Le Président de la République, Nicolas SARKOZY, souhaitait être présent avec vous ce soir. L’actualité internationale ne lui en a malheureusement pas laissé la possibilité. Il m’a chargé personnellement de vous dire toute l’importance qu’il attache à ces rencontres et au fait que vous ayez choisi la France pour tenir ce dialogue si essentiel. Il vous transmet par ma voix un message de respect, d’amitié sincère et tous ses souhaits pour le succès de vos travaux.
Le Premier Ministre, François FILLON est très heureux de vous savoir réunis aujourd’hui en France.
La France est fière en effet que cette rencontre entre deux très anciennes religions monothéistes se tienne sur son sol. Elle y voit le prolongement d’un dialogue qui n’a jamais cessé, aussi loin que l’on remonte dans son histoire, entre les juifs et les chrétiens. Comme tout pays d’Europe occidentale, la France trouve en son histoire des racines chrétiennes. Mais le Président de la République l’a rappelé, notre pays, comme tant d’autres en Europe, a aussi des racines juives. Qu’il suffise par exemple de penser à ce personnage emblématique qu’est RACHI, Salomon de Troyes, la grande figure tutélaire des rabbins français, dont la foi exigeante et tranquille, ainsi que la pensée subtile mais pleine de bon sens, ont jeté voilà près de 10 siècles un éclat qui continue d’éclairer notre temps.
Plus tard, au XXème siècle, c’est un autre juif français, Jules ISAAC, qui a contribué de manière déterminante à relancer ce dialogue entre les deux religions. La réunion d’aujourd’hui est le prolongement direct de ses efforts. Jules ISAAC est une grande figure de la République. Il a laissé son nom à des manuels d’histoire qui ont façonné l’image que les Français se font de la France et qui ont cimenté l’idéal républicain pour des générations. Après la deuxième guerre mondiale, après la Shoah à laquelle sa famille a payé un lourd tribut, Jules ISAAC a déployé toute son énergie avec Jacques Maritain pour que juifs et catholiques se comprennent à nouveau, et dissipent les préjugés qui ont mené à l’horreur indicible.
Car cette part sombre de l’histoire de l’humanité, la France l’a connue elle aussi. Au cours de ces journées de rencontre, vous vous rendrez à Drancy, localité comme il en existe de nombreuses en France. Mais sous l’occupation nazi, Drancy était aussi un camp d’internement. Drancy était l’antichambre d’Auschwitz. C’est de Drancy que sont partis la plupart des juifs de France qui ont été déportés. C’est de Drancy que l’épouse et la fille de Jules ISAAC sont parties pour ne jamais revenir. Et aujourd’hui encore, la France pleure chacun de ses enfants, chacun de ceux qu’elle n’a pas su sauver, chacun de ceux aussi qu’elle a livrés à l’occupant. Car la France, terre de tolérance et patrie des droits de l’Homme, n’a pas su échapper, dans ces années les plus noires de son histoire, à cette flétrissure indélébile de la condition humaine qu’est la Shoah, dont elle a secondé la criminelle exécution. Le travail de mémoire a pris du temps. Peut être parce qu’en raison même des valeurs humanistes qui sont l’essence de notre pays, l’horreur de ces actes était trop insupportable pour être contemplée en face. Mais en 1995, l’Etat a assumé cette faute collective, même si la légalité républicaine se trouvait à cette époque à Londres avec la France libre et non à Vichy. Et deux ans après, les évêques de France, à Drancy même, se sont engagés dans une repentance courageuse, reconnaissant que face à la barbarie le simple silence est une faute.
C’est parce que cette repentance a eu lieu que nous pouvons regarder désormais sans arrière-pensée l’exemple de tant de Français qui, dans cette même période sombre, ont illustré les valeurs profondes de notre communauté nationale. Je pense à tous ces Français ou résidents étrangers, pourchassés parce qu’ils étaient juifs, qui ont été sauvés par d’autres Français, qui ne les connaissaient pas l’instant d’avant et qui pourtant ont risqué pour eux leur vie et celle de toute leur famille. Ce sont ces milliers d’actes héroïques et anonymes qui expliquent que les trois-quarts des juifs de France, comme nous le rappelle Serge KLARSFELD, ont échappé à la déportation, cas unique dans les territoires soumis à l’occupant. Je pense aussi à tous ces jeunes Français qui ont voulu combattre la barbarie nazie les armes à la main, qui ont rejoint le Général de Gaulle et se sont fait tuer sous le drapeau des Forces françaises libres pour prouver au monde et à eux-mêmes qu’on ne peut être Français sans chérir la liberté.
C’est parce que la France a connu ces épreuves, qu’elle a entrevu l’abîme de la chute et connu la régénération du sursaut, que nous ne laisserons jamais réapparaître les ferments de l’antisémitisme. C’est une priorité pour le gouvernement de la République française, car c’est notre pacte fondamental qui est en jeu, celui qui lie tous les habitants de ce pays autour des valeurs républicaines de tolérance, de respect mutuel et de fraternité. Quand ce pacte se délite, la barbarie n’est jamais loin. Ilian HALIMI a payé de sa vie cet enchaînement qui commence par des atteintes souvent jugées sans conséquence et aboutit à cet acte de barbarie pure : torturer puis assassiner un être humain en raison de ses origines. Puisse le chêne qui sera planté demain en sa mémoire dans la cour de la synagogue du Raincy rappeler, en plus des peines très sévères que la justice française a infligées à ses tortionnaires, qu’on ne doit jamais transiger avec la moindre parcelle du respect dû à tout être humain. Car les actes antisémites visent bien au-delà de la communauté juive. C’est l’ensemble de la communauté nationale, dans toute sa diversité, qui est prise pour cible. C’est la nature de l’humanité même que nient les antisémites. Aussi notre politique de « tolérance zéro » à l’égard de tels actes, heureusement très minoritaires aujourd’hui, est-elle appliquée avec la même résolution s’agissant des autres communautés. Nous protégeons avec la même détermination la communauté musulmane et toutes les autres communautés. Nous n’admettrons jamais que le racisme et l’antisémitisme aient droit de cité en France.
S’il est une région du monde où cet équilibre fragile et magnifique entre les communautés est essentiel, c’est le Moyen-Orient. Depuis des siècles la coexistence harmonieuse entre les diverses communautés religieuses y est un enjeu majeur. Quand l’harmonie est trouvée, il n’y a pas alors de meilleur symbole de ce que nous espérons pour le monde d’aujourd’hui. Qu’il me soit donc permis de saluer la présence ce soir, côte à côte, des plus hauts représentants des Eglises latines de Jérusalem et des plus hauts représentants des institutions rabbiniques israéliennes. C’est là une image très forte et très encourageante pour l’avenir de toute la région. A l’inverse, quand les communautés se déchirent dans cette région, la paix et la sécurité du monde se trouvent menacées.
La France, en raison de ses responsabilités historiques et de son attachement profond pour ces communautés, est particulièrement concernée par la sécurité des chrétiens d’Orient. Nous sommes très préoccupés par les attaques dont ils ont été victimes voici quelques semaines, qu’il s’agisse des coptes d’Egypte ou des catholiques syriaques d’Irak. Nous avons apporté tout notre soutien à ces communautés et nous avons mobilisé nos partenaires pour que l’Europe définisse une réponse globale face à ces attaques. Il s’agit en effet d’une forme particulièrement pernicieuse de terrorisme, qui cible la liberté religieuse à laquelle la France restera toujours très attachée. Car la liberté de tous les cultes et de toutes les communautés est au cœur de sa conception de la laïcité. Ce sont ces valeurs qui conduisent l’action des pouvoirs publics français. C’est parce que la France est un pays laïc que toutes les croyances sont protégées sur son territoire et c’est pour cette raison qu’elle répond à l’appel de tous ceux qui dans le monde sont persécutés à cause de leur foi.
Un immense espoir est en train de se lever, sous nos yeux, dans tout le monde arabe. Nous voulons tous imaginer avec optimisme l’issue de ce bouleversement historique. En Tunisie et en Egypte, les peuples ont jusqu’à présent su allier courage et sens des responsabilités, ce qui leur a gagné l’admiration du monde entier. Cette accélération de l’histoire doit inciter à approfondir le dialogue entre les trois religions. Et quelle belle image si un jour prochain ces rencontres associaient des représentants du culte musulman à ce dialogue entre juifs et catholiques.
Au moment de conclure mon propos, je vois de nombreux motifs de satisfaction. Le dialogue entre juifs et catholiques a véritablement pris son essor : depuis la Déclaration Nostra Aetate adoptée par le Concile Vatican II, c’est devenu un processus fécond, dynamique et serein. Je crois que la France se distingue dans le monde par la qualité et la profondeur du dialogue qui est menée par les deux communautés. Et comment ne pas penser ce soir, à Paris, à la grande figure du Cardinal LUSTIGER qui incarnait en son être même la proximité des deux religions bibliques ? Comment ne pas songer à cette image inoubliable, lors de ses obsèques, de la double liturgie à laquelle le Président de la République Nicolas SARKOZY assistait, du « Kaddish » prononcé devant Notre Dame de Paris, pour celui qui se définissait lui-même comme « cardinal et juif » ?
Au nom du gouvernement français, je vous souhaite donc d’excellents travaux qui ne pourront qu’être de grande portée au regard de la qualité exceptionnelle des participants.
Qu’il me soit permis de citer ces mots si simples tirés des Psaumes (Ps 133) :
« Voyez ! Qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensemble ! »
Je crois qu’aussi bien sur le plan national qu’international, on ne résumera jamais mieux le projet de la République française.
Photo : © 2011 Erez Lichtfeld