Le CRIF en action
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Publié le 12 Décembre 2011

Contribution de Marc Knobel, lors de la Convention du CRIF, dimanche 20 novembre 2011 : Mondialisation, espoirs et risques pour le peuple Juif

Au lendemain de sa Convention Nationale « Demain les Juifs de France », le CRIF vous propose de découvrir les contributions écrites des intervenants qui ont bien voulu nous en proposer une version écrite. Se présentant sous la forme d’un verbatim, d’un texte synthétique, ou d’une tribune en fonction du choix de leurs auteurs, elles seront publiées sur la newsletter au rythme d’une par jour. Prochainement, vous pourrez retrouver en vidéo l’intégralité des interventions sur le site de notre partenaire AKADEM. Nous ne manquerons pas de vous en informer. Bonne lecture !



Exposé de Marc Knobel, chercheur au CRIF : Mondialisation, espoirs et risques pour le peuple Juif



Sept minutes, sept minutes, mon exposé ne doit pas excéder 7 minutes. Sept minutes pour parler de communication, à l’heure de la mondialisation ? Allons donc…



Lorsque ce sujet m’a été proposé, je me suis demandé comment j’arriverais à le traiter. C’est alors que me vint ce souvenir.



Il y a quelques temps, j’expliquais à un enfant que, lorsque j’avais une dizaine d’années, il y avait trois chaînes de TV. Mon poste de télé était en noir et blanc, avec un bon look seventy’s. Au programme Léon Zitrone et les Mystères de l’Ouest ou les dossiers de l’écran. En souriant, il me dit que je devais probablement vivre au temps de la préhistoire…



Que pouvais-je lui répondre ? A l’heure de la téléphonie, du GPS, des tablettes numériques, des lecteurs MP4, des Ipad2 ou des 546 chaînes de télévision diffusées par l’opérateur Canal Satellites, j’en arrive à me demander moi-même si je ne vivais pas au temps du paléolithique moyen (sic).



Par exemple, j’ai appris dernièrement qu’avec une console de jeu Play Station 3, il était possible de jouer en réseau gratuitement, partout dans le monde. D’où la question : est-ce qu’un gamin de 12 ou 13 ans pourrait jouer avec des soldats de plomb, en 2011 ?



J’ai parlé de télévision : 546 chaines, mais pour en faire quoi ? Pour zapper continuellement ? Regarder des feuilletons américains, s’abreuver de chansons à l’eau de rose, version kitch ? Non, instruisons-nous ! Informons-nous ! Justement, cela tombe bien : sur Canal Sat, on propose la chaîne iranienne d’infos, Press TV, version light ou pseudo light du régime des Mollahs. En voulez-vous des « méfaits » du régime sioniste ?... du complot impérialo-sioniste et du grand Satan ? Vous en aurez, grâce à Press TV !



Un press TV –je le précise- qui est coincé entre plusieurs chaînes chinoises, une chaîne coréenne et une japonaise.



Croyez-moi ou pas, en sept minutes, je peux donc faire le tour du monde avec ma télé, je commence par TF1 et je termine mon petit tour de chaînes par une chaîne cubaine : Viva la Revolucion ! De plus, j’aurai le droit à quelques chaînes religieuses, brésiliennes, américaines ou polonaises, D. à toutes les sauces.



Tiens à propos de télé, saviez-vous qu’en ces temps de résurgence d’un antisémitisme à la fois structurel et conjoncturel, l’opérateur Free (TV) propose un "bouquet arabo musulman" comprenant 5 chaînes, dont la chaîne de TV AL-NAS, pour la somme mensuelle modique de… 4 Euros ? Une publicité à été mise en ligne pour l’annoncer sur le principal site web musulman français : oumma.com. Sur ce site Internet, la chaîne Al-Nas est drôlement présentée : selon eux, il s’agirait d’une "chaîne religieuse égyptienne, on rigole.



Problème ? Cette chaîne s’illustre par des programmes incitant à la haine raciale. Eh oui, les programmes d’AL-NAS contreviennent gravement aux lois de la République et incitent constamment à la violence contre les Juifs.



-C’est sur cette chaîne que l’on entend le prédicateur égyptien Salem Abu Al-Futouh dire que : "les Juifs boivent le sang humain, de préférence arabe et musulman."



-C’est sur cette chaîne que l’on entend le prédicateur égyptien Hassam Fawzi Jabar affirmer qu’Hitler "a eu raison de faire ce qu'il a fait aux Juifs".



-C’est sur cette chaîne que le prédicateur égyptien Muhammad Hussein Yaaqub affirme : "Les Juifs sont nos ennemis et Allah les anéantira". Et tout cela, pour 4 euros et en sept minutes, on pourra s’abreuver de prêches haineux.



Rassurez-moi ?



Peut-on voir des chaînes israéliennes ? Oui, au moins une : l’opérateur Orange TV propose la chaîne francophone israélienne Guysen TV, mais elle est noyée, submergée entre les programmes diffusés par Al Jazeera en anglais, en arabe et al Jazeera children et/ou un grand bouquet de 11 chaînes arabo-musulmanes au prix modique de 11 euros 90 par mois...



