Le CRIF en action
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Publié le 3 Avril 2009

COLLOQUE SUR L’ANTISEMITISME A BRUXELLES : REFUSER LA FATALITE

Dans l’un des bâtiments de l’enceinte du Parlement européen, à Bruxelles, 200 à 300 personnes ont assisté durant toute la journée du 30 mars 2009 au symposium organisé par le Congrès Juif Européen (CJE), en partenariat avec le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) : « Construire ensemble l’avenir de l’Europe. Le combat contre l’antisémitisme. La défense des valeurs européennes et de la coexistence. » Cet événement a été placé sous le patronage de la présidence tchèque de l’Union européenne et du président du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering.




A 10 heures du matin, Moshé Kantor, président du CJE, accueille, dans une salle spacieuse, moderne, lumineuse et disposée en un cercle presque parfait, le public et les intervenants. Avec fougue, Kantor décrit l’antisémitisme comme une maladie. Il propose ensuite de créer dans la capitale de l’Union européenne un espace pluridisciplinaire, sorte d’université de la tolérance et de la réconciliation.



L’antisémitisme est-il une maladie ?
Pour Richard Prasquier, « l’antisémitisme est plutôt une tactique, une stratégie politique ». L’antisémitisme est une sorte de fourre-tout, les antisémites cherchent à convaincre le plus grand nombre que le Juif serait la quintessence du mal. Le président du CRIF énumère alors quelques différents vecteurs de l’antisémitisme.



Dans l’histoire, le christianisme permet à l’antisémitisme de se développer durablement et de prospérer. Mais, en ce début de 21ème siècle, c’est l’islam radical qui reprend les vieux schèmes et désigne en la personne du Juif, la figure emblématique du mal. La constitution d’un tel ennemi permet aux fondamentalistes de se structurer. Au-delà, d’autres groupes font de l’antisémitisme une « arme » redoutable. Richard Prasquier en énumère deux autres. Les « souverainistes » qui, selon lui, veulent libérer la « patrie » de pseudo influences étrangères : l’anglo-saxon (l’américain) et le juif (le sioniste). Selon Richard Prasquier, ce groupe distinct peut s’allier avec des fondamentalistes musulmans. Enfin, il y a ceux qui défendent tous les opprimés de la terre et désignent à la vindicte populaire leurs (présumés) oppresseurs : les impérialistes, les capitalistes, les américains, les sionistes...



Tout cela, se produit dans un contexte précis, de vulgate médiatique. Car, selon Prasquier, quelques journalistes « formés à l’école du pacifisme » sont enclins à faire preuve de beaucoup, de trop de compassion à l’égard des « victimes ». Dans un contexte de perdition des valeurs, l’antisémitisme prospère donc.



Un peu plus tard, dans la matinée, l’historien belge Joël Kotek ne dira pas autre chose : « le Juif a un rôle de bouc émissaire, l’antisémitisme est l’exécutoire des tensions internes qui ravagent nos sociétés et le Juif devient le responsable de tous les maux du monde. » C’est exactement comme cela que les choses fonctionnent dans le monde arabe et c’est comme cela qu’il faut comprendre la judéophobie arabe. « Les religieux se servent des phantasmes que l’on a sur les Juifs pour détourner les populations des vrais problèmes. » Finalement, les Juifs sont malgré eux « les sismographes de la modernité », conclut Kotek.



Vous avez dit « islamo-fascisme » ?
Il faut alors entendre le très courageux écrivain et journaliste Mohamed Sifaoui. Sifaoui est venu parler d’un extrémisme qu’il connaît bien, le sien, parce qu’il travaille sur ces mouvements depuis 21 ans. Et son constat sonne comme un véritable réquisitoire : « disons le clairement, aucune politique de riposte n’a été mise en place par les dirigeants européens –qui sont pétrifiés- pour endiguer cette menace. » Pourquoi ? « Parce qu’ils ont peur que l’on fasse des amalgames entre l’Islam et une idéologie totalitaire que je qualifierai de fasciste », proclame-t-il, et d’ajouter aussitôt : « nous avons toutes les raisons de penser que cette idéologie représente un danger pour l’Europe. » Il faut donc que nos démocraties discutent de cet entrisme des islamistes et qu’ils désignent toutes « les contradictions qui peuvent exister entre les mouvements islamistes et les valeurs européennes. »



