Le CRIF en action
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Publié le 14 Janvier 2013

«La situation est beaucoup plus lourde que l’an dernier, bien entendu à cause de l’horreur de Toulouse»

Interview exclusive du président du CRIF, Richard Prasquier

Propos recueillis par Claire Dana-Picard pour Chiourim.

 

« Combattre la menace antisémite » : c’était le thème de la Convention nationale du CRIF qui s’est tenue dimanche 13 janvier à Paris. À cette occasion, Chiourim a eu un entretien avec le président du CRIF, Richard Prasquier.

Ce qu’il faut avant tout, c’est nommer les choses. De ce point de vue, il faut dire qu’il y a eu beaucoup de réticence à utiliser le terme d’antisémitisme. Nous l’avons constaté notamment après les assassinats de Toulouse où un certain nombre d’organisati

Chiourim: Le Conseil représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) va réunir la semaine prochaine sa 2e convention au cours de laquelle vous allez évoquer essentiellement les problèmes de l‘antisémitisme : pouvez-vous déjà nous présenter une sorte de bilan, nous dire où en est la situation en France à l’heure actuelle ?

 

Richard Prasquier : La situation en Europe et en France s’est modifiée ces dernières années. L’an dernier, notre convention nationale avait pour thème : « Demain, les Juifs de France ». Et cette année, elle est très orientée puisqu’elle appelle à agir contre les menaces antisémites. Cela montre bien qu’il y a eu cette année des modifications : la situation est beaucoup plus lourde que l’an dernier, bien entendu à cause de l’horreur de Toulouse. Nous aurons d’ailleurs comme invité, au cours de cette convention, parmi d’autres participants, Abdelghani Merah, le frère de Mohamed Merah, l’auteur de ces assassinats. J’ai rencontré à plusieurs reprises Abdelghani Merah qui est tout à fait remarquable. Il s’est complètement démarqué de la voie devenue celle de l’ensemble de sa famille. Il dit bien, de façon extrêmement claire, que dans la famille Merah, il y avait un antisémitisme violent qui imprégnait l’ensemble de la famille. 

 

Pour vous, la menace actuelle en France, c’est l’islamisme radical ?

 

Ce que j’appelle l’islamisme radical, et je tiens à la précision de ces deux termes, c’est l’islamisme en tant que vision politique de l’islam, et radical en tant qu’utilisation des moyens les plus radicaux pour faire valoir cette conception politique. C’est une des caractéristiques très inquiétantes de ce qui se passe en France. Mais ce n’est pas la seule ; il y a d’autres types d’antisémitismes qui sont en train de renaître, qu’on sent réapparaître.

 

Comment analysez-vous la situation actuelle ? Êtes-vous inquiets pour l’avenir des Juifs de France ?

 

L’avenir des Juifs de France sera aussi fonction de ce qu’ils pourront faire eux-mêmes à l’intérieur de la société française.

 

Pour vous, s’agit-il d’une menace pour toute la société ?

 

Oui. Cela a d’ailleurs toujours été le cas pour l’antisémitisme qui a souvent été un élément indicateur des différents dysfonctionnements de la société. La situation semble devenir de plus en plus difficile. Mais je suis en train de tracer un tableau très sombre et cela ne reflète pas tout à fait la réalité. Nous ne sommes pas du tout dans la situation d’avant-guerre. Il y a des différences essentielles dont nous sommes tout à fait conscients : les pouvoirs publics en France, qu’ils dépendent d’un gouvernement de droite ou de gauche, font tout leur possible pour lutter contre cet antisémitisme.

 

Quels sont concrètement les mesures que vous pouvez prendre, les moyens dont vous disposez, pour pouvoir lutter contre ce regain d’antisémitisme ?

 

Ce qu’il faut avant tout, c’est nommer les choses. De ce point de vue, il faut dire qu’il y a eu beaucoup de réticence à utiliser le terme d’antisémitisme. Nous l’avons constaté notamment après les assassinats de Toulouse où un certain nombre d’organisations des droits de l’homme ont préféré défiler sous le mot d’ordre de l’antiracisme en mettant en second plan l’antisémitisme, comme si c’était plus « politiquement correct ». Cela m’a beaucoup choqué et nous n’avons pas défilé avec ces organisations. Si rien ne prouve que Merah était un raciste, tout prouve qu’il était antisémite.

 

Je voudrais qu’on parle maintenant du CRIF de façon générale et de ses actions en tant que porte-parole de la communauté juive de France. Comment concevez-vous ce rôle et quelles sont vos priorités ?

