Le CRIF en action
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Publié le 22 Avril 2013

70e anniversaire de la révolte du ghetto de Varsovie

 

Le CRIF, qui a par ailleurs organisé le dimanche 21 avril 2013, au Mémorial de la Shoah, la manifestation de commémoration de la révolte du ghetto de Varsovie, comme il le fait chaque année, avait envoyé une délégation importante à Varsovie pour les cérémonies qui y ont eu lieu. C’était en effet le soixante-dixième anniversaire de cette révolte, et en quelque sorte il marque la fin d’une période, le passage de la Mémoire à l’histoire, dans une Pologne qui fait aujourd’hui sienne cette histoire.

 

Chacun devrait connaître la place que cette révolte a tenue dans la mémoire juive et la mémoire d’Israël. L’union des organisations juives a servi d’ailleurs d’exemple lointain, mais puissant pour la création du CRIF dix mois plus tard.

 

Alors que les nazis contrôlaient la majorité des capitales européennes, c’est dans le ghetto de Varsovie que pour la première fois une population civile s’est révoltée militairement contre l’envahisseur : quinze mois plus tard, alors que le ghetto était totalement en ruines, ce fut  l’insurrection de Varsovie, organisée par la résistance polonaise (AK) qui aboutit à la destruction de 90% de la ville tout entière. Les deux événements, que l’on confond trop souvent, sont aujourd’hui interprétés par les autorités polonaises comme deux manifestations glorieuses de la résistance des citoyens polonais à l’oppression nazie. Les autorités avaient décidé cette année de fournir à l’ensemble des habitants de Varsovie des emblèmes de jonquilles qui, dépliées, ressemblaient à une étoile jaune tout en évoquant le renouveau : cette initiative (discutée) reposait sur une tradition établie  par Marek Edelman, décédé il y a quatre ans, le célèbre cardiologue de Lodz, membre de Solidarnocz, qui avait été  l’adjoint (Bund) au chef de l’insurrection Mordechai Anielewicz (Hashomer Hatzair).

 

Mais les combattants du ghetto n’avaient obtenu qu’un soutien minime de l’extérieur; plus tard, au cours de l’insurrection de Varsovie l’Armée Rouge parvenue de l’autre côté de la Vistule resta aussi l’arme aux pieds, laissant ses deux ennemis, les Allemands et les nationalistes polonais, aux prises les uns avec les autres.

 

La cérémonie, organisée devant le monument aux Combattants du ghetto de Nathan Rapoport, inauguré en avril 48, fut sobre et digne, malgré l’incongruité de faire chanter par un Kantor  « Mir zeinem dou » le chant historique des partisans. Les discours du Président de la République polonaise, de grande élévation,  et celui  de la Maire de Varsovie insistèrent sur la participation juive à l’histoire du pays ; celui du ministre de l’Education Israélien, le Rabbin Shai Piron commença par le mot nécessaire : « reik », vide. Vide de vie juive en Pologne, après des destructions si massives, reflété, involontairement, mais symboliquement, par le fait que le Musée des Juifs de Pologne, au même endroit, qui fournit enfin une présence juive sur cette grande place dont les maisons sont étrangères à l’histoire, ne contient encore aucune collection à l’heure actuelle.

 

Mais tous les discours ont pâli devant l’allocution de Simcha Roten, alias Szymon Rathajzer, alias Kazik, hôte d’honneur de ces commémorations. Cet homme de 89 ans, habitant aujourd’hui à Jérusalem, fait partie de ces héros qui font  plus qu’ils ne se montrent. Il était l’émissaire entre le ghetto et la ville polonaise, avait développé une connaissance exhaustive du réseau d’égouts et avait essayé par trois fois de retrouver des survivants après la fin de la lutte. Il pensait qu’il était désormais le « dernier juif » quand dans les ruines du ghetto il rencontra un groupe de combattants qu’il put conduire, dans des conditions inouïes, du côté « aryen ». Devant le 51 de la rue Prosta à Varsovie, ils déplacèrent la plaque d’égout et parvinrent à la liberté pour aussitôt reprendre la lutte : les deux tiers d’entre eux perdirent la vie dans les combats ultérieurs contre les Allemands, notamment dans l’insurrection de Varsovie. À cet endroit avait eu lieu l’inauguration, le jour précédent, d’un émouvant et sobre monument commémoratif, cérémonie au cours de laquelle nous avions eu l’occasion de faire connaissance avec Simcha Roten.

