institutions républicaines doivent contribuer à ériger cette défense à l’aune des menaces actuelles, l’institution judiciaire également. Car on ne peut se contenter de faire du juridisme !

 

 

« Pourquoi les réseaux sociaux seraient-ils exonérés de l’ordre républicain en vigueur sur l’espace public ? L’impunité sur internet doit être abolie ! »

 

 

Le Crif : Les haines sur les réseaux sociaux ne doivent-elles pas cesser ?

Jean-Luc Moudenc : Nous avons un travail de fond, éducatif et citoyen, à mener pour renforcer la prévention de l’antisémitisme. Sa résurgence doit nous convaincre d’interdire enfin l’anonymat sur internet qui permet, notamment aux réseaux sociaux, de servir de véritables déversoirs de haine où pullulent les insultes antisémites. Pourquoi les réseaux sociaux seraient-ils exonérés de l’ordre républicain en vigueur sur l’espace public ? Mettre fin à cette anomalie choquante est une condition majeure pour retrouver paix et liberté. L’impunité sur internet doit être abolie !

Cette prévention s’accompagne de la promotion de la recherche sur l’antisémitisme contemporain, de l’éducation et de la mémoire de la Shoah. Après l’antisémitisme d’extrême-droite, aujourd’hui « dormant », nous sommes confrontés à l’antisémitisme keffieh, alimenté par une extrême-gauche très proactive, qui concerne tous les pays européens et qui a entrepris de mettre sous sa tutelle les établissements d’enseignement supérieur dont les directions n’ont pas la culture de l’autorité ou de la fermeté qui seraient nécessaires mais plutôt celle de l’éternel débat, lequel vire toujours à la domination des gauchistes. Sur ces différents angles, c’est donc une véritable stratégie de combat que devront produire les « Assises de lutte contre l’antisémitisme » que le Gouvernement projette d’organiser.

 

 

« La déception envers les partis traditionnels donne un résultat sans appel : la gauche est éclatée, la droite et le centre réduits et la majorité actuelle en difficulté »

 

 

Le Crif : Dans le sillage des mandats municipaux de Dominique BAUDIS, vous avez toujours manifesté votre attachement à la construction européenne. Comment expliquez-vous, aujourd’hui, le niveau si élevé – mesuré par les instituts de sondages – du parti nationaliste d’extrême droite, le RN ? Et comment, sur quel axe d’arguments, est-il selon vous possible le 9 juin prochain de limiter le niveau de la liste lepéniste menée par Jordan Bardella aux élections européennes ?

Jean-Luc Moudenc : Le RN engrange les fruits amers de la profonde désillusion, voire exaspération, des Français envers les formations politiques qui gouvernent ou ont gouverné notre pays. Chaque jour, ils sont les témoins, et parfois les victimes, tout à la fois du recul de l’autorité de l’Etat, de l’éloignement des services publics en milieu rural, de l’incapacité de l’Etat à contrôler le territoire national et son immigration, de l’impunité grandissante provoquée par certaines décisions de justice et l’inefficacité des peines prononcées. Sur ces questions, au fil du temps, les positions d’autorité et de fermeté ont été abandonnées par les partis de gouvernement à l’extrême-droite.

La déception envers les partis traditionnels donne un résultat sans appel : la gauche est éclatée, la droite et le centre réduits et la majorité actuelle en difficulté.

Face à cette décrépitude, les électeurs cherchent des alternatives. Les populismes, les simplismes et les extrémistes en bénéficient sur l’air du « essayons les seuls que nous n’avons pas encore essayés ». Le seul moyen de faire face à la montée des extrêmes, et du RN en particulier, est de répondre aux vraies aspirations des gens en réinvestissant sans complexe, par des actes et non des paroles, des thèmes comme la sécurité, l’immigration et le pouvoir d’achat. En remettant l’Etat au bon endroit et en le renforçant, nous pourrons construire une France et une Europe plus protectrices, plus efficaces et plus durables.

 

 

« La lutte contre l’antisémitisme n’est évidemment pas l’affaire des seuls juifs.  C’est par un réarmement républicain général qu’on fera reculer l’antisémitisme »

 

 

Le Crif : Pour les mois et années qui viennent, quelles sont les évolutions que vous appelez le plus de vos vœux, concernant le fonctionnement de la démocratie française ?

Jean-Luc Moudenc : Je ne considère pas que le remède principal soit dans les réformes institutionnelles à proprement parler, contrairement aux discours politiques ou médiatiques les plus entendus. Le premier remède c’est d’avoir des femmes et des hommes politiques courageux, qui agissent en écoutant le peuple et en faisant fi de la pensée dominante - à prétention unique et souvent très parisienne à vrai dire - qui dicte depuis de longues années notre vie intellectuelle, médiatique et politique. L’autre remède réside dans une réforme constitutionnelle qui, sans toucher à l’organisation des pouvoirs publics, revisiterait le curseur laissé à la jurisprudence pour protéger la République elle-même.

Vous l’avez compris : dans mon esprit, la lutte contre l’antisémitisme n’est évidemment pas l’affaire des seuls juifs, c’est l’affaire de la France, de la République française toute entière. C’est donc par un réarmement républicain général - et j’emploie à dessein ce mot fort et offensif de « réarmement » - qu’on fera reculer l’antisémitisme. Le combat contre la résurgence antisémite est consubstantiel avec le combat pour le renforcement de notre Démocratie française. C’est aussi en cela qu’il nous concerne tous et non une seule communauté.

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n'engagent que leurs auteurs -