Le CRIF en action
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Publié le 17 Avril 2007

Cukierman à la marche des vivants : « que l’ombre de nos martyrs protège nos enfants »

Devant 4.000 personnes réunies à Cracovie, le président du CRIF, seule personne à prendre la parole, a appelé au devoir de mémoire et à « se battre pour que le dessein d’Hitler ne puisse jamais se réaliser ».


Accompagné par Joseph Zrihen, vice-président du CRIF et du FSJU et Michèle Roche, épouse du président du CRIF de Bordeaux, accompagnée d’une délégation de 150 personnes, Roger Cukierman a participé, le 15 et 16 avril à la 16ème Marche des Vivants sur le site des anciens camps d’Auschwitz et de Birkenau.
Plus de 7.000 participants venus de 25 pays se sont joints à ce rassemblement : Yuli Tamir, la ministre israélienne de l’Education ; Rafi Eitan, le ministre israélien des retraites et ancien du Mossad qui captura Adolf Eichman en 1960 et Méir Lau, le grand rabbin de Tel-Aviv conduisaient la délégation israélienne. 650 personnes dont un grand nombre de jeunes catholiques formaient la délégation française.
« Il y avait beaucoup de jeunes lors de cette marche des vivants », a noté Roger Cukierman : « J’y vois un réconfort pour l’avenir ! »
La veille, le 15 avril, Roger Cukierman a été le seul orateur à prendre la parole devant 4.000 personnes réunies à Cracovie, la grande ville polonaise proche d’Auschwitz. Il a constaté que « la bête n’est pas morte », et qu’ « il fallait se battre pour le dessein d’Hitler ne puisse jamais se réaliser ». Lors de son intervention prononcée en français, en anglais et en hébreu, le président du CRIF a appelé au soutien à Israël, « minuscule refuge des Juifs, au milieu d’un monde hostile, qui souhaite sa disparition ». Pour lui, « lorsque nous aurons convaincu nos propres enfants de défendre le judaïsme, nous aurons accompli notre mission ».
On lira ci-dessous le texte de l’intervention de Roger Cukierman à Cracovie.
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Discours de Roger Cukierman à la cérémonie du 15 avril 2007 à Cracovie
C’était au siècle dernier, il y a plus de 60 ans. On a du mal à l’imaginer. Nous étions plongés dans l’horreur de la shoah, le massacre de la moitié des Juifs d’Europe, la disparition du tiers des Juifs du monde. 6 millions de juifs, 6 millions d’innocents.
J’ai chez moi quelques vieilles photos écornées, abîmées, pâlies par le temps. Ces photos montrent mes grands parents, mes oncles, mes tantes, et des enfants, tant d’enfants, toute cette famille qui est ma famille. Et pourtant je suis incapable de mettre des noms sur tous ces visages. On ne les a pas seulement assassinés. La mémoire de mes racines m’a été volée.
Auschwitz est le plus grand cimetière du monde, un cimetière sans tombe et sans traces. Comment retrouver ici dans cette usine de mort, dans ces murs froids, la vie des êtres chers ? Et pourtant je crois les reconnaître dans ce paysage, les ombres vivantes de mes grands parents, mes oncles, mes tantes, mes cousins, mes cousines.
Ils n’ont pas eu de tombe, pas de sépulture sur lesquelles nous puissions nous recueillir. Ils ont été privés de ce droit élémentaire pour chaque être humain.
Mais ce droit qu’on leur a volé devient pour nous un devoir, le devoir de faire renaître leur souvenir, le devoir de rappeler tous ces noms, les Sarah, Yankel, Moshé, Rivka, Mordechaï, et tous les autres… Il faut témoigner, rendre la parole aux morts pour les rendre vivants. Les sortir du silence assourdissant.
Et parmi ces Juifs tant d’enfants, qui étaient l’espoir de l’humanité. Et parmi eux, un million et demi d’enfants, gazés, brûlés.
Tous ces enfants à qui on a volé leur jeunesse, morts sans bar mitzva, morts sans que leurs parents puissent les emmener à la Houpa, sans qu’ils puissent jamais fonder un foyer. Un million et demi d’enfants dont l’humanité pouvait attendre des savants, des poètes, et des gens ordinaires. Des enfants qu’on a tué, comme on a tué les enfants qu’ils auraient eu, si des barbares n’avaient pas interrompu le cours de la nature.
Ce lieu doit être un lieu de méditation dédié aux vivants. Pour qu’on sache que l’homme même civilisé est capable des pires folies meurtrières. Pour qu’on sache qu’un jour un homme a décidé d’organiser méthodiquement, scientifiquement l’extermination du peuple juif. Et cet homme a failli réussir.
La Shoah c’est aussi le terrible questionnement qui pèse sur toute l’humanité. Où était Dieu ? Invoquer la mémoire c’est justifier l’espoir, la foi en Dieu pour certains, et dans l’humanité pour tous.
Où étaient ceux qui auraient pu bombarder les rails, les gares, les camps de déportés, où étaient Roosevelt, Churchill, Staline.
La bête n’est pas morte. Nous la voyons s’épanouir, nous voyons les thèses négationnistes se développer.
Nous voyons l’extrême droite avoir pignon sur rue avec ses millions de votants, ses armées de bien pensants.
Comment ne pas évoquer l’antisémitisme qui règne encore aujourd’hui en Europe, y compris dans des pays aujourd’hui judenrein ? Non, le monde dit civilisé n’a pas tiré toutes les leçons du passé.
Mais plus nous avons d’ennemis, plus nous devons nous battre pour que le dessein de Hitler ne puisse jamais se réaliser.
Nous devons à nos disparus de rester juifs, d’avoir des enfants, beaucoup d’enfants, de les élever dans le judaïsme. C’est cela croire en l’avenir.
Mais, ce n’est pas tout, nous devons à nos disparus de ne pas laisser s’éteindre notre culture, toute notre culture.
Mais, ce n’est pas tout. Nous avons un immense devoir envers l’Etat d’Israël.
Car l’Etat d’Israël, ce minuscule refuge des Juifs vit au milieu d’un monde hostile qui souhaite sa disparition.
Nous devons soutenir l’Etat d’Israël parce qu’il est le seul et ultime refuge pour tous les Juifs menacés de persécution dans le monde.
Parce que l’Etat d’Israël est notre fierté.
Parce qu’il est une consolation aux six millions de disparus.
Parce qu’il a besoin de nous et que nous avons besoin de lui.
Lorsque nous aurons convaincu nos propres enfants de défendre le judaïsme, alors, nous aurons accompli notre mission, notre devoir de mémoire envers nos disparus.
Que l’ombre de nos martyrs protège nos enfants.
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Vous trouverez également ci-contre le discours en anglais et en hébreu: http://www.crif.org/uploads/articles/fichiers/discours_en_anglais_et_hebreu.pdf