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Publié le 7 Mai 2025

Trois questions à Claude Ribbe, président des Amis du général Dumas à l’occasion de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions

À l’occasion de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions, le 10 mai, le Crif a interviewé Claude Ribbe, président des Amis du général Dumas. Dans cette interview, il revient sur le sens de la 17e cérémonie en hommage au général Dumas et à l’abolition de l’esclavage, organisée le 10 mai place du général-Catroux à Paris et rappelle, avec force, combien la mémoire des crimes contre l’humanité doit être un ciment pour l’unité républicaine.

Crédit photo : ©CLARISSE GALLOIS / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

 

Le Crif : Vous organisez le 10 mai 2025, à 18 heures, pour la 17e année consécutive, en tant que président de l’association des amis du général Dumas, une cérémonie place du général-Catroux, dans le 17e arrondissement de Paris, devant le monument « Fers » qui évoque le général Dumas, mais aussi l’esclavage. Le ministre d’État, Manuel Valls, va présider la manifestation cette année, en présence des élèves du lycée Carnot. Comment définiriez-vous cette cérémonie ?

Claude Ribbe : La cérémonie de la place du général-Catroux est désormais devenue une véritable institution parisienne et depuis la première édition en 2009, le Crif y a souvent participé. Au départ, il s'agissait d'honorer le général Dumas qui avait eu, en 1913, une statue, à l’emplacement où se trouve aujourd'hui le monument de fers brisés évoquant l'abolition de l’esclavage. Cette statue a été détruite pendant les années sombres de l'Occupation. Le général Dumas, du fait de ses origines (il était né esclave et il était métis) a fait partie de tout ce que les occupants et le régime de la collaboration détestaient et voulaient détruire. Cela renvoie évidemment au génocide, au crime contre l’humanité perpétré au même moment contre la communauté juive. L’esclavage raciste d’État, quoique aboli définitivement en 1848, presque un siècle avant la tentative d’extermination des Juifs, est une autre forme de crime contre l’humanité qui rapproche nécessairement les Français d’outre-mer et leurs descendants, nombreux à Paris, de la communauté juive. Il y a aussi les textes sacrés évoquant l’esclavage, avec la captivité en Égypte, la captivité à Babylone et la libération, le retour à la terre promise et la reconstruction du Temple. L’emplacement de ce monument, dans un arrondissement où la communauté défendue et représentée par le Crif est importante, appelle nécessairement à jumeler ces histoires qui s’enrichissement mutuellement. Sans parler des derniers descendants du général Dumas : Alexandre Lippman et Henry Bauër…

 

Le Crif : Que pensez-vous de ce qu’on appelle la concurrence des mémoires ?

Claude Ribbe : Pour moi, de même qu’il n’y a qu’une catégorie de Français, la France n’a qu’une mémoire. Cela n’empêche pas qu’il puisse y avoir des histoires ou des cultures différentes. Mais elles sont complémentaires. Bref, toutes celles et ceux qui descendent de personnes persécutées du fait de leur origine ou de leur religion ne peuvent qu’être solidaires et travailler ensemble à vaincre les préjugés. L’abbé Grégoire, qui joua un rôle important dans l’émancipation des Juifs, l’abolition de l’esclavage et la lutte contre les discriminations, l’avait bien compris. Ceux qui veulent mettre les mémoires en concurrence ne sont pas mes amis et ils n’ont rien à faire place du général-Catroux le 10 mai.

 

Illustration : monument des « Fers », situé place du général-Catroux dans le 17e arrondissement de Paris. Il rend hommage au général Thomas-Alexandre Dumas, père d’Alexandre Dumas, et commémore également l’esclavage et son abolition.

 

Le Crif : Au-delà de cette manifestation, vous avez d’autres engagements pour la mémoire ?

Claude Ribbe : Bien sûr, j’ai depuis longtemps des engagements en tant qu’écrivain et réalisateur sur ces sujets qui m’ont donné l’occasion de publier une douzaine d’ouvrages et de réaliser une demi-douzaine de films et j’ai des engagements aussi en tant qu’élu du VIe arrondissement de Paris, conseiller délégué en charge notamment de la mémoire. Dans ce cadre, je participe, avec le maire du VIe, Monsieur Jean-Pierre Lecoq, à toutes les cérémonies honorant la communauté juive et rappelant les horreurs du passé. Je représente régulièrement le maire au Mémorial de la Shoah. Plus généralement, j’ai beaucoup de respect et d’intérêt pour l’histoire des Juifs, qui est un élément fondamental de l’histoire de l’Occident. J’ai d’ailleurs entrepris l’apprentissage de l’hébreu, qui est une langue extraordinaire. Et puis j’ai toujours détesté l’injustice. C’est une tradition familiale. Ma grand-mère maternelle a recueilli de jeunes juifs dans la Creuse durant l’Occupation et elle a bravé l’occupant, refusant de cueillir une de ses roses pour l’offrir à un officier nazi, au risque d’être fusillée sous les yeux de ma mère.

Mon oncle est mort pour la France dans un camp près de Francfort.

J’ai le souvenir, aussi, durant mon service militaire, accompli en tant qu’officier, d’avoir aidé durant plusieurs kilomètres un appelé qui avait été forcé d’accomplir une longue marche et qui était très affaibli car il réclamait un régime alimentaire spécifique du fait de sa religion juive, ce qu’on ne lui avait pas accordé. Et il ne s’alimentait plus. Aujourd’hui, les choses ont heureusement bien changé. Mais je suis très fier d’avoir fait cela, à l’encontre du règlement. J’espère que si j’avais vécu en d’autres temps j’aurais fait davantage, quelles qu’en soient les conséquences. Ici et maintenant, je fais en tout cas tout ce que je peux pour lutter contre l’antisémitisme, contre le racisme, contre les trous de mémoire et pour que toutes ces horreurs qui font honte à l’humanité ne se reproduisent jamais.