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L'affaire Dreyfus. Une histoire médiatique*
par Alain Pagès
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, on n’a pas fini, plus d’un siècle après cette période difficile, de parler de l’Affaire. Et ce, pour diverses raisons. La première est la résurgence actuelle de l’antisémitisme. Une autre est que l’Affaire, par sa durée inhabituelle dans le temps douze ans en entre 1894 et 1906, est chargée d’une richesse dramatique extraordinaire. Elle a permis de mettre en avant des phénomènes qui, de nos jours, dominent l’actualité, sous le nom de réseaux sociaux ou encore de fake-news. Ou, comme le dit Pagès, sous la dénomination d’infox à base de complotisme.
Que ce soit en quelques mots : « Étant juif, Dreyfus est coupable par essence » ou à travers les 1200 pages de La France juive de Drumont publié en 1886, l’argument est invariablement le même : c’est le Syndicat juif qui mène le monde. Et ce sera la grande force et le grand courage de Zola de déclarer « La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera ».
Les antidreyfusards, Maurice Barrès en tête, suivi du caricaturiste Emmanuel Poiré alias Caran d’Ache, n’hésiteront pas à user de pratiques ignobles comme le discours homophobe, traitant Picquart de bayadère, de « Mademoiselle Fifi » ou encore de « Georgette ».
Entre le 26 septembre 1894, date de l’interception du fameux bordereau et le 4 juin 1908 qui voit la panthéonisation d’Émile Zola, que d’événements, que de retournements de situations. Dégradé publiquement dans la grande cour de l’École militaire à Paris le capitaine Alfred Dreyfus se retrouve au bagne de l’Île du Diable. Le 20 juillet 1906 il est fait chevalier de la Légion d’honneur toujours à l’École militaire.
Ce « drame poignant » ne manquera pas d’interpeller Émile Zola qui, dès novembre 1897, se lancera dans un combat acharné pour la défense de Dreyfus. Alain Pagès rappelle qu’à l’époque, fut mis en vente, un jeu de société intitulé « Jeu de l’Affaire Dreyfus et de la Vérité ». Une sorte de jeu de l’oie où les cases avaient pour noms Scheurer-Kestner, Picquart, Laborie, Zola, Jaurès, Clemenceau ou encore Esterhazy. Quant aux obstacles de ce jeu de piste invraisemblable, ils s’appelaient « Ministère de la Guerre », « Prison du Cherche-Midi », « Mont Valérien ». Les antidreyfusards ne tardèrent pas à riposter et le journal L’Antijuif proposa à ses lecteurs un « Jeu des 36 Têtes ».
Le cinéma ne pouvait que s’emparer de cette histoire extraordinaire. En cinéphile averti, Alain Pagès brosse un tableau édifiant des films consacrés à l’Affaire. Du court métrage-11mn- de Georges Méliès en 1899 au film de Roman Polanski, J’accuse, 2h 10mn en 2019. Alain Pagès ne manque pas de remarquer qu’en fonction de la sensibilité des réalisateurs, certains personnages sont éliminés des scénarios et que même, parfois, des développements qui ne correspondent pas à la réalité, sont carrément surajoutés. Ainsi va le cinéma.
Le personnage du lieutenant-colonel Georges Picquart est décrit sans complaisance. Antisémite convaincu, mais aussi ardent défenseur de la vérité, il en viendra, au risque de sa carrière et de sa personne-il sera jeté en prison pour trahison-à mettre l’honneur au-dessus de tout et de ses propres penchants.
L’Affaire, ce sont aussi les nombreux documents qui seront exhibés au fil des ans : le bordereau, le petit bleu, la lettre « Canaille de D. » ou encore le « faux Henry », documents qu’Alain Pagès analyse méticuleusement Une « mécanique du mensonge » qui conduira Anatole France, la chose est peu connue, à publier un roman parodique, « L’île des Pingouins ».
Si la raison l’a finalement emporté, c’est, dira Charles Péguy, en raison de « l’impatience du faux » et de « l’intolérance du mensonge ». Tant que les hommes et les femmes de bonne volonté seront majoritaires à travers le monde, le complotisme ne passera pas.
Un travail véritablement original. À découvrir !
Jean-Pierre Allali
*N°61 de la Collection des Études du Crif, L'affaire Dreyfus. Une histoire médiatique, par Alain Pagès, oct.-nov. 2020, 52 pages. (10euros)
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