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Le Crif : L’Afrique du Sud avait osé accuser Israël d’un prétendu « génocide » à Gaza, en portant cette accusation devant la CIJ (Cour Internationale de Justice) : aux vues du récent jugement de cette Cour (du 26 janvier 2024), cette accusation finalement tombe même si certains se réjouissent d’avoir porté ce procès et poursuive une propagande sur ce thème. Quel est l’enseignement majeur, sur le plan juridique, de la décision de la CIJ ?
Noëlle Lenoir : Vous avez raison d’indiquer que l’Afrique du Sud « avait osé accuser Israël d’un prétendu génocide à Gaza ». Cette action, fondée sur la Convention sur la prévention et la répression du génocide de 1948, est moralement choquante ainsi que le nouveau Ministre des Affaires étrangères de la France, Stéphane Séjourné, l’a indiqué en réponse à une question au gouvernement posée par Madame Obono (La France Insoumise) à l’Assemblée nationale. Le Ministre s’est élevé en effet contre l’attitude de l’Afrique du Sud en martelant que « accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral » et en stigmatisant « l’utilisation de la justice à des fins politiques ».
Ces paroles comptent d’autant plus que, depuis 1958, rompant avec la IVème République, la diplomatie française est très loin d’être favorable à Israël. Il est évident, comme l’a suggéré notre Ministre des Affaires étrangères, que l’action de l’Afrique du Sud, qui joue en l’occurrence le rôle de supplétif du Hamas, a été un immense coup de bluff à des fins de propagande. La Cour était le tribunal médiatique rêvé pour populariser les thèses du Hamas comme « organisation de résistance » (sans que l’Afrique du Sud évoque d’ailleurs le Hamas dans la présentation de ses arguments). Cela n’a pas marché.
En effet, on doit se féliciter de ce que cette tentative d’instrumentalisation de la justice internationale ait échoué. Il importe de constater que la décision a été adoptée à la quasi-unanimité, y compris par les juges représentant à mon avis près de la moitié de la Cour, dont la sensibilité est culturellement propalestinienne. Seule la juge ougandaise, Madame Sebutinde, dont le courage doit être salué et le juge israélien ad hoc, Aaron Barak, ancien Président très estimé de la Cour suprême israélienne, ont considéré dans des opinions à part que la Cour n’aurait même pas du juger et donc ne pas admettre la recevabilité du recours de l’Afrique du Sud.
Madame Sebutinde souligne dans son opinion dissidente que ce qui est en cause, c’est le droit humanitaire qui ne relève pas en tant que tel de la Convention sur le génocide.
Elle attire l’attention sur le fait qu’il ne faut pas induire de l’ordonnance de la Cour que les mesures conservatoires prononcées ont une quelconque signification en termes de responsabilité d’Israël. Rien n’est jugé à cet égard. Enfin, elle rappelle que le conflit israélo-arabe étant politique, sa résolution est politique et non judiciaire. Elle affirme qu’en l’absence de tout signe d’intention génocidaire de la part d’Israël et en l’absence de tout lien entre les mesures demandées par l’Afrique du Sud et le droit des Palestiniens à être protégé contre un génocide, la Cour n’était pas compétente.
Dans son opinion individuelle, le juge Barak rappelle s’il en était besoin qu’Israël est une démocratie et que les droits de l’Homme y sont strictement défendus par la Cour suprême, l’armée israélienne n’échappant pas à un contrôle très sévère. Il évoque la mauvaise foi de l’Afrique du Sud qui s’est dépêchée de déposer son recours sans attendre la réponse d’Israël à sa mise en cause par note verbale. Il fait remarquer que le belligérant, i.e. le Hamas qui est derrière le recours de l’Afrique du Sud, n’est pas partie au litige et donc ne peut être mis en cause comme il devrait l’être. C’est une façon élégante selon moi de suggérer que les dés sont pipés en l’absence de recours du Hamas qui n’est pas un État, et donc pas un État contractant de la Convention. À l’instar de Madame Sebutinde, s’agissant d’une possible intention génocidaire de la part d’Israël, il apporte, bien que cela ne soit pas jugé par la Cour, une forte dénégation anticipant en effet les erreurs (de bonne ou mauvaise foi) d’interprétation de la décision par les médias. De façon particulièrement émouvante, il conclut en disant que « l’idée qu’Israël soit accusée de génocide est très dur pour moi personnellement en tant que survivant du génocide et profondément conscient de l’engagement déterminé d’Israël comme État juif respectueux de l’état de droit et démocratique ».
