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Publié le 3 Février 2025

L’entretien du Crif – Juliette Méadel : dans les quartiers face aux salafistes, « il faut que la peur change de camp »

La Ministre de la Ville, Juliette Méadel, élue locale à Montrouge (Hauts-de-Seine), répond ici à nos questions sur la transmission à la fois de l’Histoire, en particulier de la Shoah, de la lutte contre l’antisémitisme et des apports de la Laïcité, notamment vers les plus jeunes des quartiers éligibles aux politiques publiques de la ville. Questionnée sur le fort pourcentage de jeunes qui déclarent leur ignorance sur la Shoah, la Ministre déclare que cette « défaillance » reflète « un échec collectif, de toute la société, de l’Éducation nationale en particulier et c’est anormal ». Répondant aux questions de Jean-Philippe Moinet, elle souligne son soutien aux associations qui œuvrent en ces domaines : « Que ce soit dans les quartiers ou ailleurs, tous les adultes, responsables politiques, éducatifs, parents, nous devons rappeler avec constance et détermination l’histoire de la Shoah et rappeler la monstruosité de cette entreprise d’extermination à échelle industrielle de tout un peuple, seulement parce qu’il était juif ». Sur l’action éducative, elle ajoute : « Il faut que tous les professeurs de France se sentent soutenus et protégés, reconnus et légitimés dans leur mission d’enseignement, en particulier en ce qui concerne l’histoire et la Laïcité. Il faut que la peur change de camp, les salafistes n’ont pas leur place dans les quartiers ».

Crédit photo : ©JOEL SAGET / AFP

 

Le Crif : Nous venons d’assister aux commémorations, nationales et internationales, de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz. Les leçons de l’Histoire sont-elles suffisamment entendues et retenues aujourd’hui, notamment les quartiers prioritaires de la politique de la ville ?

Juliette Méadel : Quand j’étais jeune, on ne parlait pas assez de la Shoah, de la France de Vichy et cela me choquait. Aujourd’hui, les commémorations de la date de la libération du camp d’Auschwitz ont le mérite d’exister, et plus personne n’ose nier la Shoah, la diffusion des témoignages des derniers survivants des camps d’extermination est un incontournable du débat public, les rappels et les récits recueillent un large écho, enfin. La mémoire du crime contre l’Humanité a au moins triomphé de l’oubli. Mais en dépit de ces commémorations, l’antisémitisme augmente au point que l’on peut s’interroger sur la capacité de notre société à en tirer les leçons qui s’imposent. Comme le disait Alain Finkielkraut, dans un essai daté de 1989, « La mémoire vaine du crime contre l’humanité », (livrant des réflexions autour du procès du bourreau nazi Klaus Barbie et de la question juive), cette mémoire ne serait-elle pas devenue vaine ?
 

 

« Il faudrait que tôt dans la scolarité tous les élèves aient été éduqués, informés des ravages du nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale et du totalitarisme »
 

 

Le Crif : Malgré tous les efforts de commémoration et l’important travail de mémoire, selon les études d’opinion de 35 à 40 % des jeunes disent ne pas savoir ce qu’est précisément la Shoah…

Juliette Méadel : Cette situation est insupportable, d’autant que l’antisémitisme s’est aggravé, cela reflète une défaillance, un échec collectif, de toute la société, de l’Éducation nationale en particulier et c’est anormal.
Il faut rappeler aussi que, jusqu’au milieu des années 90, il y a eu une négation de la responsabilité du régime de Vichy dans la déportation des Juifs de France, la France de Vichy et la collaboration ont longtemps été un sujet tabou. Les présidents de la république française, jusqu’à François Mitterrand, déposaient une gerbe sur la tombe de Philippe Pétain, il a fallu attendre Jacques Chirac pour mettre fin à cette sinistre tradition et pour que l’histoire officielle accepte de reconnaître la responsabilité directe de l’État français dans l’arrestation et la déportation des Juifs de France.
Aujourd’hui, que ce soit dans les quartiers ou ailleurs, tous les adultes, responsables politiques, éducatifs, parents, nous devons rappeler avec constance et détermination l’histoire de la Shoah et rappeler la monstruosité de cette entreprise d’extermination à échelle industrielle de tout un peuple, seulement parce qu’il était juif. Tuer avec la méticulosité du régime nazi plus de six millions de Juifs, chercher à porter atteinte à leur dignité d’homme, d’enfant, de femme, est un crime contre l’Humanité, imprescriptible. C’est la faillite de notre civilisation, la barbarie à visage humain. Pour éviter que le cauchemar ne revienne, il faut en tirer les leçons, et en transmettre le récit aux générations futures.
Il faudrait peut-être d’ailleurs rendre obligatoire dès le lycée la lecture de, L’espèce humaine de Robert Antelme, qui relate son expérience de déporté en camp de concentration nazi (livre paru pour la première fois en 1947) et de Si c’est un homme de Primo Levi, sur sa survie au camp d’Auschwitz (paru la même année).
Il faudrait aussi que, tôt dans la scolarité dès le collège, tous les élèves aient été sensibilisés, éduqués, informés au sujet des ravages du nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale et du totalitarisme comme Hannah Arendt l’a explicitement défini. Il y a plusieurs totalitarismes. Le totalitarisme soviétique a aussi été un antisémitisme d’État à l’échelle d’un empire, celui de l’ex-URSS, à cet égard, il faudrait aussi faire lire Vie et destin de Vassili Grossman aux élèves au lycée.

