Le CRIF en action
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Publié le 21 Juillet 2010

Allocution de Madame Simone Veil à la cérémonie de commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv - 18 juillet 2010

Monsieur le Ministre,



Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,



C’est toujours le cœur serré par l’émotion que je prends la parole en ce lieu. Comme chaque année, nous sommes réunis ici, sur les lieux mêmes de la Rafle du Vel d’Hiv, pour rappeler la mémoire des 13.000 hommes, femmes et enfants qui ont été parqués dans le Vel d’Hiv pendant plusieurs jours, avant d’être envoyés à Auschwitz. La plupart y ont été gazés dès leur arrivée et, parmi ceux qui sont entrés dans le camp, très peu ont survécu.
Cette commémoration est aussi l’occasion d’évoquer la mémoire des 76.000 Juifs déportés de France dont 2.500 seulement sont rentrés. Les années ont passé depuis notre retour et beaucoup d’entre nous ont aujourd’hui disparu. Nous ne sommes plus guère, aujourd’hui que quelques centaines à pouvoir encore témoigner. Chaque année, nous sommes de moins en moins nombreux.



Le film de Rose Bosch « La Rafle du Vel d’Hiv », sorti cet hiver au cinéma, retrace cette tragédie et a sans nul doute contribué à consacrer cette page de notre Histoire, que les témoins que nous sommes évoquons depuis des années. Comment oublierait-on cette date où, pour la première fois à Paris, non seulement des adultes, mais également des enfants, ont été arrêtés puis déportés. Ce fut la première grande rafle qui eut lieu dans la France occupée. Ceux d’entre nous qui, comme moi, vivaient en zone libre, n’ont pas su ce qui s’était passé.



Dès l’aube du 16 juillet, les autobus étaient en place en plein cœur de Paris, dans des quartiers bouclés par la police parisienne qui commençait sa sinistre besogne. Il s’agissait, en effet, de surprendre les familles en plein sommeil, afin de les trouver chez eux avant qu’ils ne partent au travail, quand ils avaient la possibilité de travailler en dépit des persécutions, avant aussi que les enfants ne sortent, car la plupart des enfants, même avec l’étoile jaune, sortaient dans la rue. A peine leur a-t-on laissé le temps de s’habiller ! Les mères ont habillé les plus jeunes et rassemblé quelques vêtements, comme elles ont pu. Harcelés par les vociférations des policiers et des gendarmes, parents et enfants ont été poussés hors de chez eux, entassés dans les autobus, sous les regards quelque fois apitoyés, quelque fois presque narquois, voire satisfaits de leurs voisins. Ceux qui n’avaient pas de jeunes enfants ont été directement emmenés à Drancy. Les autres, 7.500 environ, dont 4.000 enfants de moins de 13 ans, ont été conduits au Vel d’Hiv. L’ancien Vélodrome d’Hiver, qui avait été un lieu populaire par excellence, un lieu d’exploits sportifs et de gaieté, est ainsi devenu en quelques heures, un lieu de souffrance et de désespoir, un lieu de mort aussi, puisque certains y sont morts, en raison des brutalités subies, tandis que d’autres se sont suicidés.



Après la guerre, le Vel d’Hiv a été détruit, mais il demeure gravé dans l’Histoire, de façon symbolique, comme les ghettos de Pologne, de Hongrie et d’ailleurs, comme les charniers de Babi Yar et de Kiev, et hélas, bien d’autres lieux encore où les Juifs furent rassemblés avant d’être exterminés.



Ici, pendant cinq jours, cinq longues journées, ils sont restés entassés sur les gradins ou à même le sol, dans des conditions innommables. Pour prendre soin des malades et des vieillards, il n’y avait que trois médecins, deux juifs et un bénévole de la Croix Rouge, ainsi que quelques infirmières et pompiers de Paris. Personne n’oubliera l’attitude et le dévouement de ces personnes courageuses qui ont pris de grands risques pour sauver des enfants. Je pense notamment à Henri Pierret, Capitaine des Pompiers de Paris, qui contre l'avis des policiers, a fait ouvrir les vannes des lances à incendies. Ils n'étaient que six pompiers pour soulager avec leur humanité, et avec les moyens du bord, la détresse des hommes, des femmes et des enfants parqués. Ils ont ensuite fait passer aux proches des Juifs raflés des messages pour les informer et leur recommander de fuir la police et les Allemands. On n’oubliera pas ces personnes qui, au péril de leur vie, ont sauvé des Juifs. Nombre d’entre eux ont été honorés par Yad Vashem Jérusalem du titre de « Juste parmi les Nations ».