Cela étant, nous vivons dans le monde réel. Et compte tenu de la composition de la Cour, l’ordonnance du 26 janvier 2024 est la meilleure décision possible dans le meilleur des mondes.
Le Crif : En quoi précisément, au fond, cette ordonnance de la CIJ envoie-t-elle un message finalement positif à Israël ?
Noëlle Lenoir : Dès lors qu’elle a admis la recevabilité du recours de l’Afrique du Sud au motif que ce pays avait exprimé dans les enceintes de l’Organisation des Nations Unies (ONU) une interprétation différente de la Convention sur le génocide de celle affirmée par Israël, la décision est nettement selon moi en faveur d’Israël.
Que dit-elle ?
La conséquence de l’ordonnance pourrait être de permettre positivement la mise en cause de l’Autorité Palestinienne qui n’a pris aucune mesure pour prévenir ou punir les déclarations génocidaires des dirigeants du Hamas directement inspirées de leur Charte de 1988 révisée en 2017. Certes, la Cour n’a pas encore jugé que l’Autorité Palestinienne était assimilable à un État. Elle le fera lorsqu’elle statuera sur le recours de la Palestine contre les États-Unis à propos du transfert de l’Ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem (voir : https://www.icj-cij.org/fr/affaire/176). Mais, en attentant, la non-intervention de la Palestine pour prévenir et punir ces appels incendiaires à tuer des Juifs en tant qu’ « obligation religieuse individuelle » pourrait fort bien relever devant les juridictions françaises de la complicité de crimes contre l’Humanité. La question mérite en tous les cas d’être étudiée juridiquement.
Le Crif : Quelles sont les conséquences de l’ordonnance de la Cour cette fois-ci pour l’Afrique du Sud ?
Noëlle Lenoir : Cet ajout à l’adresse en réalité du Hamas de la part de la Cour a des conséquences juridiques non négligeables. En effet, les liens entre l’Afrique du Sud et le Hamas sont étroits. Récemment, ils ont été concrétisés par l’accueil à Johannesburg et à Prétoria de délégations officielles du Hamas par les autorités sud-africaines en novembre et décembre 2023. Il en résulte de la part de l’Afrique du Sud des devoirs au regard de la Convention sur le génocide et de manière générale au regard des conventions de l’ONU sur les droits de l’homme.
S’agissant de la prévention et de la répression du génocide, les États contractants sont tenus à une coopération internationale nécessaire pour « libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux ». Cela implique que « les États ayant la capacité d’en influencer d’autres ont le devoir d’employer tous les moyens étant raisonnablement à leur disposition pour prévenir le crime de génocide, y compris dans le cas d’actes commis en dehors de leurs frontières », ainsi qu’indiqué dans le Fact Sheet sur la Convention publié par le bureau de la prévention du génocide de l’ONU.
Parmi ces États, figure l’Afrique du Sud, car elle a indéniablement un pouvoir d’influence sur le Hamas et l’Autorité Palestinienne. Si elle n’agissait pas pour empêcher le Hamas de mettre de nouveau à exécution ses actes génocidaires comme ceux du 7 octobre ou pour faire modifier la Charte du Hamas, elle manquerait gravement aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article premier de la Convention sur le génocide suivant lequel « les Parties contractantes confirment que le génocide, qu'il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu'elles s'engagent à prévenir et à punir ».
Le Crif : La controverse aura-t-elle une suite ?
Noëlle Lenoir : Ce contentieux risque de se poursuivre des années, comme les autres du même type. La Cour n’a pas jugé au fond et elle ne pourra le faire qu’au vu des preuves apportées par les Parties à ce litige. Il n’est pas sûr, pour les raisons exposées plus haut, que ces preuves tournent à l’avantage de l’Afrique du Sud et du Hamas.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet, le 28 janvier 2024
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