« Dans les quartiers, apprendre ou rappeler aux jeunes les leçons de l’Histoire et d’Auschwitz est primordial, tout comme leur montrer à quoi conduit la haine de l’autre »

 

Le Crif : Avez-vous en projet de parler ou de reparler de ces sujets avec la Ministre de l’Éducation nationale Élisabeth Borne, qui a fait des déclarations récentes et fermes, sur l’importance de renforcer l’enseignement en ce domaine, déclarations faites à l’occasion de la commémoration des 80 ans de la libération du camp d’Auschwitz ?

Juliette Méadel : Oui, naturellement, la politique de la ville a pour objectif essentiel de faire partager l’histoire et les principes structurants de la République et en particulier la lutte contre l’antisémitisme et contre le racisme. Au lendemain du 7-Octobre, j’ai lancé un appel dans la presse pour que tous les responsables de gauche rompent définitivement tout lien avec le parti des « Insoumis » de Jean-Luc Mélenchon qui entretient une ambiguïté délétère et perverse avec l’histoire de la Shoah et plus précisément avec l’antisémitisme. Il faut donc éduquer nos jeunes pour éviter que sur le terreau de l’ignorance ne fleurissent les bas instincts xénophobes et la haine de soi. Dans les quartiers, apprendre ou rappeler aux jeunes les leçons de l’Histoire et d’Auschwitz est primordial, tout comme leur montrer à quoi conduit la haine de l’autre et le totalitarisme.
 

 

« Les associations seront soutenues avec l’accent mis sur la pédagogie autour de l’histoire de la Shoah, l’histoire de l’État d’Israël aussi, depuis sa création – ses raisons, ses racines – jusqu’à aujourd’hui »

 

©Ministère de la Ville

 

Le Crif : Au-delà de l’Histoire à rappeler, il y a l’actualité de ce qu’un Gilles Kepel a appelé « l’antisémitisme d’atmosphère » qui, dès le 7-Octobre (et avant même toute riposte de l’armée israélienne à l’attaque terroriste du Hamas), a déferlé en France. Selon vous, quel est l’axe prioritaire des actions pour faire face à ce fléau ?

Juliette Méadel : L’axe prioritaire repose sur l’inlassable instruction, par l’Éducation mais aussi par le cinéma, la culture, des voyages dans les sites des camps d’extermination. Le soutien de l’État à toutes les associations qui œuvrent si utilement à la transmission de l’histoire et à la prévention de la haine est indispensable et je veillerai à ce qu’elles remplissent bien leur mission dans les quartiers prioritaires de la ville. Les associations seront soutenues avec l’accent mis sur la pédagogie à développer autour de l’histoire de la Shoah, l’histoire de l’État d’Israël aussi, depuis sa création – ses raisons, ses racines – jusqu’à aujourd’hui. C’est par l’instruction, précise et factuelle, qu’on lèvera le voile sur cette espèce d’aveuglement politique, instrumentalisé en particulier par les salafistes dans certains quartiers, mais aussi par Jean-Luc Mélenchon. Les « Insoumis » sont en train de jouer, dangereusement, une guerre des religions alors que la France est un État laïc et une République qui ne distingue pas en fonction des origines ou des croyances religieuses, c’est un principe fondateur de notre socle républicain, il faut être clair et intransigeant.