 

Dans son discours au ghetto, il y avait tout ce qui importe à dire: la détermination des insurgés de lutter non pour vaincre, mais pour pouvoir choisir leur mort, leur fierté devant le recul des nazis,leur solitude (« nous avons envoyé des suppliques à l’AK ; nous n’avons pas eu de réponse… »), la lucide conscience d’être un des derniers survivants (« mais ce qui compte ce n’est pas nous, mais de porter la mémoire de ce qui a eu lieu »), l’hommage aux Polonais qui les ont aidés, dont il cita les noms lentement, l’un après l’autre, combattants ou employés des égouts de la ville, le rappel aussi que s’il y eut des Justes, il y eut bien plus souvent des dénonciateurs, les « szmalcownicy », qui agissaient pour l’argent et souvent pour le « simple plaisir ».

 

Ce discours, prononcé dans un polonais admirable se terminait par une question inattendue : « Souvent je me demande si nous avions le droit, non pas de risquer notre vie, mais de raccourcir celle des autres personnes encore présentes dans le ghetto, en nous lançant dans cette révolte sans espoir de victoire….Plus j’y pense, plus je viens à la conclusion que le monde ira à sa perte tant que les hommes, tous les hommes, n’auront pas intériorisé au fond d’eux-mêmes cette injonction « tu ne tueras point … ».

 

Ce fut un grand moment de fierté que d’entendre un survivant du ghetto tenir ce langage.

 

La délégation du CRIF a été reçue dans sa résidence par l’Ambassadeur de France M. Pierre Buhler, un remarquable connaisseur de la Pologne et de sa langue. Elle y est retournée le lendemain pour la réception en l’honneur de M. Kader Arif, ministre délégué des Anciens Combattants, représentant du gouvernement français aux cérémonies. (Mme Catherine Vieu Charrier, adjointe au Maire de Paris, y représentait Bertrand Delanoë).

 

Nous avons également été reçus par l’archevêque de Varsovie, le cardinal Nysz, ancien évêque auxiliaire de Cracovie et à ce titre un des acteurs de l’affaire du Carmel d’Auschwitz auprès de son archevêque, le cardinal Macharski. Le cardinal Nysz a insisté sur la nécessité de suivre les enseignements de Vatican II (Nostra Aetate), mais aussi de ne pas méconnaitre les souffrances de la nation polonaise pendant la guerre et des actions des Justes dont beaucoup étaient liés à l’Église polonaise.

 

 Le thème des Justes est aujourd’hui omniprésent dans la thématique polonaise sur la Shoah. Alors qu’ils étaient le plus souvent laissés dans le silence, la situation a changé récemment, depuis la mort d’Irena Sendler (qui ne reçut pas le Prix de Nobel de la Paix qu’elle aurait bien plus mérité que tant de ses récipiendaires…) et la mise en relief de Wladyslaw Bartoszewski, toujours actif Président du Conseil international d’Auschwitz, symbole impressionnant du soutien des Polonais aux Juifs. Mais on se demande parfois si les Justes polonais (qui ont couru des risques considérablement plus élevés que la plupart des Justes des autres pays et qui sont plus de 7 000 dans le répertoire de Yad Vashem) ne servent pas parfois à esquiver la question de l’antisémitisme malheureusement si dramatique au quotidien dans la Pologne occupée par les Allemands. En France, c’est quand les responsabilités furent reconnues sans faux-fuyants (discours de Jacques Chirac en 1995 au Vel d’Hiv), que la mise en valeur des Justes devint parfaitement légitime et nécessaire.

