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Publié le 26 Octobre 2023

L’entretien du Crif – Jean-Michel Blanquer : « c’est une guerre entre la liberté et ses ennemis »

L’ancien Ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, Professeur de droit public (Université Paris II) est Président du « Laboratoire de la République » (think tank). Il nous déclare que « le combat à mener, pour la liberté et contre le terrorisme, ne souffre pas de bémol ni de relativisme ». À ses yeux, la clairvoyance impose d’«être sans réserve en lien avec les parties prenantes de la paix, dont on sait qu’elle se fera nécessairement sans le Hamas, qu’elle se fera d’abord en ayant éliminé le Hamas, organisation porteuse de mort pour les Israéliens mais aussi pour les Palestiniens ». En réponse aux questions de Jean-Philippe Moinet, il ajoute : « il faut éviter l’embrasement du Proche-Orient tout en étant très lucide sur le rôle des uns et des autres. Il faudra le moment venu réviser certains axes stratégiques de la diplomatie du « monde libre ». La realpolitik avec certains régimes peut avoir un effet boomerang », précise-t-il dans cet entretien. En France, il dénonce une série de complaisances coupables : « Il ne faut pas faire semblant, comme certains, de ne pas voir cette politique d‘expansion de l’islamisme politique qui a comme corollaire des violences de tous ordres. La société française comme les sociétés européennes sont défiées par cette violence ». Il définit le contour du combat actuel: « Ce n’est pas une guerre de religions et encore moins une guerre entre la laïcité et les religions : c’est une guerre entre la liberté et ses ennemis. »

Le Crif : Dans la période actuelle, est-ce qu’il n’y a pas un risque que l’acte et le caractère terroriste du Hamas soit en quelque sorte dissout, oublié, dans des considérations d’ordre diplomatique et politique liées notamment au conflit israélo-palestinien ? 

Jean-Michel Blanquer : Dans le contexte historique et tragique dans lequel nous sommes, il faut d’abord dire et souligner que nous avons à nous battre contre la dictature, contre la barbarie et les ignominies qui l’accompagnent. Ce qui s’est passé avec l’attaque terroriste du 7 octobre en Israël est inédit par son ampleur et sa sauvagerie. Le combat à mener, pour la liberté et contre le terrorisme, ne souffre pas de bémol ni de relativisme. Tous les défenseurs de la liberté doivent être aux côtés de ceux qui l’incarnent, en l’occurrence Israël, tragiquement agressé par les terroristes du Hamas. 

Un deuxième sujet est le conflit entre Israël et la Palestine, problème qu’il faut aborder et résoudre à un moment donné de la manière la plus constructive possible en étant capable de bien considérer les droits et les devoirs des uns et des autres. On voit bien que ce qui s’est passé peut conduire à une montée aux extrêmes. Ce serait dommageable pour tout le monde.

Il faut distinguer ces deux dimensions dans la situation actuelle. Cela est clair pour tous les esprits lucides qui veulent sincèrement contribuer à résoudre, à terme, les problèmes posés. Il faut être sans réserve aux côtés d’Israël pour sa sécurité et son droit à se défendre, et être sans réserve en lien avec les parties prenantes de la paix, dont on sait qu’elle se fera nécessairement sans le Hamas, et qu’elle se fera donc d’abord en ayant éliminé le Hamas, organisation porteuse de mort pour les Israéliens mais aussi pour les Palestiniens. 

 

« L’Iran a joué un rôle central dans l’émergence de cette guerre par procuration »

 

Le Crif : Le mot « d’abord » est important, nous sommes bien dans deux registres, le sécuritaire et le géopolitique, et deux temporalités, la première étant, pour Israël, d’assurer d’abord sa sécurité et la destruction du Hamas. Le Président de la République Emmanuel Macron, en Israël, a déclaré son souhait d’organiser une coalition internationale contre le Hamas, à l’image de ce qui a été fait contre Daesh. Qu’en pensez-vous ? 