 

« Il faut positionner le débat sur la volonté des salafistes de contraindre les habitants dans leur vie quotidienne »

 

Le Crif : Précisément, sur la Laïcité, où beaucoup de confusions règnent dans certains esprits, chez les jeunes en particulier, comment (mieux) faire œuvre de pédagogie dans les écoles ?

Juliette Méadel : Là encore, cette pédagogie doit commencer tôt sur les principes simples de la Laïcité, et la liberté de conscience, qui est un principe de liberté et de respect qui permet, en particulier à l’école, de bien vivre ensemble, indépendamment des croyances. Les islamistes ne mènent d’ailleurs pas un combat religieux mais un combat politique. Jean-Luc Mélenchon l’a bien compris car il fait de la politique sur ces sujets. Les pays étrangers qui entretiennent chez nous des courants et mouvances salafistes, qui peuvent aller jusqu’au djihadisme, sont des pays qui ne se positionnent sur la religion que pour en faire un fanatisme, destiné à déstabiliser le pays et tenter ainsi de faire reculer la démocratie et l’État de droit.
Il faut donc bien expliquer aux jeunes que ce qui est en jeu ce n’est pas la religion – d’ailleurs la liberté religieuse est l’un des principes constitutionnels de la France – ce qui est en jeu c’est la démocratie. Il faut positionner le débat sur la volonté des salafistes de contraindre les habitants dans la vie quotidienne, d’enfreindre la circulation dans tel ou tel lieu, l’égalité des hommes et des femmes, la liberté de vivre sa religion tranquillement. Les salafistes menacent les libertés, dont celle, pour ce qui concerne les croyants, de vivre tranquillement sa religion. Nous, conformément à l’esprit de la République et de la Laïcité, nous protégeons les libertés, notamment celle de pratiquer la religion tranquillement, dans la sphère privée.

 

 

« Il faut que tous les professeurs de France se sentent soutenus et protégés dans leur mission d’enseignement, en particulier en ce qui concerne l’histoire et la Laïcité. Il faut que la peur change de camp, les salafistes n’ont pas leur place dans les quartiers »

 

Le Crif : Avez-vous les moyens d’évaluation, pour veiller à ce que la pédagogie de la Laïcité soit effective dans les établissements scolaires, en particulier dans les zones d’éducation prioritaire, sachant que malheureusement, par craintes parfois, certains enseignants sont tentés de se taire sur ce sujet et l’enjeu majeur que vous soulignez ?

Juliette Méadel : Cela fait partie des grandes missions de l’Éducation nationale et je suis totalement en accord avec Élisabeth Borne quand elle dit que l’histoire de la Shoah doit pouvoir être abordée sans aucune censure (ou autocensure) et surtout sans aucune crainte. Il faut que tous les professeurs de France se sentent soutenus et protégés, reconnus et légitimés, dans leur mission d’enseignement, en particulier en ce qui concerne l’histoire et la Laïcité. Leur liberté d’enseigner doit être bien sûr effective et garantie, l’enseignement de la Shoah – la plus grande tragédie du XXe siècle – est et doit rester un incontournable de l’éducation et de la transmission de l’histoire, c’est très important non seulement pour le passé et pour aujourd’hui, mais aussi pour l’avenir.

Ce qui s’est effroyablement passé lors de la Shoah procède du déferlement de l’antisémitisme, de la haine et de la xénophobie, du rejet devenu le plus violent de la différence, des minorités et, in fine, de la notion même d’Humanité. Il faut davantage sensibiliser les jeunes à l’universalisme, à ses bienfaits, aux protections qu’il induit pour chaque citoyen, contrairement aux forces haineuses, à la fois les courants de la xénophobie et du communautarisme, qui enferment et menacent.

C’est précisément au nom de l’universalisme qu’on ne doit pas et qu’on ne peut pas en France distinguer les citoyens selon leur origine ou leur religion. C’est une protection pour tous, c’est pourquoi, et il faut l’expliquer sans relâche également, le moindre acte d’antisémitisme ou de racisme – lié par exemple à la couleur de peau ou à l’origine, réelle ou présumée – doit être sanctionné vigoureusement. Il faut en ce domaine que la peur change de camp, les salafistes n’ont pas leur place dans les quartiers.

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs -