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Certains, en France, s’étonnent, pour ne pas dire plus, que plus de 60 ans après la Shoah, nous continuions à commémorer les évènements terribles qui ont eu lieu ici, à Pithiviers, à Beaune la Rolande et dans tant d’autres camps sur le territoire français, prélude de la déportation et de l’assassinat programmés de millions d’êtres humains dans les camps de la mort en Pologne.
Il ne s’agit pas d’une manifestation mortifère ou revendicative, mais d’une démarche qui nous oblige : Ce qui nous réunit ici, comme chaque année, est un moment privilégié en un lieu où notre mémoire collective s’investit, où nous témoignons de notre fidélité à ceux qui ont disparu, sans sépulture, sans cimetière où nous recueillir.
C’est l’occasion de réfléchir sur ce crime unique, incommensurable, perpétré sur le sol européen, crime de masse, advenu dans le silence des nations, avec la complicité, active en France, du gouvernement de Vichy. C’est aussi l’occasion d’affirmer notre souci de transmettre, le plus fidèlement possible, l’histoire de cette tragédie.
A la source de notre réflexion, il y a l’impératif de la connaissance rigoureuse des faits, de leur chronologie, du cheminement idéologique qui a entraîné l’exclusion, puis la mise à mort de presque tout un peuple .Dans cette démarche, il s’agit de ne pas raisonner en termes de chiffres, mais de penser à l’anéantissement d’un univers juif, fait d’hommes, de femmes, d’enfants vivants ; il s’agit de garder une « mémoire vivante » de ceux qui ont été interdits de vie.
A cet égard, je veux évoquer le travail exemplaire accompli par différents Centres de Mémoire, Musées, Associations, historiens, enseignants (je ne peux tout citer, je donne quelques exemples : Voyages d’élèves sur les « Lieux de Mémoire » européens-en particulier à Auschwitz - voyages bien préparés par des enseignants et accompagnés par des témoins rescapés du désastre, et des élus ; autre exemple : tous les travaux visant à redonner un nom, un visage, en particulier aux milliers d’enfants disparus, dont les nazis voulaient effacer jusqu’à la trace de leur existence. Je pense aux nombreux ouvrages de Serge Klarsfeld, à la mallette pédagogique de l’Association Yad Layeled France, aux expositions et publications du CERCIL, en particulier, « Pithiviers -Auschwitz, 17 juillet 1942 » que vous pourrez vous procurer tout à l’heure. J’insiste sur ces œuvres car elles nous aident à entrevoir des destins individuels restitués au travers de photos, de lettres, de dessins, et à en percevoir la dimension tragique, pour les enfants juifs, en particulier. Comme le souligne Simone Veil, dans la préface de l’ouvrage du CERCIL, « ce qu’on peut lire, ce n’est pas seulement la froideur et la tristesse de la mort, c’est aussi la chaleur vivante, les petites histoires anéanties par l’Histoire… »
Par ailleurs, écouter la parole des survivants est fondamental : « Qui répondrait, en ce monde, à la terrible obstination du crime, si ce n’est la terrible obstination du témoignage ? » (Albert Camus). Je rends hommage à leur courage, à leur formidable volonté de vivre et de témoigner. Et cela est d’autant plus important qu’il y a « une mémoire sans paroles, celles des centaines de milliers d’enfants, d’adultes, de vieillards qui sont allés directement dans les camps de la mort : Birkenau, Tréblinka, Belzec, Sobibor » (Dr Richard Prasquier).
Le travail de mémoire que je viens d’évoquer est une exigence, une nécessité absolue également pour éclairer notre présent. Et, en particulier, aujourd’hui, où nous assistons à l’irruption et au développement d’une violence sauvage en France et sur une grande partie de notre planète.
Pour tous ceux qui ont vécu la période terrible de la 2ème guerre mondiale, pour tous ceux qui ont eu le courage de résister au pire des régimes totalitaires, pour nous tous, citoyens français attachés à la Démocratie et aux valeurs de la République, il est insupportable de voir ces valeurs tournées en dérision, bafouées au nom de préjugés ou d’idéologies mortifères. La haine inextinguible des fanatiques, relayée, dans le monde entier, par les satellites et Internet, engendre un ressentiment et une violence qui nuit à la Démocratie ; je pense notamment aux incivilités, en particulier en milieu scolaire, aux insultes, puis aux actes meurtriers :
Comment ne pas évoquer la jeune Sohane, brûlée vive pour avoir voulu vivre en femme libre, ne voulant pas se soumettre à la loi des caïds des quartiers ? Comment ne pas évoquer Ilan HALIMI, enlevé, torturé et assassiné par une bande de « barbares » nourris par les pires préjugés antisémites ? La loi du groupe fanatisé a prévalu sur la conscience morale.
Comment ne pas évoquer les discours incendiaires du président iranien - discours qui rappellent ceux d’Adolf Hitler appelant à la destruction du peuple juif et d’Israël ?
Face à cet « ensauvagement » du monde, à cette décivilisation, les démocraties vont-elles enfin réagir ? La leçon de Munich a-t-elle enfin été apprise, méditée ? Nous voulons l’espérer.
Dans cet esprit, je salue ceux qui, dans notre pays, acceptent de regarder la réalité en face, sans démagogie ni diabolisation, que ce soit les autorités, les élus, les enseignants, les citoyens lucides et courageux qui refusent toutes les transgressions de la Loi, ces fléaux qui menacent notre République.
La commémoration d’aujourd’hui, participe, dans une petite mesure, à ce combat pour le respect de la dignité humaine et des valeurs fondamentales qui constituent le socle de notre nation.