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Publié le 2 Octobre 2024

L’entretien du Crif - Manuel Valls : pourquoi Israël avait « l’obligation de frapper fort le Hezbollah »

L’ancien Premier ministre Manuel Valls s’exprime ici sur les événements qui secouent le Proche-Orient et, plus particulièrement, le conflit qui oppose Israël et le Hezbollah au Liban. Après le 7 Octobre, dans sa « défense existentielle », nous déclare-t-il, la réponse de l’État d’Israël « a été d’en finir avec le Hamas et ses complices » et, après les attaques répétées du Hezbollah tout au long de l’année, après les tentatives de négociations internationales qui ont échoué, « Israël ne pouvait pas ne pas répliquer » : « Israël avait l’obligation, et même le devoir, de frapper très fort le Hezbollah ». Pour Manuel Valls, qui s'exprimait juste avant l'attaque de l'Iran contre Israël, « tout le monde n’a pas encore réalisé en France et en Europe que la grille de lecture des événements a profondément changé depuis le 7 Octobre ». « Aucun accord ne semble être possible avec des forces qui veulent et proclament la destruction de l’État d’Israël », insiste-t-il en réponse aux questions de Jean-Philippe Moinet. Pour autant, après le temps d’une « inévitable » confrontation militaire, l’ancien Premier ministre « espère que nous arriverons à une situation de cessez-le-feu au sud du Liban mais cela ne peut se faire que sur des bases claires ». Quant à la situation en France, Manuel Valls se dit « plutôt pessimiste » concernant les menaces terroristes et « les attaques que nous pouvons subir en France » : il estime qu’« une partie de nos défenses immunitaires ont faibli, à cause des ravages de l’islamisme dans le monde musulman et dans une partie de la gauche ». Il condamne « la très lourde responsabilité » de Jean-Luc Mélenchon et de La France insoumise. Entretien.
L'entretien du Crif de Manuel Valls

Le Crif : La France appelle à un cessez-le-feu au Liban, le gouvernement israélien, après les frappes aériennes, annonce une phase d’incursions terrestres au sud Liban ; quelle est votre analyse sur cette situation de guerre au Proche-Orient, qui n’a cessé depuis le 7 Octobre ?

Manuel Valls : La situation est très tendue, elle est complexe, mais il y a encore trop souvent, à mes yeux, dans nos pays européens, une incompréhension des conséquences considérables du 7 Octobre, qui a été un choc historique, sociologique, culturel et politique pour toute la société israélienne. Celle-ci sait désormais qu’elle n’est plus  invulnérable, que le pire est possible même en Israël. Et le monde juif ne sait plus où vivre pour être protégé. Pour le dire autrement, l’État d’Israël ne protège plus ses citoyens sur son propre sol de ceux qui veulent la disparition du peuple juif et la mémoire de la Shoah n’agit plus dans nos sociétés occidentales pour dissuader les actes antisémites. La volonté est très large, quasi-unanime en Israël au moins sur ce point-là : que plus jamais une telle attaque ne puisse se reproduire. Le temps où Israël est bombardé et menacé est terminé.
Dans cette défense existentielle, sa réponse a été d’en finir avec le Hamas et ses complices. Dès le lendemain du 7 Octobre, le Hezbollah et les autres « proxies » pro-iraniens ont appuyé l’attaque du Hamas et agressé l’État d’Israël par l’envoi de milliers de missiles et de roquettes, depuis le Liban et le Yémen, attaques qui ont touché le territoire israélien et la population civile. Israël ne pouvait pas ne pas répliquer d’autant qu’il y a eu des négociations  tout au long de l’année, entre Israël, la France, les États-Unis et le Liban, pour que le Hezbollah se retire du sud de la rivière Litani (conformément aux accords interlibanais de Taëf et la résolution 1701 des Nations Unis) et arrête ses attaques systématiques sur l’État d’Israël, où près de 70 000 habitants ont dû quitter leur foyer au nord du pays. Ces négociations n’ont pas abouti. Dans ces conditions, Israël avait l’obligation, et même le devoir de frapper très fort le Hezbollah, ce qui a été fait ces dernières semaines.

 

« Le danger fondamental pour Israël c’est l’lran, et sa capacité à se doter de l’arme nucléaire »

 

Le Crif : Pour Tsahal, l’enjeu n’est plus à Gaza mais donc essentiellement au Nord ?

Manuel Valls : Depuis des années, tout le monde savait que le problème majeur pour Israël se situait au Nord, avec l’Iran. Le 7 Octobre, la donne a changé, du point de vue des opérations militaires, les combats contre le Hamas et pour la libération des otages sont apparus comme une priorité. Mais le danger fondamental, pour Israël, n’a pas pour autant changé : c’est l’Iran et sa capacité à se doter de l’arme nucléaire. Et le régime des mollahs utilise le Hezbollah pour agresser l’État hébreu. Si on ne comprend pas cela, en termes d’analyse, on est à côté de la plaque des réalités géopolitiques et stratégiques actuelles.

