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Publié le 2 Mai 2022

Revue annuelle du Crif 2022 - L’urgence de la fraternité, par Sophie Elizeon

Les différentes crises traversées par la France en attestent : notre pays, a besoin de fraternité. Les rassemblements à l’issue des attentats qui nous ont frappés depuis le début des année 2000 l’ont démontré, de même que les manifestations de soutien aux soignants au début de la crise sanitaire : les Françaises et les Français sont capables de grands élans de fraternité et sont prêts à la solidarité.

Le Crif bénéficie régulièrement de l’expertise et des contributions, analyses et articles de nombreux chercheurs.euses et intellectuel.eles sur les nouvelles formes d’antisémitisme, l’antisionisme, la délégitimation d’Israël, le racisme et les discriminations, les risques et enjeux géopolitiques et le terrorisme, notamment.

L’institution produit également des documents dans le cadre de sa newsletter, de la revue Les Études du Crif, sur son site Internet et sur les réseaux sociaux, en publiant régulièrement les analyses et les points de vue d’intellectuels. Des entretiens sont publiés également sur le site. Pour la collection des Études du Crif, plus de 130 intellectuels ont publié des textes.

Chaque année, nous demandons à plusieurs intellectuel.les de bien vouloir contribuer à notre revue annuelle.

Si les textes publiés ici engagent la responsabilité de leurs auteur.es, ils permettent de débattre et de comprendre de phénomènes complexes (laïcité, mémoire, antisémitisme et racisme, identité…).

Dans les semaines à venir, vous aurez le loisir de découvrir ces contributions ! Bonne lecture !

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L’urgence de la fraternité, par Sophie Elizeon

Les différentes crises traversées par la France en attestent : notre pays, a besoin de fraternité. Les rassemblements à l’issue des attentats qui nous ont frappés depuis le début des année 2000 l’ont démontré, de même que les manifestations de soutien aux soignants au début de la crise sanitaire : les Françaises et les Français sont capables de grands élans de fraternité et sont prêts à la solidarité.

Pour autant, les temps de crise sont aussi des moments fragiles de repli sur soi, d’adhésion aux théories du complot, de rejet des et des différences.

Ainsi les manifestations de l’été contre les mesures prises par le Gouvernement pour gérer la crise sanitaire ont fait ressurgir les pires expressions antisémites, certains manifestants allant jusqu’à arborer l’étoile jaune et comparer ces mesures avec les décisions prise par l’Allemagne nazie.

En 2021 le nombre de plaintes déposées par des personnes victimes d’actes antisémites a considérablement augmenté par rapport à 2020. Non seulement le nombre de plaintes a augmenté mais encore les manifestations de haine se font plus violentes que l’année précédente. Et singulièrement sur les réseaux dits sociaux.

Pourtant, l’Histoire de France en atteste, c’est dans la fraternité que le peuple français est le plus fort, le plus résilient.

C’est dans la fraternité que les Françaises et les Français ont su défendre leurs libertés, faire avancer l’égalité, être solidaires les unes avec les autres. L’exemple des habitantes et habitants de Champagney qui dans l’article 29 du cahier de doléances du 19 mars 1789 s’émeuvent des « maux que souffrent les nègres dans les colonies » et ont le « cœur pénétré de la plus vive douleur, en se représentant leurs semblables, unis encore à eux par le double lien de la religion, être traités plus durement que ne le sont des bêtes de somme » en est une illustration. L’abolition de la peine de mort, le mariage pour tous, le droit de grève, la légalisation de la contraception et de l’interruption volontaire de grossesse, ne seraient pas des réalités sans la mobilisation fraternelle des citoyennes et citoyens français aux côtés de celles et ceux à qui nous devons ces avancées sociales.

La fête de la Fédération, qui le 14 juillet 1790 préfigure ce qu’est aujourd’hui la fête nationale, symbolise cette valeur républicaine de fraternité. Venus de toutes les fédérations locales près de 15.000 soldats fédérés défilent devant les Françaises et les Français, venus de tous les milieux sociaux et de tous les horizons, dire leur attachement à l’unité de la nation française. Une nation unie dans sa diversité. Unie parce que diverse.

Et n’en déplaise aux haineuses et aux haineux la diversité de la République n’est pas une nouveauté. La simple évocation des noms de Mamadou Addi Ba, de Joséphine Baker récemment entrée au Panthéon, de Leïla Ben Sedira, de Soutine, d’Assia Djebar ou encore de Raphaël Elize suffit pour l’affirmer.

J’ai la faiblesse de croire -en réalité ce n’est pas une faiblesse, c’est bien au contraire une volonté, celle de l’optimisme- que les fraternels sont plus nombreuses et nombreux que les haineux. Aussi l’heure est-elle venue pour nous de nous faire entendre, d’être plus bruyantes et bruyants que les haineux. Ne rien laisser passer bien sûr en déposant plainte ou en signalant les actes racistes et antisémites pour que la justice passe. Mais aussi porter un discours alternatif et fraternel. Proposer des figures d’identification positive, promouvoir des informations vérifiées et sourcées, transmettre l’Histoire.

Au moment où les témoins de la Shoah nous quittent la question de la transmission de la mémoire sans témoin se fait plus pressante. Le recueil et la conservation de ces témoignages sont essentiels. La DILCRAH soutient de telles initiatives. Par ailleurs, des approches pédagogiques existent qui permettent cette transmission, telles que celle développée à travers l’action « Par les vivants », « convoi 77 » ou encore « The Beit project » et qui devront être déployées. Car il me semble que c’est par l’expérience vécue, par la confrontation des connaissances au réel du quotidien que la fraternité s’éduque, se cultive et se diffuse.

Il n’est sans doute pas trop tard, mais il est grand temps pour tous les fraternels d’agir concrètement pour éduquer la fraternité dans l’école mais aussi hors l’école, à la maison, dans la rue, dans les centres de loisirs, dans les clubs de sport et de pratiques culturelles. De faire reculer les haineux. De porter ensemble ce nécessaire combat pour la fraternité. Car, ainsi que l’a si bien exprimé Abdennour Bidar dans son Plaidoyer pour la fraternité « sans la chaleur humaine de la fraternité, alors la liberté, l’égalité, la laïcité, la citoyenneté, etc., resteront à jamais des valeurs froides et nous continuerons d’errer à demi congelés de solitude, sur l’immense banquise de la vie sociale ».

Sophie Elizeon