Dans le Vélodrome, il faisait très chaud. Les enfants, et surtout les bébés, pleuraient ou criaient. Quelques bénévoles distribuaient une maigre soupe, qui ne suffisait pas à assouvir la faim. Faire sa toilette, il n’en était pas question. On peut imaginer l’odeur nauséabonde, faute d’équipement sanitaire. Après cinq jours, tous furent transférés dans les camps de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers.



A cette date déjà, un premier convoi de ceux qui avaient été directement emmenés à Drancy, était parti pour Auschwitz. Jusqu’à la fin du mois de juillet, des convois de plus de 1.000 femmes, enfants et adolescents ont tous les deux jours quitté Drancy. La plupart d’entre eux étaient gazés dès leur arrivée. En 1945, de ces milliers d’hommes et de femmes, à peine une trentaine d’entre eux avaient survécu, pour la plupart des hommes.



Faute d’instructions précises concernant le sort des enfants, et dans l’attente d’une décision de Berlin, les autorités françaises décidèrent de séparer les enfants des adultes dans les camps de Beaune et de Pithiviers. Je ne m’attarderai pas à décrire les scènes déchirantes et bouleversantes auxquelles donnèrent lieu ces séparations, sinon pour rappeler que ces 4.000 enfants furent à leur tour, déportés à Auschwitz. Répartis dans plusieurs convois, ils ont été directement conduits à la chambre à gaz. Imaginez ces enfants, âgés de trois à quatre ans et même certains plus jeunes encore, qui ont voyagé, entassés pendant trois jours dans ces wagons, avec la chaleur, la soif, la faim, les cris et les pleurs. A l’arrivée c’est tous seuls, ou donnant la main à un aîné ou à un adulte, qui en avait pris soin pendant ce long et terrible voyage, qu’ils sont entrés dans les chambres à gaz.



Tout cela, vous le savez, mais il est important chaque année de le rappeler, ainsi que les conditions dans lesquelles cette commémoration est devenue, pour nous tous, un devoir de mémoire. Aujourd’hui, nous sommes là, assez nombreux pour que l’on n’oublie pas, et chaque année, nous nous retrouvons.



Le film de Rose Bosch « La Rafle du Vel d’Hiv » a touché un très large public, bien au-delà de tous ceux qui avaient été concernés par cette tragédie. Ce film est venu à point nommé. Nous ne pouvons en effet méconnaitre que le négationnisme n’a pas baissé les bras. Aujourd’hui encore, certains prétendent que les chambres à gaz n’ont pas existé, que l’extermination des Juifs est une fable. Je reçois de temps à autre des courriers inquiétants – heureusement peu nombreux, dont les auteurs, n’hésitent pas à affirmer que ce sont les Juifs qui, de leur propre choix, ont décidé en janvier 1945 de suivre les SS plutôt que de rester dans les camps et d’attendre leur libération par les troupes soviétiques. En fait, nous n’avons pas eu le choix et, en l’espace de quelques heures, nous avons été contraints de quitter Auschwitz lorsque les SS ont décidé d’évacuer les camps. Ils nous ont obligés à marcher jusqu’à Gleiwitz, à 70 km de là. Beaucoup sont morts en route, de froid, de fatigue. Nous étions très peu de femmes.



Devant les propos négationnistes qui perdurent, nous devons être très vigilants et faire en sorte que ces attitudes ne trouvent aucun écho auprès du public, auprès des jeunes générations. Ce sera pour moi l’essentiel, le mot de la fin.



Monsieur le Ministre, je tiens à vous remercier d’être parmi nous aujourd’hui et je remercie également tous ceux présents à cette commémoration.



Photo : © 2010 Erez Lichtfeld