Jean-Michel Blanquer : Le Hamas est l’une des têtes de l’hydre islamiste et terroriste, comme le sont Daech ou d’autres protubérances comme Al-Qaïda ou Boko Haram. Bien sûr, on peut noter des différences entre ces terrorismes, on peut aussi relever que derrière il y a des puissances. Il faut savoir les identifier : l’Iran a joué un rôle central dans l’émergence de cette guerre par procuration. Aujourd’hui, il faut éviter l’embrasement du Proche-Orient tout en étant très lucide sur le rôle des uns et des autres. Il va falloir faire les choses dans le bon ordre. Il faudra, le moment venu, réviser certains axes stratégiques de la diplomatie du « monde libre ». La realpolitik avec certains régimes peut avoir un effet boomerang. Pour prendre un exemple au-delà des frontières immédiates d’Israël, la France et Israël devraient s’abstenir de toute livraison d’armement à l’Azerbaïdjan puisque ce pays vient de commettre une épuration ethnique au Haut-Karabagh. Nous devons défendre l’Arménie, l’une des pointes avancées de l’esprit de liberté dans la région. Le fait que l’Azerbaïdjan puisse être un allié face à l’Iran ne justifie pas qu’Israël l’aide militairement. Ces raisonnements ont suffisamment nui jusqu’à présent. Nous avons bien trop nourri les bêtes qui nous attaquent. Ceux que l’on croit pouvoir modérer peuvent se retourner violemment contre nous. Il faut donc faire prévaloir la cohérence entre nos valeurs et les relations privilégiées que nous devons entretenir au Proche-Orient. Quand on ne fait pas cela, on se trouve pris dans un enchevêtrement de contradictions, forcément à notre détriment.

 

« Il y a des pointes avancées de la liberté dans la région. L’Arménie, Israël, le Kurdistan en sont de belles illustrations »

 

Il y a des pointes avancées de la liberté dans la région. L’Arménie, Israël, le Kurdistan en sont de belles illustrations. Des Juifs, des Chrétiens, des Musulmans, dans les trois cas, sont porteurs d’une commune vision de l’homme et de la liberté. Il y a aussi des évolutions très importantes dans certains pays, dans la bonne direction, comme dans les Émirats Arabes Unis ou en Arabie Saoudite. Et puis, on doit espérer et favoriser des évolutions dans des pays très importants qui ont aujourd’hui des gouvernements hostiles. Le cas de l’Iran est le plus emblématique. Le magnifique peuple iranien est en train de secouer une théocratie à bout de souffle. Si cela changeait demain, tout pourrait basculer vers une logique positive dans la région. Que faisons nous pour aider les oppositions si courageuses aujourd’hui ? Alors que dans le même temps les régimes autoritaires influencent avec des réussites inquiétantes nos vies politiques internes ! On le voit bien : la victoire des principes démocratiques tiendra à notre volonté, à notre cohésion et à notre cohérence stratégique. On doit éviter et la naïveté et le cynisme.

 

« L’objectif d’une coalition internationale est louable même si la question de la mise en œuvre reste posée »

 

Le Crif : Une coalition internationale contre le Hamas vous paraît-elle réaliste sur le plan militaire ? 

Jean-Michel Blanquer : L’objectif est louable même si la question de la mise en œuvre reste posée. Cela suppose une unité européenne et une unité transatlantique. Il est important aussi d’avoir des alliés dans le monde arabe pour que l’ensemble ne corresponde pas à une confrontation entre l’Occident et l’Orient mais bien à une alliance des partisans de la liberté, de la dignité humaine face au terrorisme qui nie cette dignité humaine. On peut très bien avoir des points de vue différents, par exemple sur le conflit israélo-palestinien, et constituer un front uni contre le terrorisme islamiste. La dimension militaire dépend donc de l’évolution diplomatique que j’évoquais précédemment. Elle nous renvoie à une idée simple : il faut faire coalition entre les défenseurs d’une certaine idée de la personne humaine. Edmund Burke avait écrit dans ce sens : « Quand les méchants s’allient, les bons doivent s’associer : autrement, ils tomberont un par un, sacrifiés sans regret dans une lutte implacable ».

 

« Il est très important que l’opinion publique réalise que le terrorisme islamiste nous fait la guerre »

 

Le Crif : Concernant l’opinion française, avez-vous le sentiment que le combat contre le Hamas la concerne aussi, certains cherchant à réduire ce combat à des considérations régionales limitées au Proche-Orient ? 

