Le CRIF en action
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Publié le 23 Février 2010

Albert Roche : Que la notion de communauté s’affranchisse de sa connotation partisane et investisse enfin celle de la communauté nationale

Madame Michèle Alliot-Marie, Ministre d’Etat, garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des libertés,



Monsieur Xavier Darcos, Ministre du Travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville,
Monsieur Dominique Schmitt, Préfet de région,
Monsieur Alain Juppé, ancien premier ministre, Maire de Bordeaux,
Monsieur Alain Rousset, Président du Conseil Régional d’Aquitaine,
Monsieur Philippe Madrelle, Président du Conseil Général,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers Amis,




En mon nom et au nom du bureau du CRIF Sud-Ouest Aquitaine, je suis très heureux de vous accueillir à ce troisième diner du CRIF à Bordeaux, Capitale et Porte de l’Aquitaine.
Comme le répétait Emmanuel Levinas : "Après vous" : cette formule de politesse devrait être la plus belle définition de notre civilisation ». J’aurais aimé m’effacer ainsi, vous faire place, Madame le Ministre, comme le souhaitait le philosophe de l’altérité. Qu’importe, l’ambigüité de cet « après, vous » permettra que je puisse parler « avant vous », et que vous me le pardonniez !



Nos rencontres font partie de ces cérémonies qui jalonnent notre vie. Loin d’être un rituel dépourvu de sens, elles en ordonnent au contraire la marche, et comme toutes les rencontres qui permettent de nous parler, le diner du CRIF a pour mission de jeter des ponts là où tant d’autres ferment des portes. En faisant dialoguer des personnes d’horizons différents et qui souvent ne se côtoient pas et se parlent encore moins, le CRIF, en France et en Aquitaine, est dans sa vocation d’améliorer ce qui nous permet de faire société.



Mais pas seulement. En faisant rapidement un tour d’horizon des défis que nous pose le présent, ici et hors de nos frontières, comme d’autres rencontres, ce diner annuel a aussi pour vocation pour reprendre le beau mot de Walter Benjamin, d’être un « avertisseur d’incendie »



Non qu’il faille ici céder à la morosité ambiante. Au contraire. Il suffit de jeter un oeil hors d’Europe et du monde riche pour savoir la chance qui nous est donnée de contribuer chaque jour à faire de la France une histoire vivante. Mais pourtant, en même temps, comment ne pas garder les yeux ouverts face aux enjeux, aux défis et aux périls qui sont devant nous ?



Je suis ce soir heureux, et fier de l’intérêt porté à la communauté juive par nos plus éminents représentants. Parce que le judaïsme ne saurait se résumer au simple fait religieux, Le CRIF fédère les différents courants de l’identité juive et favorise leur mise en valeur. Le CRIF représente et défend les intérêts de la communauté juive de France, il souhaite également être un instrument de dialogue entre la société israélienne et la société française.



L’honneur de la France, Madame le Ministre, est d’avoir donné aux juifs qui résidaient sur son territoire une citoyenneté à part entière. Depuis toujours les juifs honoraient ce principe fondamental: «Dina Demalkhouta Dina « c'est-à-dire : la loi du pays qui t’accueille sera ta loi ».



Du point de vue du judaïsme, le débat sur l’identité nationale doit rester une réflexion interne à tous les groupes humains qui viennent en France pour en partager l’histoire et le destin. Car il revient à chaque citoyen de se conformer aux idéaux d’une république généreuse, et non à la République de s’adapter aux apports culturels pluriels, même si la France continue de se nourrir du meilleur de ces cultures.



Parfaitement intégrés à la communauté nationale, les juifs de France ont découvert, 50 ans après l’horreur de la seconde guerre mondiale et de la Shoah, que l’antisémitisme pouvait renaitre de ses cendres, s’afficher ouvertement sous le prétexte fallacieux d’antisionisme et parfois même tuer.



Le meurtre d’Ilan Halimi est encore gravé dans toutes les mémoires. Ce jeune homme n’a eu que la malchance d’être né juif et d’avoir croisé d’autres jeunes, des êtres banals au sens où l’entendait Hanna Arendt, et que les circonstances du temps avaient transformées en barbares antisémites, et verseurs de sang juif.



Emile Zola s’interrogeait déjà, en pleine affaire Dreyfus, à la fin du 19ème siècle sur ce phénomène inquiétant : « Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibrés ? Quelle tristesse, quelle inquiétude, pour le vingtième siècle qui va s'ouvrir ! ».



Quelle navrante désillusion que de constater les mêmes dispositions, les mêmes mots, les mêmes actes, chez de nouveaux jeunes, pareillement antisémites, à l’aube du 21ème siècle ! Comme si l’Histoire ne nous apprenait rien.



Nous nous inquiétons car l’antisémitisme n’a pas reculé depuis 2001 ; il est même redevenu doctrinal : le juif serait celui qui possède assez d’argent et de pouvoir, pour tout se payer. Je voudrais toutefois rappeler fortement la résurgence de cet antisémitisme, souvent affiché, mais le plus souvent larvé et sournois.



