Le CRIF en action
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Publié le 19 Juillet 2010

Albert Roche : «Pour que l’Histoire continue d’être un livre ouvert, pour que les générations nouvelles viennent s’y abreuver, et pour que l’oubli ne constitue pas un repli confortable pour nos consciences»

À l'invitation du Préfet de région, du Maire de Bordeaux, Alain Juppé et d’Albert Roche, délégué du CRIF Sud-Ouest Aquitaine, plus de 200 personnes étaient présentes à la Journée Nationale à la Mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français et d’Hommage aux « Justes » de France, regroupant des députés, des élus de la mairie, du conseil régional, du conseil général, les consuls d'Algérie, du Maroc, etc. Dans son allocution, Albert Roche a souhaité insister sur le devoir de Mémoire.

 

« Nous sommes aujourd’hui réunis pour nous souvenir des victimes du nazisme, du racisme et de l’antisémitisme institutionnel qui a sévi dans l’Allemagne gouvernée par Adolphe Hitler.

Nous souvenir aussi de la rafle du Vel d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942, qui relève aussi de l’Histoire de France, puisque il ne fait plus aucun doute, pour tous les historiens de la deuxième guerre mondiale, que cette rafle sans précédent incombe au régime de Vichy et de sa police.

Nous souvenir enfin des justes de France, qui au péril de leur vie, ont sauvé des juifs d’une mort certaine durant les années sombres de la deuxième guère mondiale.

Notre gratitude va aujourd’hui aux autorités politiques de notre pays qui ont milité et œuvré Pour que l’Histoire continue d’être un livre ouvert,
Pour que les générations nouvelles viennent s’y abreuver,
Et pour que l’oubli ne constitue pas un repli confortable pour nos consciences.

Je tiens tout particulièrement à rendre hommage au Président de la République Jacques Chirac, qui reconnut le premier, dans un fameux discours du 16 juillet 1995, la responsabilité entière de l’Etat français, ne cherchant pas à se démarquer de l’action du régime de vichy, mais déclarant assumer totalement la responsabilité de l’Etat français, y compris pour les années d’occupation sous le gouvernement du Maréchal Pétain.

L’idéologie nazie s’est développée à partir de thèses raciales très en vogue depuis la fin du 19ème siècle, en France et en Allemagne. Ces courants de pensée doivent beaucoup au français Arthur Gobineau, et au penseur allemand Hans Gunther.

Ces théories se fondaient essentiellement sur la conviction quasi scientifique de l’inégalité des races humaines, alors même que les biologistes, depuis fort longtemps, savaient que le genre humain ne relève toujours que d’une seule et même race, puisque tous les hommes, toutes cultures et toutes couleurs confondues, sont interféconds les uns avec les autres.

Tout le combat, en allemand « Mein Kampf », d’Adolf Hitler, aura tenu autour de cette obsession du nettoyage purificateur de l’Allemagne dans un délire d’extirpation de tout ce que l’humanité était sensée générer de miasmes et d’impureté.
Au plus bas de l’échelle humaine, le nazisme avait relégué les juifs et les tsiganes, pour lesquels n’était possible que l’extermination.
Pour les slaves, les asiatiques et les noirs, l’idéologie prévoyait la servitude alors que les méditerranéens et les japonais, alliés pourtant du régime nazi, bénéficiaient d’un programme de rééducation.

La race germanique ou aryenne constituait dès lors l’élite de l’humanité dont la puissance et la maitrise sur le monde devaient être totales.

Avec le recul du temps, ces thèses feront sourire les uns ou paraîtront curieuses voire délirantes à d’autres, mais il est urgent de rappeler que cela a existé, il n’y a pas plus de 70 ans au centre de l’Europe, et qu’une nation, cultivée et policée, lisant Schiller ou Goethe, écoutant Beethoven ou Wagner, une nation entière s’est abreuvée à la source vive du discours raciste le plus rétrograde et le plus abject.

Il n’aura fallu qu’une vingtaine d’années à l’Allemagne pour basculer du stade de démocratie éclairée à l’état de régime totalitaire, autoritaire et sanguinaire.