Jean-Michel Blanquer : Il faut distinguer l’opinion publique de la classe politique et médiatique. Concernant l’opinion publique, il est très important qu’elle réalise que le terrorisme islamiste nous fait la guerre. Je pense que bon nombre de Français en sont parfaitement conscients depuis assez longtemps du fait de la série d’attentats qui ont frappé la France. Il faut bien sûr en tirer toutes les conséquences. Le récent livre de Gilles Kepel, Prophète en son pays, nous restitue avec précision les étapes du développement de l’idéologie islamiste et de ses prolongements terroristes. Il montre bien aussi comment l’on est attaqué, harcelé, menacé dès que l’on sort la tête pour dire la vérité et défendre la liberté. Il ne faut pas faire semblant, comme certains, de ne pas voir cette politique d‘expansion de l’islamisme politique qui a comme corollaire des violences de tous ordres. La société française comme les sociétés européennes sont défiées par cette violence. La tiédeur ou la politique de l’autruche n’ont jamais rencontré de succès face à ce type de défi. 

C’est pourquoi, en premier lieu, il faut savoir nommer les choses. C’est ce que je me suis efforcé de faire depuis longtemps. Il faut en second lieu s’organiser face à cette menace. La démocratie a plus que le droit de se défendre : elle en a le devoir.

 

Le Crif : Vous avez nommé les choses, et vous vous êtes heurté aussi à ceux qui préfèrent l’évitement, par lâcheté, complaisance et/ou par calcul, non ? 

Jean-Michel Blanquer : Il y a dans le monde politique et médiatique des courants ou personnalités qui veulent clairement relativiser ou masquer cette menace, par lâcheté ou par calcul. Ils veulent détourner les regards et les esprits de l’évidence qui devient éclatante : une guerre est menée contre nous par l’islamisme radical. On voit bien les calculs électoraux et politiques que certains font. Ces dérives sont mortifères, et dangereuses. Elles sont aussi méprisantes pour nos compatriotes musulmans : certains veulent les séduire en montrant une forme d’indulgence avec l’islamisme alors qu’une majorité des musulmans, dans les sociétés européennes, n’aspirent qu’à l’intégration et à la paix. C’est sur cette majorité silencieuse que les républicains et démocrates, en France et en Europe, doivent aussi s’appuyer pour contrer efficacement les tenants de l’islamisme politique.

 

« Nous devons montrer notre capacité à défendre la démocratie, en France comme en Israël et dans le monde »

 

Notre pays intègre beaucoup mieux qu’on ne le dit : les citoyens français issus de l’immigration et amoureux de la France sont légion. Ils doivent être mis en valeur dans notre débat public et contribuer à la lutte gigantesque qui a commencé. Ce n’est pas une guerre de religions et encore moins une guerre entre la laïcité et les religions : c’est une guerre entre la liberté et ses ennemis. Il est vital de le comprendre pour que nos sociétés puissent vivre dans l’harmonie. Cela exige de ne pas verser dans la démagogie mais de rester fidèles aux grands principes républicains qui constituent notre contrat social.

 

Le Crif : Quand vous parlez des dérives vous pensez à la France Insoumise notamment ? 

Jean-Michel Blanquer : Oui, bien sûr. Et d’une façon plus diffuse il y a d’autres groupes, des médias notamment qui se sont fait la spécialité de s’acharner contre toute personne qui dénonce ces dérives, il y a des tentatives d’intimidation intellectuelle qui sont délétères et minent notre démocratie. Face à ces pressions insupportables, il est important de soutenir, valoriser et souligner le courage de tous ceux qui maintiennent haut la pensée et l’action. Je pense à toutes ces personnalités qui, dans la vie publique et médiatique mais aussi sur le terrain, nomment les choses et ne se laissent pas intimider.

Il y a un islamisme et un djihadisme d’atmosphère. Il faut prendre la mesure de ce qui se joue aujourd’hui et aller à la conquête des cœurs et des esprits dans la société française. Nous devons bien montrer aussi notre capacité à défendre la démocratie, en France comme en Israël et dans le monde. Il y a une très large majorité de Français qui peuvent se réunir autour de cette vision républicaine solide, ferme et confiante. La démocratie n’est pas l’agneau face au loup. La démocratie c’est la force, une force sereine mais une force. La démocratie doit savoir développer les défenses dont elle a besoin face aux attaques. Bien des moments de notre Histoire illustrent l’impérieuse nécessité, pour notre République et pour les défenseurs de la liberté partout dans le monde, de savoir se défendre, par le droit et par le combat. Nous sommes dans un de ces épisodes décisifs, pour nos valeurs et pour notre avenir. 

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet, le 26 octobre 2023

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n'engagent que leurs auteurs -