 

La délégation a également été reçue par le ministre adjoint des Affaires étrangères, M. Jerzy Pominanowski et son assistant M. Sebastien Rejak. Tous les thèmes de préoccupation actuelle ont été discutés sans langue de bois, en particulier les résultats choquants du récent sondage auprès des jeunes polonais de Varsovie, qui à plus de 45% ne voudraient pas d’un voisin juif, alors qu’ils ne connaissent eux-mêmes aucun Juif, témoignage de la persistance (familiale ?) des préjugés antisémites. La rencontre fut également l’occasion de souligner l’intérêt que nous portions au projet de l’Union des Déportés (dont le Président Raphaël Esrail participait à la délégation) pour le camp de Birkenau.

 

Il faudrait également parler des autres moments forts de ce voyage : le concert de l’orchestre symphonique de Tel-Aviv, dirigé par Zubin Mehta, à l’Opéra de Varsovie, le merveilleux souvenir, pour ceux qui y participèrent, de la musique et des témoignages improvisés au pied du Monument des Déportés, dans la nuit précédant la cérémonie commémorative, et bien d’autres moments de rencontre et d’échange.

 

Il nous faudrait aussi parler plus en détail de ce magnifique monument qu’est le Musée des Juifs de Pologne dont on attend l’inauguration définitive dans un an environ. Musée qui a pu être achevé grâce à un don très important de M. Jan Kulczyk, un polonais non-juif. Tout indique que ce Musée, dont nous espérons qu’il retracera l’histoire des Juifs de Pologne de façon scientifique, sans complaisance ni animosité, sans simplification et sans idéologie préétablie sera un instrument du retour à la Mémoire d’une communauté détruite qui joua un rôle majeur dans l’histoire du judaïsme et pour qui pendant des siècles la Pologne fut un havre de tolérance.

 

Et comme un symbole, je voudrais terminer sur une autre rencontre inoubliable, celle de Samuel Willenberg, un homme de 91 ans sculpteur à Tel-Aviv, plein de joie de vivre et d’humour. Samuel Willenberg est le dernier en vie du groupe de 67 membres survivants du Sonderkommando de Treblinka qui se sont révoltés le 2 août 1943. Comme Kazik, il parle avec fierté de ses enfants et de ses petits enfants.

 

Magnifique victoire, pied de nez personnel à un destin apparemment inéluctable, même si chacun en l’écoutant ne peut s’empêcher de penser à tous ces enfants à qui fut dénié le droit d’exister et d’avoir eux-mêmes une famille.

 

Richard Prasquier

Président du CRIF

 

Composition de la délégation :

Richard Prasquier, Président du CRIF

François Barry Delongchamp, ancien Ambassadeur de France en Pologne, Conseiller diplomatique du gouvernement

Marek Halter, écrivain

Ephraïm Teitelbaum, Président de l’AFPCJ (Association Franco-Polonaise pour la Promotion de la Culture Juive), chargé des relations avec la Pologne au CRIF

Claude Hampel, Président de la Commission « Souvenir » du CRIF, et Sylvie Vager

Albert Roche, Président du CRIF Bordeaux-Aquitaine et Président de l’Ordre des Médecins de la Gironde

Nicole Yardeni, Présidente du CRIF Toulouse Midi-Pyrénées

Henry Battner, représentant le FARBAND

Milena Kartowski, chanteuse, comédienne, auteure

Raphaël Esrail, Président de l’Union des déportés d’Auschwitz (arrivée le 18 départ le 20)

Mohammed Sifaoui, journaliste, écrivain.

Michel et Maryse Bodkier, de Bordeaux

Marcel Apeloig, représentant l’ UEVACJ.

Karine Breslaw, directrice de la communication

Edith Lenczner, responsable communication CRIF.

Rachel Rimmer, représentant la Fondation pour la Mémoire de la Shoah

Vladimir et Irit Spiro, Président et directrice des programmes de  Judaïques FM

Stéphanie Dassa, Chargée de mission mémoire, dialogue judéo-chrétien, responsable de la Commission « Souvenir » du CRIF