Le CRIF en action
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Publié le 26 Mars 2010

Dialogue judéo-chrétien : la France, un modèle pour Israël ? par Catherine Dupeyron

Les 16 et 17 mars, des rencontres judéo-chrétiennes ont eu lieu à Jérusalem et Tibériade (1). Initiées et organisées par le CRIF (Conseil des institutions juives de France), ces journées rassemblant quelques deux cents juifs et chrétiens, religieux et laïcs, gens venant de France ou installés en Israël, ont allié réflexions, témoignages, émotions, autocritique réciproque dans un souci unanime d’empathie sans tomber dans la complaisance. Difficile de rendre compte de l’ensemble de ces deux journées mais le CRIF, s’inspirant du modèle français, a réussi son pari d’un vrai dialogue sur la terre des origines du judaïsme et du christianisme. Parmi les intervenants, Florence Taubmann, pasteur et Présidente de l’Amitié Judéo-Chrétienne, interviewée en fait un bilan positif.




« Depuis des siècles, les juifs ont toujours été une minorité dans le monde chrétien. Or, ici nous sommes dans une situation unique où les juifs sont en majorité et les chrétiens en minorité. C’est une situation inhabituelle presque impensable », a souligné Richard Prasquier, président du CRIF qui a organisé les 16 et 17 mars deux journées de rencontres judéo-chrétiennes à Jérusalem et Tibériade. Si ce propos souligne une évidence, il n’en constitue pas moins une problématique spécifique et essentielle du dialogue judéo-chrétien en Israël. Dans ces conditions, le dialogue judéo-chrétien français peut-il constituer un modèle ?




C’est certainement la conviction de Gérard Israël (2), président de la commission chargée des relations avec les Églises chrétiennes, à qui revient l’idée initiale de ce colloque. Ce philosophe, artisan infatigable de ce dialogue en France, rêvait de le prolonger « là où tout a commencé ». Et de préciser : « Il s’agit notamment de convaincre le gouvernement d’Israël de la nécessité de la réconciliation entre juifs et chrétiens. »




Le père Michel Remaud, installé en Israël depuis 1985, et lauréat du Prix de l’Amitié judéo-chrétienne 2010, voit dans ce colloque un double avantage : « D’un côté, l’expérience française de ce dialogue qui a maintenant plus de 50 ans montre que c’est possible. De l’autre, avoir ce dialogue ici a permis de l’ancrer dans la réalité quotidienne locale. » En l’occurrence, sur la question de la minorité chrétienne, le frère Louis-Marie, du monastère bénédictin d’Abou Gosh à l’ouest de Jérusalem, n’est pas alarmiste, bien au contraire. Pour lui, « l’Église locale est dans une situation privilégiée. C’est une Église de culture arabe mais, théologiquement, elle est intrinsèquement liée aux juifs ».




La prise en compte de la réalité locale



Pour faire le pont entre les deux rives occidentale et orientale de la Méditerranée, le dialogue ne devrait-il pas d’abord s’appliquer aux pèlerinages ? « Il y a peu de rencontres entre les pèlerins et le monde réel », a souligné Jean-Marie Allafort, qui accompagne des groupes chrétiens depuis une dizaine d’années et cofondateur de Jérusalem & Religions. D’où l’idée évoquée par un auditeur de mettre en place des voyages interreligieux, qu’il s’agisse de la confession des participants, de l’itinéraire touristique ou bien encore des rencontres avec la population.




Mais ce dialogue judéo-chrétien achoppe souvent sur la question du conflit. Pour certains, elle n’a pas été suffisamment prise en compte durant ce colloque. « À l’exception du père Shoufani, la réalité des enjeux quotidiens du dialogue avec les chrétiens et les musulmans n’a pas été évoquée », remarque Olivier-Raphaël Sayada, juif impliqué dans plusieurs groupes interreligieux locaux. Pour d’autres, elle a existé mais « sans englober tout le dialogue », souligne le père Patrick Desbois, directeur du Service national de la Conférence des évêques de France pour les relations avec le judaïsme. « C’est justement cela que la France peut apporter, un positionnement apaisé où le dialogue avec l’un n’est pas dirigé contre l’autre. »




La minorité et le conflit, deux aspérités sur lesquelles Mgr Marcuzzo, vicaire patriarcal pour Israël à Nazareth, s’est arrêté. « Si nous voulons exister nous devons dialoguer. C’est d’ailleurs l’exploit qu’ont réussi les chrétiens de Terre sainte au cours des siècles, de rester fidèles à eux-mêmes en s’ouvrant à l’extérieur. Mais les chrétiens locaux ne peuvent pas avoir ce dialogue en oubliant le conflit. » Et de faire référence au document Kairos Palestine, un moment de vérité où, selon lui, « un groupe de théologiens chrétiens palestiniens essaye de concilier dialogue avec prise en compte du conflit ». L’allusion à ce document a laissé perplexe une partie de l’assemblée. « Il me semble qu’il y a une contradiction à parler de dialogue alors que le document utilise le terme de Palestine », a souligné un auditeur juif israélien.