Le britannique Haras Rafiq, directeur exécutif du Sufi Muslim Council raconte quant à lui cette anecdote. Un jour, sa propre fille lui a dit qu’elle ne voulait plus être musulmane, parce que « les musulmans sont toujours fâchés ». « Cela m’a questionné », raconte-t-il et « je me suis posé alors la question de savoir comment on devait se comporter dans la communauté musulmane face à cette radicalisation, qui n’est pas très nouvelle. »



Pour combattre le fondamentalisme Rafiq propose un plan d’action : « nous voulons apporter des éléments rationnels, émotionnels, sociaux et spirituels ». « Il faut réaffirmer que l’on doit respecter l’être humain et sa foi. Il faut aussi libérer la parole, rencontrer les gens, les fidèles d’autres religions et voir si ensemble, nous ne pourrions pas construire quelque chose. »



Perdition des valeurs ?
Quoi qu’il en soit, « on ne peut pas construire un avenir commun, sans avoir des valeurs, sans la démocratie, sans l’état de droit, sans le respect de la personne humaine », s’exclame et martèle Jacques Barrot, avec force et solennité. Le vice président de la commission européenne, chargé de la liberté, de la sécurité et de la justice dit par ailleurs être inquiet : les données de ces derniers mois montrent qu’il y a une recrudescence de l’antisémitisme.



Quantifier, mesurer l’antisémitisme et disposer d’informations viables, est-ce possible ?
Ionnis Dimitrakopoulos, chef de l’unité recherches et recueil des données à l’Agence européenne des droits fondamentaux (FRA) basée à Vienne, évoque quant à lui le rôle joué par cette institution de l’Union Européenne, créée le 15 février 2007. La FRA remplace l’Observatoire Européen des Phénomènes de Racisme et de Xénophobie (EUMC) qui, depuis 1998, avait pour mission principale de rassembler de l’information objective, fiable et comparable sur les phénomènes du racisme, de la xénophobie, de l’islamophobie et de l’antisémitisme en Europe. Dans son exposé, Dimitrakopoulos met également l’accent sur le réseau européen d'information sur le racisme et la xénophobie (RAXEN). RAXEN est constitué d'une unité centrale propre à l'observatoire, il coopère avec des centres de recherche universitaires nationaux, des organisations non gouvernementales, des centres spécialisés créés par les huit Etats membres qui utilisent justement RAXEN (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, France, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suède). Mais, tous les incidents racistes et antisémites ne sont pas forcément déclarés ou ne sont pas totalement répertoriés. Par ailleurs, s’interroge l’expert, dans les Etats membres, les policiers sont-ils forcément formés et ont-ils suffisamment d’instructions ?



Ceci étant, une dernière enquête (pour l’année 2008) permet de mesurer la gravité de la situation. Un sondage d’opinion montre que les citoyens européens qui ont une mauvaise opinion des juifs sont en forte augmentation, surtout en Espagne. Certes, l’échantillonnage est limité, mais il est révèle cependant que les préjugés et les stéréotypes progressent terriblement. Justement, parce que les données sont insuffisantes, ne faudrait-il pas améliorer le dispositif de collecte d’informations, s’interroge Ionnis Dimitrakopoulos ? L’intervenant est catégorique cependant. Il y a au moins deux pays où l’on ne lésine pas sur les moyens : la France et la Suède. Dans ces deux pays, les informations abondent, les statistiques aussi.



Justement, que savons-nous de la situation en France ?
Le directeur général du service de protection de la communauté juive (SPCJ) prend la parole. La recrudescence des actes antisémites fin décembre 2008 – janvier 2009, à laquelle nous avons assisté montre que la situation est selon lui très préoccupante : 352 actes ont été répertoriés durant ce laps de temps. En plus des chiffres qui sont communiqués par le responsable du SPCJ, des photographies sont projetées. Elles font froid dans le dos : des tags antisémites virulents et obscènes ; lors de manifestations pro palestiniennes, des militants utilisent des symboles et des images propres à la Shoah, comme des panneaux avec des Etoiles de David ceintes de la croix gammée ou des « Halte au génocide du peuple palestinien ! » ; des inscriptions antisémites sont taguées sur les murs de plusieurs synagogues, etc.



