Le CRIF en action
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Publié le 28 Février 2007

Allocution de François Leotard

Nous sommes ici, ce soir invités par le CRIF, conscients du fait que la diversité de nos fonctions, de nos responsabilités, de nos opinions est une force. Nous sommes ici pour tenter d’endiguer, de canaliser, d’exprimer surtout l’inquiétude et la révolte qui nous ont saisis au fil des déclarations du président iranien.


Inquiétude et révolte qui n’ont rien d’artificiel, d’irrationnel ou d’excessif, rien non plus qui soit de nature électorale ou lié à nos polémiques internes. Rien qui puisse être assimilé à un bellicisme dont nous savons bien, nous Européens, comment il se termine.
Car nous savons aussi – par une tragique expérience – que les programmes qui annoncent LE MEURTRE sont généralement appliqués.
Disons le fortement : nous ne sommes pas ici des femmes et des hommes qui souhaitent la guerre. Ceux qui l’imposent, la proposent ou la promettent doivent savoir simplement qu’ils en paieront le prix.
Nous avons une mémoire : la guerre, lorsqu’elle s’engage, se nourrit d’elle-même. Elle sème derrière elle des appétits de haine et de revanche qui ne sont jamais assouvis. Et ce n’est certainement pas ce que nous aimerions transmettre aux générations à venir, en Israël, en Iran, ou en Europe.
Mais si nous ne souhaitons pas la guerre, nous aimerions qu’en France, au Quai d’Orsay comme à l’Elysée, ceux qui vont quitter ces fonctions comme celles ou ceux qui pourraient les occuper, se souviennent de la phrase de Charles PEGUY :
« Rien n’est meurtrier comme la faiblesse et la lâcheté ».
Car ce n’est pas toujours celui qui déclare la guerre qui entraîne derrière lui le plus de morts. C’est celui qui se résigne à sa propre défaite.
C’est pourquoi nous rappelons cette évidence : nous sommes attachés de toutes nos forces, de toute notre conscience, de toute notre volonté, à l’existence d’ISRAEL, à la légitimité d’un Etat, sans doute singulier, sans doute modeste dans sa dimension mais qui représente pour l’humanité un bien précieux. Précieux par sa culture, son histoire, son courage. Précieux par l’exercice exigeant de sa démocratie. Je rappelle ici que le Judaïsme a apporté à l’Europe mais aussi au monde arabo-musulman ce qu’il y a de plus profond dans leurs racines spirituelles et intellectuelles. Que l’Etat d’Israël soit aujourd’hui menacé par un régime qui continue à pratiquer la lapidation, l’exécution des mineurs délinquants, l’emprisonnement des journalistes n’est certainement pas de nature à apaiser notre révolte.
Aujourd’hui nous voulons dire simplement ceci : ceux qui manipulent à Téhéran ou à Damas les soldats exaltés du fanatisme faute d’avoir le courage d’être eux-mêmes en première ligne, ceux-là, ces dirigeants-là ne méritent aucun respect. Ils font la guerre par misère interposée. Et c’est la misère dans leur propre pays, qui finira par les chasser.
Si au Liban par exemple, on leur donne par faiblesse, si on donne à la déraison et à la haine un balcon sur la Méditerranée, alors ce sera l’esprit même de la démocratie qui connaîtra une nouvelle épreuve. Nous croyons, nous que ces rivages peuvent rassembler demain le monde musulman, le monde juif et l’Europe dans le respect de chacun.
Il n’y a pas de place en Orient ni en Occident pour « un parti de Dieu » qui, dés lors qu’il se nomme ainsi, n’est plus le parti des hommes mais devient naturellement le parti d’une moitié de l’humanité contre l’autre.
Et ce n’est pas le fait que ces hommes soient élus qui pourrait autoriser notre indifférence ou notre passivité.
Lorsque les militants de ce parti s’appuient sur le mensonge – comme ce fut le cas des négationnistes réunis récemment à Téhéran- ils deviennent, qu’on le veuille ou non les partisans d’un Dieu menteur. Je parle de cette réunion honteuse où l’aveuglement, la bêtise et la haine ont remplacé l’exercice de la raison. Le négationnisme n’est pas simplement la volonté de refuser ce que l’Histoire a établi, ce qu’elle nous a demandé de transmettre. C’est un crime qui s’ajoute aux crimes anciens. Nier cette partie de l’Histoire, cette SEULE partie de l’Histoire, c’est commettre sur les victimes le monstrueux sacrilège d’une deuxième mort. C’est ouvrir de nouveau pour l’avenir les fosses où ces victimes ont été enfouies.
Car il y a CELA qui nous a blessés au cœur même de notre mémoire.
A Téhéran on a réuni – pour la première fois depuis 1945- la fine fleur du négationnisme. C’était une véritable « association de malfaiteurs », et en même temps la démonstration d’ une véritable répulsion obsessionnelle pour la vérité. Ceux qui ont organisé cela n’ont pas simplement offensé la dimension insupportable de la tragédie, ils ont craché au visage de celles et de ceux qui ne pourront plus jamais parler...
C’est pourquoi il faut dire à la communauté internationale que la vraie bombe qui menace les démocraties c’est tout autant celle du mensonge que celle qui détruit le corps des hommes. Et cette responsabilité elle incombe à un pays – le nôtre – qui connaît la première communauté juive et l’une des premières communautés musulmanes en Europe.
Nous croyons que de nombreuses mesures, diplomatiques et économiques peuvent être prises avant d’arriver à un affrontement qui serait catastrophique pour la région et pour l’humanité.
La première et la plus simple d’entre elles, celle qui doit accompagner faute de les avoir précédées toutes les sanctions internationales c’est celle que pourrait prendre le Conseil de l’Union Européenne dans le cadre des attributions qui sont les siennes.
La France s’honorerait si elle mettait à l’ordre du jour d’un prochain Conseil Européen l’interdiction faite au président iranien de pénétrer sur le territoire de l’Union. Oui, monsieur Ahmadinejad est indésirable en Europe. Il n’a rien à faire parmi nous. Rien à dire. Rien à négocier. Personne à rencontrer. Tant qu’il n’a pas RENONCE publiquement à ses propos.
Cette mesure a déjà été prise en 2002 contre le Président du Zimbabwe. Elle est simple. Elle n’est pas uniquement symbolique car le territoire de l’Union est aussi un territoire de valeurs.
Elle consiste à dire à 500 millions d’Européens : voilà ce à quoi nous sommes attachés.
Elle permet de dire calmement au président iranien: « Puisque vous menacez directement l’existence d’un pays reconnu par l’O.N.U., nous considérons que vous représentez vous-même une menace pour l’existence des pays de l’Union. »
Par une initiative de cette nature, la diplomatie française effacerait l’effet désastreux qu’ont eu ses propos sur « l’Iran comme facteur de stabilité » au Proche et Moyen-Orient. Je parle naturellement de l’Iran tel que ce pays est dirigé aujourd’hui.
Il serait temps en effet et je terminerai par là, que nous considérions que ce que nous défendons ce ne sont pas seulement des intérêts matériels, éminemment respectables : le prix d’un baril de pétrole ou le niveau du commerce extérieur, mais aussi – et peut être surtout – la mémoire de l’autre, la volonté de vivre ensemble la diversité des cultures, autour desquelles se sont bâties nos démocraties.