Incarnation du dialogue judéo-chrétien local



Cependant, la réalité de ce dialogue local s’est littéralement incarnée en la personne de Souad Hadad, arabe chrétienne de Haïfa, née en 1950. D’une voix douce et triste à la fois, cette femme frêle a raconté son père « palestinien », sa mère « libanaise », son « adolescence tourmentée par les questions d’identité », son absence totale de relations avec ses « voisins juifs », et finalement son voyage à Auschwitz avec le père Emile Shoufani en 2003. « Les Pères du désert nous disent que l’enfer, c’est lorsque l’on est dos à dos, liés, sans pouvoir voir le visage de l’autre. À Auschwitz, j’ai vu les chaînes qu’il me fallait briser pour regarder le visage de l’autre. Depuis ce voyage, nous avons eu deux guerres. Nous les avons vécues ensemble, en communion totale. »



(1) Pour le détail du programme et des intervenants de ce colloque : http://www.jerusalem-religions.net/...
(2) Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont "La question chrétienne : une pensée juive du christianisme", Petite Bibliothèque Payot, 2002 ; "Jésus est-il Dieu ?", Payot, 2007
« LES CATHOLIQUES SONT LES PLUS AVANCES »





Questions à Florence Taubmann, présidente de l’Amitié judéo-chrétienne et pasteur ERF.



Quelle a été, selon vous, la dimension particulière de cette rencontre ?



Le fait qu’elle ait lieu en Israël en présence de chrétiens et de juifs locaux. C’était un condensé d’une grande richesse. Il y a des interventions qui font réfléchir, comme celle de Mgr Marcuzzo. Ses propos sur le bon accueil de Nostra Aetate [encyclique papale datant de 1965 sur les relations de l’Église catholique avec les religions non chrétiennes, ndlr] dans l’Église locale m’ont surprise car ils vont à l’encontre de ce que l’on sait de la genèse de Nostra Aetate.
 Mais, après tout, le fait qu’il présente les choses sous un meilleur jour est peut-être un pas dans la bonne direction. Je pense qu’un événement comme ce colloque peut déclencher un vrai dialogue au sein des catholiques locaux sur l’application de Nostra Aetate en Israël. D’autant qu’une partie des chrétiens qui sont ici, comme la communauté d’Abou Gosh ou le père Remaud, ont déjà fait ce travail de réflexion.



Quel regard portez-vous sur les protestants locaux au sein du colloque ?



À cet égard, je reste un peu sur ma faim. Petra Heldt [directrice de l’Ecumenical Theological Research Fraternity, ndlr] a fait une intervention très claire mais très dure en évoquant la responsabilité des Églises protestantes à l’égard d’Israël. Peut-être aurait-il été utile d’entendre d’autres responsables protestants locaux, non par souci d’équilibrer les discours mais plutôt dans l’idée d’établir une confrontation salutaire entre les Églises protestantes locales.



Comment se situent les protestants au sein du dialogue judéo-chrétien ?



On est à 300 lieues derrière ! On est bien loin du niveau de réflexion théologique que les catholiques ont accompli, de l’idée que la relation du christianisme au judaïsme est de nature interne. 
Il y a deux raisons majeures à cela. D’une part, le protestantisme ne fonctionnait pas sur la théologie de la substitution. Calvin a justement remis en cause la lecture des Pères de l’Église et proposé une lecture historique des Écritures. D’autre part, sur le plan contemporain, les responsables catholiques français sont partis de la repentance, ce que les protestants français ne peuvent pas faire.
Si le protestantisme n’a pas été épargné au cours de l’histoire par quelques dérives antisémites, il demeure un sentiment très profond que, durant la dernière guerre, nous avons été solidaires du « peuple de Dieu ». 
 Propos recueillis 
par C. D.



Photo : © 2010 Erez Lichtfeld



Source : jerusalem-religions.net