Le CRIF en action
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Publié le 22 Décembre 2011

Contribution de Claude Riveline, professeur à l’école des Mines de Paris, lors de la Convention du CRIF, dimanche 20 novembre 2011 : Mondialisation, espoirs et risques pour le peuple juif

Au lendemain de sa Convention Nationale «Demain les Juifs de France», le CRIF vous propose de découvrir les contributions écrites des intervenants qui ont bien voulu nous en proposer une version écrite. Se présentant sous la forme d’un verbatim, d’un texte synthétique, ou d’une tribune en fonction du choix de leurs auteurs, elles sont publiées sur la newsletter au rythme d’une par jour. Vous pouvez aussi retrouver en vidéo l’intégralité de ces interventions sur le site de notre partenaire AKADEM. Bonne lecture !



Le peuple juif est particulièrement armé pour tirer un parti positif de la mondialisation et, paradoxe surprenant, particulièrement menacé d’y perdre son identité, donc de disparaître comme culture humaine originale. Ces deux aspects s’expliquent respectivement par les racines bibliques qui déterminent ses spécificités, mais aussi par les évolutions sociologiques actuelles marquées par une assimilation rapide aux cultures environnantes, y compris au sein de l’Etat d’Israël.



La mondialisation peut être décrite comme le triomphe du nomadisme sur la sédentarité, pour faire référence à l’affrontement archaïque associé à la naissance des nations, depuis l’agriculteur Caïn et le pâtre Abel dans la Bible jusqu’aux jumeaux Romulus et Remus dans la mythologie romaine. Ce même affrontement s’observe partout dans les entreprises industrielles et commerciales, entre fabricants et commerçants, et dans les Administrations publiques, entre permanents et élus.



Or, le peuple hébreu, né chez les nomades mésopotamiens avec Abraham, va se sédentariser en Egypte avec Joseph fils de Jacob, puis se nomadiser dans le désert avec Moïse, pour enfin s’installer sur la terre de Canaan, mais en prenant soin de se renomadiser toutes les semaines le chabat, trois fois par an aux fêtes de pèlerinage, tous les sept ans lors de l’année chabbatique (la chemitah) et tous les cinquante ans pour le jubilé (le yovel).



Tout se passe comme si le Créateur avait assigné au peuple juif la mission d’assumer à la fois ces deux conditions, pour préparer les temps messianiques caractérisés par leur réconciliation définitive. Mais en attendant, les peuples étant répartis selon ce clivage et haïssant ceux du bord opposé, c’est la dure condition des Juifs que d’être traités d’apatrides, c’est-à-dire nomades par les antisémites européens, et de sionistes, c’est-à-dire sédentaires par leurs ennemis arabes, par vocation caravaniers. S’ils observent les rites de la Torah, les Juifs sont en mesure de conserver une forte identité où qu’ils soient, au même titre que l’on dit que le musulman sunnite est chez lui partout, pour peu qu’il dispose de son Coran, de son tapis de prière et de sa théière.



Mais le Juif qui se détourne de l’étude de sa tradition et des pratiques traditionnelles, qui n’en instruit pas ses enfants, voit l’atout que constitue son aptitude à s’adapter à tous les contextes se muer en un péril mortel pour son identité ancestrale, car il se noie dans un anonymat cosmopolite, comme c’est le cas actuellement pour un Juif européen ou américain sur deux, dit-on.



En Israël même, bien des observateurs s’alarment de constater qu’une large majorité des enfants ne reçoivent pas la moindre formation religieuse, et si les jours fériés sont inspirés des commandements bibliques, ils n’y sont pas spécialement attachés par ignorance de leurs origines. Devenir un pays comme un autre est une idée de plus en plus répandue chez les Israéliens comme chez les arabes, et le développement actuel de la mondialisation favorise ce mouvement d’idées.



Photo : © 2011 Erez Lichtfeld