La « France antisémite » ? La formule est absurde comme est inepte tout jugement qui essentialise un peuple. Mais dans la France d’aujourd’hui, hors les “belles âmes”, aveugles de profession, chacun reconnait la prégnance de l’antisémitisme dans certains milieux et dans certains quartiers. Sans stigmatiser quiconque, force est de constater que dans certaines zones de notre pays, le mot juif suscite l’hostilité, les insultes et parfois même les coups.



Comment accepter qu’Internet, cet outil de libération pour tant de peuples opprimés, de la Chine à l’Iran, soit devenu une poubelle de l’information, le lieu crucial de la rumeur complotiste . On n’en finirait pas d’égrener le bêtisier de masse de la théorie du complot, cet « asile de l'ignorance » pour paraphraser Spinoza. Il s’agit bien de bêtise, en effet, mais cette bêtise là n’a rien de bonhomme, elle ne fait plus sourire parce qu’elle prépare et légitime par des mots la violence ouverte.



Comment tolérer qu’en France, l’on confonde des Français de confession juive et les citoyens d’un Etat souverain qui s’appelle Israël ? Quels que soient les liens qu’une partie des Juifs de France entretient avec Israël, ils sont Français. Ils ne relèvent pas de l’ambassade d’Israël pas plus que les synagogues, d’ailleurs, n’en relèvent. Or, c’est bien au cri de “A la synagogue !” qu’en janvier 2009 deux manifestations hostiles à l’opération militaire israélienne menée à Gaza s’étaient terminées. C’est dans notre pays que l’on confond la liberté de critiquer l’Etat d’Israël, une liberté entière et reconnue, et l’appel à sa destruction dès lors qu’on nie la légitimité de cet Etat.



Le conformisme médiatique a besoin d’ennemis rassurants et familiers, il se les fabrique au besoin pour mieux détourner le regard des vrais périls et des bassesses.



On nous dit, à raison d’ailleurs, que la planète est devenue un village, et depuis quelques décennies déjà nous savons que nous sommes entrés dans l’ère du « monde fini ». Cette conscience d’unité et de finitude devrait nous faire comprendre que tout problème local est global, que tout conflit mineur peut avoir des répercussions à l’autre bout du monde.



Nous sommes indéfectiblement attachés à l’existence de l’Etat d’Israël.



Dans un moyen orient conflictuel depuis des décennies, la menace nucléaire agitée par le Président de la République islamiste d’Iran nous inquiète également. Sans vouloir minimiser la potentialité nocive d’un tel discours, il apparaît pourtant que le pire peut encore advenir. Les ennemis désignés sont toujours les mêmes : les Etats-Unis d’abord et le monde occidental dans son ensemble, jugé pervers et décadent, mais surtout Israël qui focalise et condense à la manière d’un bouc émissaire, toutes les accusations portées contre l’occident.



C’est parce que nous savons que le régime iranien est de type millénariste, qu’il est guidé par une logique jusqu’au-boutiste voire apocalyptique, qu’il faut l’arrêter aujourd’hui avant de payer demain un prix bien plus élevé. Il s’agit de l’arrêter lui, et lui seul, pas l’Iran et moins encore le peuple iranien. Ce régime constitue le danger n° 1 pour une déjà si précaire paix mondiale.



Madame le Ministre, vous avez la charge éminente d’être le garant de la Justice rendue en France. Je tiens à rendre hommage à votre travail, probablement le plus difficile au sein d’un gouvernement. Depuis l’aube de ses origines, le peuple juif a fait de la Justice un des principaux axes de sa réflexion, de son développement et de sa survie.



« Que l’Amour et la Vérité se rencontrent, et la Justice et la Paix s’embrasseront », ainsi s’exprimait le prophète Jérémie. Il ne saurait y avoir de Paix sociale sans une Justice pour la fonder. Mais cette confluence ne peut vraiment advenir que si l’amour de l’autre en tant qu’autre et la quête de vérité se rencontrent pour conjuguer leurs vertus.



Un bel exemple de cette conjonction nous est fourni par ceux que l’Histoire désigne désormais par le nom de Juste des Nations. Nous serons d’ailleurs heureux de vous remettre, Madame le Ministre, Mesdames et Messieurs la plaquette relative aux Justes d’Aquitaine éditée par la section du CRIF de Bordeaux.



Madame le Ministre, tout le souhait du CRIF est de travailler dans l’harmonie et l’esprit de Justice et de Paix, pour le bien de la communauté juive française, mais aussi pour le bien public, le bien commun, le bien de tous.



J’exprime un souhait Madame le Ministre, Mesdames et Messieurs, « I have a dream » : Que la notion de communauté s’affranchisse de sa connotation partisane et investisse enfin celle, plus exaltante, de la communauté nationale.



Je vous remercie de votre attention.