 

Pour moi, ce rôle consiste avant tout à être présent sur le terrain, mais pas forcément de façon vocale. Je tiens à insister là-dessus. Nous nous trouvons dans une situation difficile, nous sommes confrontés assez fréquemment à des problèmes qui s’avèrent plus ou moins graves, avec souvent des incitations à la haine ou des provocations par des organisations anti-israéliennes. Mais nos réactions ne sont pas forcément publiques. Ce n’est pas celui qui crie le plus fort qui est le plus efficace. Mais nous avons comme principe de ne rien laisser passer.

 

Il faut dire aussi qu’Israël occupe une place privilégiée : là aussi, vous vous engagez clairement.   

 

En effet, Israël occupe une place très importante. Et nous recevons de très nombreuses critiques, des reproches, des insultes et des menaces à cause de cet engagement. Mais ça fait partie de mon travail et cela ne me préoccupe pas beaucoup. Chacun a le droit, en France ou ailleurs, et même en Israël, de ne pas aimer certaines décisions gouvernementales. Nous ne sommes pas là pour défendre la politique du gouvernement israélien. Mais la façon dont les critiques contre Israël sont faites dépasse très largement les critiques que l’on peut émettre normalement contre les décisions d’un gouvernement. Elles vont beaucoup plus loin et nous nous trouvons alors dans une situation absurde, inimaginable, grotesque : les médias consacrent par exemple à une décision du gouvernement israélien sur un plan d’urbanisation éventuelle d’un petit périmètre de terrain totalement inhabité actuellement – je pense notamment à la zone E1– autant de place que pour les articles sur les événements en Syrie. Et bien plus de place que sur les exactions épouvantables au Congo. C’est profondément choquant et anormal. Comme est anormale l’attitude du conseil des droits de l’homme de l’ONU qui a passé 80 % de ses résolutions contre Israël alors qu’aucune résolution n’a été votée contre la Syrie. Donc, lorsqu’on me reproche de me préoccuper trop d’Israël, et je le dis en toute simplicité, je réponds que la façon dont Israël est traité dans la politique internationale et la façon dont tout cela est répercuté et amplifié dans les médias nous incite à dire qu’Israël est devenu le ‘Juif des Nations’.

 

Quelles ont été vos meilleures réalisations, ces dernières années ?

 

Il y a environ trois semaines, nous avons organisé un voyage en Israël pour toute une promotion de l’École supérieure de Journalisme. 66 étudiants, en fin de scolarité dans l’école de journalisme la plus prestigieuse de France, ont ainsi séjourné pendant dix jours dans le pays. Ces jeunes, dans six mois, vont se retrouver dans les salles de rédaction des différents journaux et certains d’entre eux vont faire une belle carrière dans les médias. On connaît leur position, c’est celle qui est généralement adoptée, selon laquelle les Israéliens sont les plus forts et sont les agresseurs. Pendant ces dix jours, nous avons fait le maximum pour qu’ils puissent avoir une présentation aussi large et aussi objective que possible d’Israël. Au cours de leur séjour, ils sont allés également chez les Palestiniens, à Ramallah. Je sais que ces dix jours ont profondément modifié la perception qu’ils avaient de la réalité israélienne. Ils se sont trouvés sur le terrain et j’espère qu’ils pourront garder, c’était notre but, l’impression qu’il n’y a pas une seule narration.

 

Avant de conclure, Richard Prasquier : vous allez quitter bientôt vos fonctions puisqu’il y a des élections dans quelques mois auxquelles vous ne pouvez pas vous représenter. Que vous ont apporté toutes ces années à la tête du CRIF ?

 

Je ne présenterai mon bilan personnel qu’au lendemain de l’élection de mon successeur. Au cours des six prochains mois, nous allons devoir être présents continuellement et mon objectif est d’être actif jusqu’au dernier jour de ma présidence. Sur le plan humain, pour le médecin que je suis habitué à des relations humaines très particulières, je peux dire que ce travail effectué au cours de ces cinq dernières années a été extraordinairement enrichissant. Je considère comme un privilège d’avoir pu rencontrer des personnes d’horizons variés dont certaines, notamment au sein de la communauté juive, sont remarquables par leur dévouement et leur discrétion, ne cherchant jamais à se mettre en avant.

 

Source: http://www.chiourim.com/interview_exclusive_du_pr%C3%A9sident_du_crif,_richard_prasquier6427.html