Mais plus encore que les photos, il y eut, lors de ce symposium, un moment vraiment bouleversant. Une petite et frêle femme vint à la tribune parler de son fils, Ilan Halimi. Gravement, à l’heure -nous dit-elle, d’emblée- ou Jean-Marie Le Pen réaffirme que les Chambres à gaz (et la Shoah) ont été un « détail » de l’histoire de la seconde guerre mondiale, à l’heure ou Jean-Marie Le Pen se serait apprêté à présider une séance du Parlement européen, Ruth Halimi vient témoigner de l’horreur et elle raconte. « De jeunes hommes avaient choisi de prendre pour cible un Juif, ils étaient donc partis en chasse dans le tout Paris. Ils avaient sélectionné quelques commerces ont l’on pouvait trouver des commerçants ou des vendeurs juifs. Des jeunes pour qui les Juifs sont forcément riches ». Du reste, « n’importe quel juif aurait pu être à la place d’Ilan, qui a été kidnappé, affamé, roué de coups, et assassiné parce que juif ». Bref, Ruth Halimi témoigne du calvaire de son fils, et s’il fallait donner un visage à la barbarie, on donnerait celui-ci : de jeunes hommes ordinaires, de pauvres types sont devenus des monstres.



En Europe, l’antisémitisme se développe-t-il ?
Dans d’autres pays de l’Union européenne, l’antisémitisme prospère. Mike Whine utilise même le mot « d’émeute » pour qualifier la situation. Des émeutes qui, selon lui, ont ou auraient été fomentées (ou coordonnées) quelquefois tant par des islamistes que par des militants d’extrême gauche. Des émeutes ? Une situation qui fait peur, mais le britannique Mike Whine, qui dirige les affaires internationales du Community Security Trust (CST), sait de quoi il parle. Cet homme de terrain, se livre alors à un véritable réquisitoire. En Angleterre, comme en Belgique, les choses sont graves, comme jamais elles ne l’avaient été depuis l’année 1945. Puis, Mike Whine énonce ces quelques chiffres : du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009, 40 actes ont été répertoriés en Belgique, 352 en France, 977 en Allemagne, 260 en Angleterre. Une véritable hémorragie.



Et, en Hongrie, que se passe-t-il ? Peter Feldmajer, Président de la fédération des communautés juives de Hongrie parle à son tour. Il n’y a plus beaucoup de juifs en Hongrie, mais la situation est alarmante, s’exclame-t-il, même si elle est différente que dans d’autres pays. Les Juifs de Hongrie ne sont pas agressés, mais, comme il n’y a pas de lois antiracistes, l’extrême droite s’en donne à cœur joie et l’antisémitisme prospère, notamment dans les universités ou dans les écoles du pays.



Et dans les pays scandinaves ? Les communautés juives sont petites et les Juifs ont pu vivre en sécurité ces dernières années. Mais, prétend Rony Smolar, président de la communauté juive de Finlande, aujourd’hui, les juifs ont peur. Lorsqu’il est question du conflit israélo-palestinien, on les assimile à des israéliens, ils deviennent alors les ennemis du genre humain. Bref, on utilise l’antisionisme comme le masque de l’antisémitisme traditionnel.



Durban ou pas ?
Très prochainement, une grande conférence antiraciste doit s’ouvrir dans la belle ville de Genève, des 20 au 24 avril 2009. Faut-il en avoir peur ? Oui, si l’on se souvient de ce qui s’était passé lors de la précédente conférence de Durban, en août 2001. Ce qui devait être un rendez-vous historique, un moment de réflexion et l’occasion d’un retour sur l’histoire prit des allures de western. Avant même l’ouverture de la Conférence, des pressions énormes furent mises en place afin d’exclure les organisations israéliennes et juives. Dès le début du Forum, des slogans antisionistes monopolisèrent l’attention : « Palestine libre ! Sharon assassin, Le sionisme c'est l'apartheid » ! Certains activistes scandèrent des « Kill Jews ». Des participants s’en sont même pris physiquement à des militants identifiés comme juifs. Le Forum des organisations non-gouvernementales (ONG), qui se tint en marge de la Conférence mondiale des Nations unies contre le racisme, relança la polémique sur le Proche Orient, en adoptant, le 2 septembre 2001 à Durban, une résolution qui qualifie Israël « d'Etat raciste » coupable d'actes de « génocide » contre le peuple palestinien.