Attention, ne me faîtes pas dire ce que je ne dis pas. Toutes les chaînes qui émettent des pays de la sphère arabo-musulmane, ne sont pas forcément antisémites. Il y a des chaînes de qualité, notamment, les chaînes marocaines.



Sept minutes, c’est aussi le temps qu’il me faut -de mon petit ordinateur à Paris- pour découvrir des dizaines de sites Internet. Ah, le monde virtuel…



Croyez-moi ou pas, d’un clic, me voici à l’intérieur du MET, à New-York ; je déambule à Tokyo, dans la ville mais aussi dans le quotidien, avec le journal de résidence d'un Tokyoïte français ; ou je consulte les 18.000 avis qui ont été déposés par des voyageurs et je trouve des conseils sur les endroits où sortir, manger et dormir à Londres. Je vous passe le reste.
Bref, je saurai tout sur tout, tout de suite, le monde sera à mes pieds et j’entendrais même parler des révolutions arabes, ai-je besoin de préciser ? Pour cela, il suffit de se connecter, pour lire les innombrables messages qui encouragent, influent, disent, font et défont les tyrans.



Quand je pense qu’auparavant, il fallait que je consulte des livres en bibliothèques ou que j’achète mon journal et même que je feuillète les pages papiers du journal. Ah, ce temps là fut bien celui du paléolithique moyen …



Et les Juifs ? Croyez-moi ou pas, ils sont bien là : tant de sites, de débats, de prières (avec vidéo du Kotel ou pas), de cours talmudiques, d’annonces en mariage, de textes et analyses, d’échanges et de luttes, en toutes (ou presque) les langues. Le monde Juif de Vilnius à Jérusalem, de Buenos Aires à Moscou et de Paris à Sydney s’est donné rendez-vous sur le Net.



Et, croyez-moi ou pas, cela ravive le fantasme du « Je suis partout ».



Si les Juifs utilisent cette merveilleuse -dit-on- machine, qui révolutionne le monde et humanise les hommes, les néonazis, les négationnistes et d’autres extrémistes ont vite compris le parti qu’ils peuvent tirer d’une utilisation rationnelle et systématique de l’Internet. Ils utilisent le réseau informatique et font ainsi l’économie de disquettes ou de fanzines dont la distribution comporte encore trop de risques pour eux et sont d’un coût relativement élevé. Pour ces groupes, l’outil Internet est si pratique qu’il est devenu le vecteur par excellence pour diffuser de la propagande et mener toutes sortes d’actions. Nombre de sites d’extrême droite particulièrement haineux stigmatisent les immigrés (africains, asiatiques, arabes, turcs et kurdes…), les homosexuels ou les juifs.



Et, croyez-moi ou pas, les islamistes surfent très largement sur le réseau pour se tenir informés et coordonner leurs actions, en toute impunité, à travers des mots clés, des adresses plus ou moins fictives. Ces sites qualifient systématiquement l’ennemi, en appellent au Djihad et encouragent les attentats terroristes. Ils développent des thèses antioccidentales qui trouvent leur justification, sous une forme ou sous une autre, dans les textes sacrés, vus et corrigés par leurs auteurs et nous indiquions que, par exemple, sur certains sites, on s’étend longuement sur la corruption de la parole divine (le Coran) par les juifs et les chrétiens, qui prêcheraient par anthropomorphisme, associationnisme et idolâtrie. D’autres textes véhiculent la théorie du grand complot. Ce complot serait fomenté pour déstabiliser le monde et selon les auteurs de ces textes, la troisième guerre mondiale sera forcément dirigée contre l’islam.



Incroyable, non ?



Alors, la question se pose clairement : peut-on tout dire sur Internet ? La liberté d’expression peut-elle être limitée et à quel titre ? Il est évident qu’Internet ne doit pas constituer une zone de non-droit et que la censure doit y être combattue comme elle l’est dans le monde réel. Cependant, il peut être considéré, comme c’est le cas dans certains pays européens, dont la France, que la liberté d’expression n’est pas une liberté absolue. L’ensemble des droits et libertés forme un équilibre délicat. En conséquence, il peut être admis que la liberté d’expression soit limitée par d’autres droits ou libertés ayant la même force, tel le droit à la sécurité humaine.



La Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) peut également constituer une base juridique internationale pour admettre des limitations justes et raisonnables à la liberté d’expression.



Mais alors, comment s’assurer que la limitation à une liberté aussi fondamentale que celle de s’exprimer soit légitime et raisonnable ? Pour que se maintienne l’équilibre des libertés entre elles, il faut identifier un critère incontestable pour garantir le caractère juste et raisonnable de ces éventuelles limitations. La Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques fournissent, au sens des panélistes, un critère qui semble valable : « L’obligation de ne pas nuire à autrui ».



Croyez-moi ou pas, il m’a fallu sept minutes pour vous dire tout cela, et pendant que je vous parle, quelque part, entre Ryad et Khartoum, des enfants feuillètent des manuels scolaires saoudiens financés par l’Arabie Saoudite. Au programme : les Juifs, régulièrement déshumanisés et désignés comme cibles. Des textes qui nient toute légitimité à Israël, et visent à préparer mentalement les élèves à la guerre finale, et non à la paix.



Tout cela en sept minutes. Et vive la mondialisation ! Mais, vous n’êtes pas obligés de me croire…



Photo : © 2011 Erez Lichtfeld