 

Le Crif : Assistons-nous, en France, à une forme de complaisance ou de naïveté concernant la nature du Hezbollah, qui frappe celles et ceux, nombreux, qui en ont été les cibles et les victimes depuis plus d’une trentaine d’années de cette organisation islamiste armée par l’Iran, y compris au Liban ?

Manuel Valls : Complaisance, concernant la plupart des dirigeants français, je ne le pense pas. Naïveté pour certains, peut-être. Tout le monde n’a pas encore réalisé en France et en Europe que la grille de lecture des événements a profondément changé depuis le 7 Octobre, par exemple sur le conflit israélo-palestinien, la cause palestinienne étant la dernière des préoccupations du Hezbollah ou de l’Iran, malgré leurs déclarations. Les mêmes phrases, les mêmes mots, entendus sur la nécessité de deux États, sur la sécurité d’Israël et l’établissement d’un État palestinien, sont légitimes pour le long terme mais sont totalement dépassés aujourd’hui, dans la mesure où aucun accord ne semble être possible avec des forces qui veulent et proclament la destruction de l’État d’Israël.
La vérité, que certains ne veulent pas entendre, est qu’Israël, seule démocratie de la région, ne peut pas vivre avec des mouvements terroristes installés à ses portes qui veulent sa destruction, qui veulent tuer un maximum de Juifs, que ce soit à la frontière de Gaza, à la frontière sud du Liban ou ailleurs. Comment ne pas voir le rôle joué, depuis des années, par l’Iran qui est certes affaibli économiquement et par ses oppositions intérieures mais qui a armé une organisation comme le Hezbollah, qui a pris progressivement le pouvoir au Liban, qui n’est plus du tout le pays qu’on a connu il y a vingt ou trente ans. Le Hezbollah a donc pris le contrôle du Liban, neutralisant l’armée régulière au profit d’une milice surarmée ; il gère également un énorme trafic de drogue qui finance le terrorisme. Cette organisation a soutenu activement le régime syrien de Bachar el-Assad, l’une des pires dictatures de la planète, qui a provoqué une guerre civile qui a conduit à plus de 400 000 morts et près de trois millions de réfugiés, dont beaucoup d’ailleurs sont venus au Liban, conduisant à une situation sociale et humanitaire catastrophique.

L’histoire le dira : le Hezbollah a très largement contribué à détruire le Liban de l’intérieur et il a miné sa souveraineté, les Libanais en sont les premières victimes. Bien sûr, le Hezbollah est aussi un parti politique et une idéologie mais son organisation milicienne et sa stratégie militaire obligent les occidentaux à changer sensiblement leur analyse.

« N’oublions pas la diplomatie, notamment les Accords d’Abraham qui représentent le grand espoir dans la région »

 

Le Crif : Est-ce à dire que la seule issue dans la région est militaire ?

Manuel Valls : Non, évidemment. L’affrontement entre Israël et le Hezbollah était inévitable, compte tenu de tous les éléments que je viens d’évoquer. Nous ne pouvons pas connaître encore les conséquences des derniers événements, la mort du chef historique du Hezbollah Hassan Nasrallah, l’élimination de nombreux cadres de cette organisation, quelles seront les conséquences sur l’Iran, sur la Syrie, sur le Liban ? La communauté chiite représente un tiers de la population libanaise. Quelles sont les évolutions qui vont avoir lieu par exemple dans les alliances complexes nouées au Liban. C’est l’une des questions clés. J’espère que nous arriverons à une situation de cessez-le-feu au sud du Liban mais cela ne peut se faire que sur des bases claires, pour la protection des populations civiles, qu’elles soient israéliennes et libanaises.

Le Crif : Cela exigerait le retrait du Hezbollah au nord de la rivière Litani, donc son évacuation du sud Liban et l’arrêt de ses hostilités contre Israël ?

Manuel Valls : Oui, c’est la condition préalable pouvant permettre le retour chez eux des 70 000 Israéliens qui, depuis un an, ont dû être déplacés pour être protégés des tirs de missiles et roquettes. C’est aussi la condition pour que la population civile libanaise puisse aussi revenir chez elle au sud Liban.

