Cette manifestation - où j'ai eu l'honneur de représenter le CRIF -, est devenu un évènement incontournable à la fois pour la mémoire des Juifs de Tunisie, et pour celle de toute la Communauté juive unie dans le souvenir douloureux de ces temps où elle a failli disparaitre totalement. La crypte du Mémorial était pleine de monde, et se trouvaient réunies plusieurs personnalités pour rendre hommage aux disparus : le Grand Rabbin de France Gilles Bernheim et celui de Paris, David Messas ; le Président du Consistoire Central de France, Joël Mergui ; Pierre Besnainou, Président du FSJU ; pour la première fois, une forte délégation de l'aumônerie israélite des armées, le Médecin Général Boutin représentant le Ministre de la Défense ; Beate Klarsfeld, représentant les Fils et Filles des Déportés Juifs de France ; le Ministre Plénipotentiaire de l'Ambassade de Tunisie ; Monsieur Mezri Haddad, Ambassadeur de Tunisie auprès de l'UNESCO ; Monsieur Michel Harel, conseiller de l'Ambassade d'Israël ; les représentants du Maire de Paris et de Madame Bertinotti, Maire du 4ème arrondissement ; Jacques Fredj, Directeur du Mémorial de la Shoah ; Milo Adoner, Vice-Président de l'Union des Déportés ; Philippe Allouche, représentant la Fondation pour la Mémoire de la Shoah ; le Rabbin Michel Serfaty, Président de l'AJMF ; Léon Masliah, Président de la Fédération des Associations d'Anciens combattants juifs ; Robert Bismuth, Président du Comité de Coopération Provence-Méditerranée ; et plusieurs autres représentants d'association laïques ou consistoriales.
Parmi les personnalités, la présence de deux originaires de Tunisie, l'un Juif et l'autre musulman, était particulièrement émouvante : le Rabbin Gilbert Habib, qui devait allumer une des bougies à la mémoire des disparus, a connu les camps de travail sous l'occupation allemande ; le Prince Fayçal Bey, petit-fils du dernier souverain du pays, représentait la famille beylicale dont le comportement fut exemplaire sous l'occupation allemande, Moncef Bey ayant même proclamé que "Juifs et Musulmans étaient ses enfants". Emouvantes, aussi, les deux gerbes de fleurs aux couleurs, l'une de la Tunisie, l'autre d'Israël, et qui associaient symboliquement ces deux pays riverains de la Méditerranée dans un rejet commun de l'antisémitisme et du racisme.
Cette manifestation est organisée, chaque année, par la dynamique Société d'Histoire des Juifs de Tunisie, et son Président Claude Nataf, devait prononcer une longue et complète allocution pour rappeler le sort des Juifs de ce pays pendant les six mois de l'occupation allemande (novembre 1942 - mai 1943). Une communauté qui aurait pu connaitre un sort horrible, car les SS locaux étaient dirigés par Walter Rauff, responsable du massacre de 100.000 personnes, et surtout "inventeur" des camions à gaz, qui participèrent à la Shoah dans l'Europe occupée. Si les victimes - les 47 travailleurs forcés morts dans des camps de Tunisie, en particulier celui de Bizerte, les résistants déportés vers les camps de la mort, sans oublier les Juifs tunisiens engagés volontaires et morts au champ d'honneur - ne se comptèrent finalement que par dizaines, on peut dire en reprenant l'expression si juste de Serge Klarsfeld, que cette communauté aura été "effleurée par la Shoah", y échappant par miracle.
Le Grand Rabbin de France Gilles Bernheim, devait dire combien il appréciait cette communauté, rescapée pour beaucoup grâce à l'action efficace à la fois de ses dirigeants et de "justes", musulmans et chrétiens, et qui par modestie resta si silencieuse après la guerre, consciente que d'autres Juifs avaient subi des désastres bien pires.
Jean Corcos
Photo : D.R.