Jacques Barrot, vice président de la commission européenne chargé de la liberté, la sécurité et la justice est catégorique : « Nous devons être très vigilant et l’Union européenne doit être prête à réagir si des textes inacceptables sont proposés. S’il le faut nous ferons une demande en ce sens auprès de l’Union européenne pour qu’elle se retire de cette conférence. »



Même son de cloche pour Aleksander Kwasniewski, président du conseil européen pour la tolérance et la réconciliation, ancien président de la République de Pologne, lorsqu’il annonce que des personnalités polonaises ont, dernièrement, rédigé une lettre ouverte au gouvernement polonais afin que la Pologne n’assiste pas à Durban2. Quant à finlandais Thomas Sandell, de la Coalition Européenne pour Israël, les choses sont claires : « il ne faut pas légitimer la conférence de Durban2. J’espère que l’Union européenne aura le courage de se retirer, parce que, une fois que l’on assiste à cette conférence, il est trop tard, bien trop tard pour quitter les lieux. »



De toute évidence, le contexte n’est pas bon. L’antisémitisme peut donc prospérer, gangrener et toucher les faibles, les revanchards, les sans âmes, les aigris et les fous furieux.



Mais alors, que faire ?
Haim Musicant, directeur général du CRIF, prend la parole. Son ton est solennel, grave : « Alors que faire ?, comme interrogeait un révolutionnaire célèbre. Rien, disent ceux qui estiment que les juifs exagèrent, sont repliés sur eux-mêmes, crient au loup antisémite, pour se dédouaner de leur soutien à Israël. D’autres, cependant, ne sont pas du même avis. La présence dans cette salle et à la tribune de personnalités venues des horizons les plus divers, mais qui partagent certaines valeurs fondamentales, nous font penser que nombreux sont ceux qui refusent le manichéisme, le défaitisme, la fatalité et reprennent à leur compte cette injonction du poète français Victor Hugo : « Ceux qui vivent sont ceux qui luttent ». Nous avons réuni des intellectuels et des hommes et des femmes de media. Nous attendons d’eux une analyse de la situation, le dépassement de paroles de compassion et de dénonciation au profit de propositions d’action. »



« Dans l’Europe de 2009, à l’heure d’internet, de la télévision, comment la parole d’un intellectuel, l’article d’un journaliste, peuvent-ils porter, non seulement auprès des leaders d’opinion, mais d’une façon générale auprès du grand public ?



Doit-on se contenter d’articles, de livres, de colloques, de pétitions, ou y a-t-il autre chose à entreprendre pour ne pas décevoir le rêve des pères fondateurs de l’Europe, et faire en sorte qu’à moins d’un mois de la conférence de Durban 2, la déclaration universelle des droits de l’homme, ne soit pas vidée de son sens ? », poursuit Musicant.



Que faire ? Oui, que faire ? Il faut croire en l’interculturalité, explique le journaliste Jean-Philippe Moinet. Et, lorsqu’il y a une crise (des valeurs), il faut faire appel à tous les démocrates. Raphaël Haddad, qui préside l’Union des Etudiants Juifs de France affirme : « On entend depuis 25 ans que le racisme ce n’est pas bien. Et lorsque l’on regarde les chiffres de l’antisémitisme depuis l’année 2000, on voit que l’antisémitisme a augmenté. » Alors, dit-il, « nous avons la conviction que les préjugés sont extrêmement présents dans la société française ». Si les préjugés sont si présents, ne faut-il pas alors commencer par les déconstruire ? N’est-ce pas là l’axe central de la lutte contre le racisme ? Ne faut-il pas alors aller dans les quartiers « difficiles » pour éduquer ? Ne faut-il pas apprendre aux jeunes à se défier des stéréotypes ? A leur couper le cou ? Haddad a l’enthousiasme de sa jeunesse et il porte cette exigence : le travail sur le terrain.



Il faut démonter, oui démonter les jugements à l’emporte-pièce, estime la journaliste belge, Mia Doornaert. Ne dit-on pas si facilement que les Juifs seraient ou sont responsables de ce qui leur arrive. « C’est de leur faute ! », dit-on. Et, dans les médias, « on retrouve cette pollution des maux – des mots que je ne peux pas accepter. » Alors, quelle est donc cette culpabilité que les occidentaux portent en eux, lorsqu’ils parlent d’Israël s’interroge-t-elle soudainement ? « Je crois qu’il y a de nombreux personnes (en Europe) qui ne pardonneront jamais la Shoah aux Juifs. Diaboliser Israël, c’est alors oublier la Shoah ! »



Le propos est rude, incisif même. L’assistance écoute, applaudit. Le journaliste israélien Boaz Bismuth prend la parole. Et il dénonce ce « manque d’équilibre » dans la presse, dans la mesure où l’on présente toujours Israël comme le sempiternel coupable, coupable de tous les maux de la région et du monde. Et là aussi, il faut dire que « cela devient un phénomène de mode que de critiquer Israël. » Critiquer Israël ? Justement, n’a-t-on pas le droit - si ce n’est même le devoir - de critiquer une politique ? « Si bien sûr » répond-t-il. On le fait d’ailleurs si bien, en Israël même. Et Bismuth de revenir sur le conflit entre Israël et le Hamas : il faut raison garder. « En Europe, vous avez dit que la réponse d’Israël avait été démesurée. Mais savez-vous s’emporte-t-il que pendant 8 ans, près de 6000 roquettes ont frappé le sud d’Israël ». Pourquoi, alors, n’avez-vous rien dit ? Les roquettes palestiniennes sont-elles acceptables ?



Que disent les politiques ?
Mark Siwiec est un parlementaire européen, vice président du Parlement européen et du groupe socialiste au Parlement (PSE). Pour lui, les choses sont claires : il faut d’abord parler de ces questions, « parce que l’antisémitisme n’est pas et ne peut être un sujet tabou ». Du reste, dit-il « le Parlement européen est la plateforme adéquate pour aborder ces problèmes ». Il faut donc définir avec exactitude ce qu’est ce nouvel antisémitisme, en désignant ces caractéristiques ». Le député polonais affirme par ailleurs que le nouvel antisémitisme ne « veut pas reconnaître l’Etat d’Israël. » Il faut alors éduquer en parlant d’avantage du peuple Juif et d’Israël.



Pour le député Marian-Jean Marinescu, vice-président du groupe du Parti Populaire Européen (PPE), il faut « cultiver la mémoire de l’Europe et les institutions européennes devraient être les premières à s’opposer à l’intolérance ». Il faut aussi « promouvoir les libertés fondamentales (religion et expression). Jan Marinus Wiersma, vice président du PSE, tonne : « lorsqu’il est question de racisme, il ne peut y avoir de compromis. On l’est ou on ne l’est pas ! » Et Wiersma de désigner ce populisme extrême qui gagne toutes les couches et toutes les strates de la société. Et l’antisionisme ? « Il faut être libre de dialoguer comme on l’entend avec le gouvernement israélien sur ce qui se passe au moyen orient, mais (une critique d’une politique) ne signifie pas que l’on se lâche : « il ne doit y avoir aucun lien (sur ces questions) avec l’antisémitisme. »



Antisionisme ?
« J’étais à l’intérieur du cortège d’une Autre Voie Juive pour la Paix et de l’Union des Juifs Français pour la paix (UJFP), lors du conflit entre Israël et le Hamas. Il y avait là aussi l’association des marocains de France. Et l’on portait le drapeau de l’universalisme et de la paix », soutient le député européen Verts Alain Lipietz. Lipietz fait un distinguo entre une présence militante lors de manifestations qui ont eu lieu à Paris en décembre et janvier 2009, et il récuse « l’insinuation » qui pourrait être faite selon laquelle manifester pour la paix ce serait « légitimer » le terrorisme.



Pour autant, faut-il se « limiter » à l’antisémitisme ? Lipietz propose trois axes. En premier lieu, entreprendre des recherches sur tous les crimes racistes (pas seulement l’antisémitisme, donc). Deuxièmement, prendre ou reprendre l’habitude de manifester tous ensemble contre les crimes racistes. Troisièmement, éduquer de manière à ce qu’un « conflit militaire » ne donne pas lieu à des débordements ou un développement du racisme.



La parlementaire allemande Silvana Koch-Mehring, du groupe Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe (ADLE) n’est pas sur ce registre. Elle pense que l’antisémitisme ce n’est pas le défilé « avec des bottes et des uniformes », il s’est transformé et revêt l’habit de l’antisionisme. Pour elle, dénier le droit d’Israël à exister est devenu un phénomène de mode. » Elle réaffirme fortement qu’ « Israël et l’Europe partagent les mêmes valeurs ». « Israël est la seule démocratie de la région et il est dans l’intérêt de l’Europe de soutenir Israël de toutes les manières possibles. »



Ce qui ne va pas et ce qui va !
Et les religieux que pensent-ils du développement de l’antisémitisme ? Le Grand Rabbin de Pologne Michael Schudrich, lève la main et avec de grands gestes, il interpelle la salle : « On sait ce qui ne va pas (lorsque l’on parle d’antisémitisme), alors on devrait plutôt se concentrer sur ce qui va. » « Nous sommes tous égaux », proclame-t-il. « Et nous pouvons apprendre à vivre ensemble. »



Le Rabbin relève la main et comme s’il s’agissait d’un prêche, livre cette évidence : « Il faut essayer de comprendre la souffrance de l’autre. J’aimerai vous parler de toutes les souffrances, que j’ai entendues dans ma vie. Et nous avons obligation d’être sensible à la souffrance de l’autre. » « Mais, poursuit-il, il faut une tolérance zéro pour le terrorisme et l’extrémisme. »



Tolérance zéro ?
De toute manière, rétorque le Docteur Hendrik, membre de la communauté de Sant’Egidio, président de la Commission catholique belge pour les relations avec le monde juif, il faut être clair : « Pour l’Eglise catholique romaine, l’antisémitisme est durablement inacceptable parce qu’il coupe l’arbre sur lequel le Christ s’est greffé ».



Les acteurs du dialogue interculturel
S’il ne peut y avoir aucune tolérance vis-à-vis de l’antisémitisme, peut-on développer ou/et croire en la primauté du dialogue interculturel ?



Hassen Chalghoumi, Imam de Drancy, se raconte et livre son expérience personnelle : « Je suis l’imam d’une ville très importante (en banlieue parisienne), la ville de Drancy. Cette ville à une tâche noire : son camp d’internement. Tous les jours, je passe avec ma voiture devant ce lieu de mémoire. J’ai voulu réfléchir et j’ai alors décidé de travailler dans ma ville, pour cette ville » proclame-t-il. On sent maintenant l’odeur du changement. Le changement ? C’est pour l’imam de Drancy, faire se découvrir, se rencontrer, vivre en bonne harmonie et en fraternité les Juifs et les musulmans. C’est s’ouvrir à l’autre. Et cette démarche se poursuit. Chalghoupi en est convaincu, lorsqu’il raconte le voyage qui a été entrepris et qui a mené des hommes de foi de la ville israélienne de Sdérot, en Israël à Gaza, pour « se rendre là-bas », comme il le dit. Mais pourquoi faut-il se rendre là-bas ?, s’interroge-t-il. « Israël et la Palestine sont loin de nous, mais lorsqu’ils se passent quelque chose là-bas, on le sent ici. On doit alors (d’ici aussi) « se battre pour qu’il y ait deux Etats, où les gens vont vivre ensemble. »



Quelques minutes plus tard, le Cardinal Philippe Barbarin nous conduit alors de Drancy à Lyon et s’ouvre à nous. « Nous avons là un vécu de coexistence et les relations entre Juifs et Chrétiens sont longues et marquées par notre foi, nous avons aussi le désir d’écouter la foi de l’autre. » Dans le même esprit, Barbarin rappelle par exemple qu’il a eut dernièrement « un long dialogue avec le Grand Rabbin de France, Gilles Bernheim : « Il y a là une dimension intellectuelle qui n’est pas dénuée d’un fond spirituel. » Et Barbarin de conclure : « lorsque vous avancez dans votre foi profonde de Chrétien, de Juif, de Musulman, vous êtes des artisans de la paix. »



Aurions-nous une seule raison d’être optimiste ?
« Nous avons été naïfs. Beaucoup d’entre nous avions pensé qu’avec Auschwitz, on avait atteint le sommet de l’horreur, que l’antisémitisme, c’était fini, que le monde avait compris. Nous avions cru que plus jamais dans l’Europe de l’après-guerre, des synagogues ne seraient brûlées, des écoles juives saccagées, des rabbins molestés, des enfants frappés, des manifestants ne crieraient « mort aux juifs » ! Et que des juifs comme Ilan Halimi ne seraient assassinés. Nous étions illusoirement optimistes pensant qu’avec la fondation de l’Etat d’Israël, refuge des rescapés de la Shoah, nous serions en quelque sorte protégés. Nous abordions avec énergie et enthousiasme la construction de l’Europe imaginée par Jean Monnet, Robert Schuman et d’autres visionnaires comme Paul-Henri Spaak qui allaient la faire avancer. » La parole de Haïm Musicant porte.



Et le mot de la fin -finalement- reviendra au journaliste israélien Boaz Bismut : « Je suis venu ici, à Bruxelles, pessimiste. Mais, je repars rassuré. Nous ne sommes pas seuls, malgré tout. »



C’était finalement, peut-être, cela la leçon de Bruxelles : il n’y a pas de fatalité à l’antisémitisme !
Marc Knobel