Il y aura à l’évidence un cessez-le-feu, l’histoire en cours nous dira quand, il y a surtout un besoin de paix durable et d’une reconstruction du Liban, ce sera également long, difficile, complexe. Nous sommes actuellement dans le temps de la guerre, comme le Proche-Orient en a malheureusement trop connu mais derrière, il y aura aussi un temps pour la politique et la diplomatie. N’oublions pas les Accords d’Abraham avec les pays arabes sunnites qui représentent le grand espoir pour la région. Je ne doute pas de leur pérennité et de leur élargissement à l’Arabie Saoudite. Il y aura la nécessaire reconstruction de la souveraineté du Liban, il y aura aussi les discussions autour de la gouvernance de Gaza et de l’avenir de la Cisjordanie, même si ce sera très difficile, tant de Palestiniens ayant été éduqués, depuis des années, à la haine d’Israël. La disparition du Hamas et le renouvellement profond de l’Autorité palestinienne en sont des conditions indispensables. Toutes ces discussions doivent avoir lieu mais cela ne peut naturellement se faire en redonnant la main aux auteurs du 7 Octobre et leurs complices.

 

« L’Union européenne, et la France particulièrement, ont un rôle important à assumer pour ‘’le jour d’après’’ [la guerre] »

 

Le Crif : Dans ces discussions, au Liban notamment, la France reste-t-elle influente ou les États-Unis sont-ils la seule force réellement influente et puissante au Proche-Orient ?

Manuel Valls : Les États-Unis jouent toujours un rôle majeur, essentiel. Ni les Russes, ni les Chinois, ne semblent pouvoir jouer un rôle décisif dans cette région, même si un axe syro-irano-russe y sévit depuis longtemps. L’Union européenne, et la France particulièrement, ont toujours un rôle important à assumer pour « le jour d’après » [d’après la guerre], qu’il s’agisse de la reconstruction et de son financement − de Gaza ou du Liban −, en lien avec les pays arabes et notamment du Golfe. La France a toujours une influence, au nom de l’histoire, de la francophonie qu’il s’agit de bien doser dans la période. Sa parole ne peut pas se résumer à une sorte d’équidistance entre Israël et le Hezbollah, qui ne peuvent pas être mis dos-à-dos, ce serait une faute majeure. Notre pays y perdrait toute crédibilité et crédit.

 

Le Crif : Concernant la situation en France, êtes-vous inquiet ou relativement optimiste, concernant les menaces qui pèsent depuis le 7 Octobre, qu’il s’agisse d’actes, de violences, voire d’attentats antisémites ?

Manuel Valls : Je suis inquiet et plutôt pessimiste à propos des attaques que nous pouvons subir en France. Elles peuvent toucher les Juifs comme toute autre cible française. L’école et nos enseignants sont menacés, nous le savons malheureusement. L’opinion publique française dans une très large majorité a compris le sens de la menace, elle sait que l’islamisme, le djihadisme jouent sur le temps long. Leur volonté de déstabiliser nos démocraties et de s’attaquer à nos valeurs françaises fondamentales, de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité est intacte.
Le problème que nous avons, en France, est qu’une partie de nos défenses immunitaires ont faibli à cause des ravages de l’islamisme dans le monde musulman et d’une partie de la gauche française. Bien heureusement, une grande majorité de Français a compris que le 7 octobre avait un lien avec le Bataclan et la série d’attentats qui ont frappé la France en 2015 et 2016, il y a une large compréhension en France des visées de l’islamisme.

« Monsieur Mélenchon et LFI ont renforcé l’influence et la dangerosité de l’islamisme dans notre pays.
C’est une très lourde responsabilité »

 

Le Crif : Beaucoup d’attentats ont pu être déjoués en France ces dernières années, mais de lourdes menaces perdurent donc ?

Manuel Valls : Oui, et il faut saluer l’effort considérable et permanent de nos services en ce domaine. Mais des formes nouvelles de menaces terroristes existent. Iran, Hezbollah, Hamas, État Islamique-Daech, Al Qaida, djihadistes plus ou moins auto-proclamés… la France, comme d’autres pays, peut être frappée pas seulement à cause des événements actuels au Proche-Orient, non pas en fonction de la question palestinienne, qui est le cadet des soucis des islamistes, mais du fait des objectifs du temps long qui visent notre démocratie. L’islamisme vise à surfer sur la sale et la pire vague anti-juive, qui s’est propagée très dangereusement depuis un an, en France. Là est le danger.

L’extrême gauche de La France insoumise (LFI), au lieu de participer au consensus national sur nos valeurs et la lutte contre l’antisémitisme, a au contraire mis toute son énergie à faire de Gaza et des Juifs un sujet d’activisme politique, ce qui a rendu en France ce sujet d’autant plus explosif. Monsieur Mélenchon et LFI ont gravement envenimé la situation, ils ont renforcé l’influence et la dangerosité de l’islamisme dans notre pays. C’est une très lourde responsabilité qu’ils portent. C’est à ce problème auquel nous devons également faire face en France.

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet le 30 septembre 2024

 

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs -