Le premier geste de Benoît XVI à son arrivée, dans l’ancien ghetto juif de Rome, peu avant de pénétrer dans la grande synagogue, a été de s’arrêter devant la plaque qui commémore la déportation des juifs de Rome, le 16 octobre 1943. Rome, où la présence juive est attestée dès 146 avant Jésus Christ, est la seule ville d’Europe qui n’a jamais expulsé ses juifs. Il s’y est attardé longuement et y a reçu les explications d’un historien spécialiste de la Shoah.
Les rabbins et représentants communautaires ont lu la prière de Maariv, avant l’entrée de Benoît XVI dans la grande synagogue, puis entonné plusieurs psaumes, accompagné par une chorale, dont le psaume 133, « Hine ma tov uma naim », et le très émouvant « Chir Hamaalot », psaume 126.
Premier à prendre la parole, le président de la communauté juive de Rome Riccardo Pacifici a commencé par évoquer le désastre humanitaire en Haïti, avant de marquer avec l’assemblée une minute de silence à la mémoire des victimes. Dans un discours particulièrement inspiré et émouvant, Riccardo Pacifici a rendu hommage à Jean-Paul II et au Grand Rabbin émérite Elio Toaff, qui l’avait invité à une première visite historique à la grande synagogue, en 1986.
Le président de la communauté juive de Rome a ensuite évoqué l’Etat d’Israël, insistant sur « le lien indéfectible entre le peuple juif et la terre d’Israël ». Il a aussi rendu hommage à Gilad Shalit, « prisonnier du Hamas depuis 1302 jours et citoyen d’honneur de la ville de Rome ».
Evoquant la Shoah, Ricardo Pacifici a affirmé : « le poids de l’Histoire pèse sur cette rencontre », avant de saluer avec beaucoup d’émotion les quelques survivants d'Auschwitz présents dans la salle. Ceux-ci avaient les larmes aux yeux quand le pape s'est levé pour les applaudir.
Le président de la communauté juive de Rome a rappelé, ému aux larmes qu’il est, lui-même, fils d’Emmanuele Pacifici et petit-fils du Grand Rabbin de Gènes, Ricardo Pacifici, mort à Auschwitz avec son épouse Wanda. Il a raconté comment son père et son oncle ont trouvé refuge pendant la guerre au couvent des sœurs de Sainte Marthe, à Florence, et a exprimé sa « reconnaissance, immense et pérenne » pour cette institution qui a reçu la médaille des Justes de l’Etat d’Israël.
Evoquant le silence de Pie XII pendant la Shoah, encore «douloureux» aujourd’hui pour les Juifs d’Europe, Ricardo Pacifici a déclaré : « Peut-être qu'il n'aurait pas arrêté les trains de la mort, mais il aurait transmis un signal, une parole d'extrême réconfort, de solidarité humaine pour nos frères emportés vers les fours crématoires d’Auschwitz».
«En attente d'un jugement partagé, nous souhaitons, avec le plus grand respect, que les historiens aient accès aux archives du Vatican sur cette période et tous les événements liés à l'effondrement de l'Allemagne nazie», a-t-il ajouté. « Les pontificats, de Jean XXIII à Jean-Paul II, ont accompli de nombreux gestes et actes de réconciliation, depuis « Nostra Aetate » jusqu’à votre visite en Israël et à Yad Vashem. Ces actes témoignent que le dialogue entre les juifs et les catholiques peut et doit continuer, même si, par moments, il est difficile», a poursuivi Ricardo Pacifici, concluant : « Ouvrons nos cœurs et faisons ensemble de cette rencontre historique un message de solidarité. Nous le devons à nous-mêmes et à nos enfants. »
Le Grand Rabbin de Rome, Riccardo di Segni, a évoqué, à son tour, l’Etat d’Israël, la reconnaissance par le pape Jean-Paul II de cet Etat, et le fait que « s’il n’est pas un Etat saint, il est un « Etat de Celui qui est saint (Eretz Hakodech), c’est à dire de la promesse que Dieu a faite aux enfants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, devenu Israël. C’est un fait inattaquable dans la conscience juive et dans la Bible, et, malgré des interprétations différentes, cela a un sens saint, pour vous comme pour nous », a-t-il insisté.
Riccardo di Segni a rappelé que Jean-Paul II avait décrit la relation entre les Juifs et les Chrétiens semblable à une relation entre frères : « Dans le livre de la Genèse, les relation entre frères sont très difficiles. Caïn tue Abel. Isaac et Ismaël vivent séparément, d’abord dans la rivalité, puis unis par la compassion quand ils enterrent Abraham. Esau et Jacob ont, eux aussi, une relation conflictuelle et, finalement, l’histoire de Joseph et de ses frères, qui commence très mal, se termine par une réconciliation, lorsque les frères de Joseph reconnaissent leur erreur et montrent la volonté de se sacrifier les uns pour les autres. »
Tirant les leçons de la Torah, le Grand Rabbin de Rome a affirmé : « Si notre relation est une relation de fraternité, nous devons nous demander à quel phase de cette relation nous sommes, et quel chemin il nous reste à parcourir, avant de retrouver la compréhension et la fraternité véritables ». « Nous devons sauvegarder, ensemble, la sainteté de la vie, la dignité de l’homme, son besoin de justice et d’éthique. Ce sont des valeurs que nous partageons, comme celle de la miséricorde. Nous pouvons vivre chacun sa propre religion, avec honnêteté et humilité, sans la transformer en un instrument de haine et d’exclusion ou de mort. Malgré nos problèmes irrésolus et nos incompréhensions, ce sont nos visions partagées et nos objectifs communs qui doivent primer », a-t-il conclu.
« Nous nous retrouvons ici pour rendre plus solide les liens qui nous unissent et continuer à parcourir ensemble le chemin de la réconciliation et de la fraternité », a déclaré Benoît XVI, qui a indiqué que sa venue à la synagogue de Rome s’inscrivait « dans le chemin tracé par mon vénéré prédécesseur Jean-Paul II, il y a vingt-quatre ans, pour le confirmer et le renforcer ».
Confirmant son attachement à Vatican II, le pape a considéré que c’était « un point de référence constant dans son attachement et ses rapports avec le peuple juif ». Ce concile « a donné une impulsion décisive à l’engagement de parcourir un chemin irrévocable de dialogue, de fraternité et d’amitié.
Le pape a défini les Dix Commandements comme enseignement commun à l’humanité à partir duquel « nous pouvons partager nos valeurs et agir ensemble ».
Evoquant la Shoah, sans citer Pie XII, Benoît XVI, se référant à Jean-Paul II, a déclaré : « L’Eglise n’a pas manqué de déplorer les manquements de ses fils et de ses filles, demandant pardon pour tout ce qui a pu favoriser, de quelque façon, les plaies de l’antisémitisme et de l’antijudaïsme ». Il a ajouté : « Le drame singulier et bouleversant de la Shoah représente en quelque sorte le sommet de la haine qui nait quand l’homme oublie son Créateur, et se met au centre de l’univers ».
Evoquant les juifs romains victimes de la Shoah, Benoit XVI a déclaré : « Comment est-il possible d’oublier leurs visages, leurs noms, leurs larmes, le désespoir des hommes, des femmes et des enfants ? » Il a ajouté : « Beaucoup sont restés indifférents, mais beaucoup, également, parmi les catholiques italiens soutenus par la foi et l’enseignement chrétien, ont réagi avec courage, ouvrant leurs bras pour secourir les juifs traqués et en fuite, au risque souvent de leurs propres vies, méritant une gratitude constante ». Il a poursuivi : « Le Siège apostolique, également, a mis en œuvre une action de secours, souvent méconnue et discrète ».
La rencontre s’est achevée avec le chant liturgique « Ani Maamin », entonné par la chorale et les rabbins. Benoît XVI doit prochainement inaugurer l’exposition « Et ecce gaudium », illustrant la forte participation des juifs aux festivités qui ont marqué les élections des papes au XVIIIe siècle à Rome.
Etaient présents lors de la rencontre : le maire de Rome, Gianni Alemanno ; le président de la province de Rome Luca Zingaretti ; le président de la communauté juive d’Italie Renzo Gattegna et Claudia Di Benedetti, vice-présidente ; le Cardinal André Vingt-trois, archevêque de Paris ; le père Patrick Desbois, directeur du service national de la Conférence des Evêques pour les Relations avec le judaïsme ; le vice-premier ministre israélien Silvan Shalom ; l’ambassadeur d’Israël en Italie, Gideon Meir ; l’ambassadeur d’Israël auprès du Saint Siège Mordechai Levy ; le Grand Rabbin de Haïfa Shear-Yashuv Cohen ; le Grand Rabbin de Savion David Brodman ; le secrétaire général du Grand Rabbinat d’Israël Oded Wiener ; le président honoraire du B’nai Brith international Tommy Baer et le vice-président international, Yves-Victor Kamami, par ailleurs membre du Comité Directeur du CRIF ; le rabbin David Rosen et le professeur et rabbin Richard Marker, président et vice-président de l’« International Jewish Committee for Interreligous Consultations » (IJCIC) ; Arthur Schneier, président de la fondation « Appeal of Conscience » ; Flo Kaufmann, présidente du conseil du Congrès Juif Européen et le président du Fond Social Juif Unifié, Pierre Besnainou. De nombreux parlementaires italiens, de nombreux rabbins européens et plusieurs dignitaires musulmans étaient également présents.
Photo : D.R.