Les victimes du nazisme ont d’abord été les handicapés mentaux et les malades incurables sur lesquels les bourreaux vont s’acharner, tuant dans des programmes de gazage systématiques, plus de 100 000 personnes en Allemagne même.

Mais ce terrible massacre muet, sans personne pour en crier l’horreur, préfigurait celui encore plus horrible de 600000 tsiganes et de 6000000 de juifs.

Dans cette spirale mortifère des exterminations en série, l’épisode du vélodrome d’hiver, apparaît comme un événement tout à fait inattendu.

Alors même que les nazis occupaient la France, le régime de Vichy, l’Etat français siégeant à Vichy, sous la présidence du Maréchal Pétain et de Pierre Laval, cette France là, décidera d’aller au devant des demandes nazies, et organisera des rafles de juifs dont la plus terrible sera celle du Vel d’Hiv, les 16 et 17 juillet 1942.

9 000 policiers et gendarmes français aux ordres de René Bousquet auront arrêté 13 152 hommes femmes et enfants. Parqués dans des conditions d’insalubrité notoires, ils seront déportés via Drancy jusqu’à Auschwitz pour une extermination quasi totale.

Qu’on entende ces chiffres :
42 000 juifs français ont été déportés à Auschwitz en 1942, soit la population d’une ville comme Bayonne.
Un quart d’entre eux fut raflé au Vel d’Hiv ;
Seules 811 personnes, soit 2% d’entre eux échappera à la mort et reviendra en France en 1945.

La déportation des juifs de Bordeaux porte la trace indélébile de Maurice Papon, condamné en 1997 au terme de 20 ans de procédure, grâce à la persévérance, à l’obstination, et à l’implacable détermination d’hommes et de femmes bordelais comme Michel Slitinski, Maurice David Matisson et Juliette Benzazon.
Leur rendre hommage n’épuise pas la dette vis à vis du travail de mémoire qu’ils poursuivent inlassablement auprès des jeunes générations.

En ce jour enfin nous entendons honorer les justes des nations et plus particulièrement les justes de France qui, dans un élan d’héroïsme et au mépris des mesures élémentaires de précaution, ont sauvé des juifs persécutés, pourchassés, et sans autre horizon que la promesse d’une chambre à gaz.

Lorsque le parlement israélien décida en 1953 de créer l’Institut Yad Vashem, dont le nom rappelle le verset biblique du prophète Isaï : « je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs, un mémorial, Yad, et un nom Shem, qui ne seront jamais effacés », il fixa à cet institut deux objectifs :
Le premier, de maintenir vivace la mémoire de toutes les victimes de la Shoah,
Et le deuxième, de retrouver tous ceux qui, de part le monde, avaient su s’opposer au nazisme et avaient sauvé des juifs de la mort.

Le travail de mémoire se fait depuis lors sous toutes ses formes, historiographique, cinématographique, audio graphique, et plus largement sous une forme aujourd’hui plus culturelle que factuelle.

Il n’en va pas de même pour la mission de retrouver et d’honorer ces justes, qui le plus souvent gardent leur secret et préfèrent croire à la banalité de leur héroïsme.

C’est cet héroïsme qui a permis de sauver la grande majorité des juifs qui se trouvaient en France.
Ici même à Bordeaux, il y a 70 ans, n’oublions jamais l’action exemplaire d’Aristide de Souza Mendes, consul du Portugal à Bordeaux, qui en accordant des visas a permis à 30 000 personnes de fuir la barbarie nazie.

25 000 personnes en Europe ont ainsi été reconnus « Justes » parmi les nations.

Comme le rappelle Simone Weill : « en honorant ceux qui ont refusé de se plier à la fatalité de la volonté exterminatrice de l’idéologie nazie, la médaille des Justes contribue à rétablir l’Histoire dans sa vérité. »
Pour nous, membres du peuple juif, l’obligation éthique de reconnaissance de Justes parmi les Nations, sous entend également l’indéfectible solidarité avec le genre humain souffrant.

Ce devoir moral nous habite et nous nourrit depuis l’aube de notre constitution.

Puisse l’humanité considérer le devoir de mémoire comme une barrière suffisante au retour d’une telle barbarie. »

Photo : D.R.