Le CRIF en action
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Publié le 16 Mai 2011

Discours d’Eliane Klein, présidente du CRIF région Centre à Beaune La Rolande, le 15 mai 2011

En ce jour particulier, je dédie mes paroles aux plus d’1 million et demi d’enfants juifs massacrés en Europe. Je les dédie également aux « orphelins de la Shoah », ces enfants qui ont survécu, cachés, souvent sauvés par leurs familles d’accueil, ces Justes, connus ou inconnus, ceux qui ont vu la dernière fois leur père, « convoqué par le billet vert » le 14 mai 1941, ceux dont 1 ou les 2 parents ne sont jamais revenus. Ces enfants ont vécu la douloureuse expérience de l’absence et de l’attente vaine. Comme l’a écrit Simone Veil, « il a fallu près de 60 ans pour que leur souffrance soit exprimée et entendue dans sa singularité. Elle est désormais partie prenante de notre mémoire commune ».




Si, comme chaque année, un dimanche de mai, nous sommes réunis ici, près de la stèle où sont inscrits quelques noms,, les noms de ceux qui, avec des millions d’autres, ne reposent pas dans un cimetière, n’ont aucune place dans aucun cimetière, je m’interroge, plus que jamais, sur le sens de cette commémoration : la commémoration officielle peut avoir son revers, celui de figer la mémoire et de la banaliser si l’on s’en tient aux formules compassionnelles ou incantatoires, au sempiternel « plus jamais ça », qui n’engagent à rien, qui sont souvent sources d’oubli et qui sont régulièrement trahis dans le monde depuis plus de 60 ans.



« Que reste-t-il des cris des enfants juifs innocents arrachés à leur mère, dans une commémoration institutionnalisée ? (Georges Bensoussan)



Et pourtant, si nous venons ici, chaque année, comme l’ont fait nos parents avant nous, c’est par fidélité envers ceux qui, hommes, femmes, enfants, internés dans les camps de Beaune la Rolande et Pithiviers sur ordre du gouvernement de Vichy, furent envoyés à Auschwitz pour y être assassinés.



Leur crime : être nés.



Notre geste s’inscrit dans le sentiment d’une dette envers un monde anéanti ; il rejoint une tradition juive, moins tournée vers le ressassement du passé que vers la connaissance et la transmission de ce qui fut.



Il s’agit de réfléchir sur ce crime contre l’Humanité, perpétré sur le sol européen, crime de masse advenu dans le silence des nations.



A la source de notre réflexion, il y a l’impératif de la connaissance rigoureuse des faits, de leur chronologie, du cheminement idéologique qui a entrainé la séparation, l’exclusion, puis la mise à mort d’une grande partie du peuple juif.



Dans cette démarche, il s’agit de ne pas raisonner en termes de chiffres, mais de penser à l’anéantissement d’un univers juif, fait d’hommes, de femmes, d’enfants vivants ; il s’agit de garder une mémoire vivante de ceux qui ont été » interdits de vie », tout en sachant qu’il y aura toujours quelque chose d’intransmissible dans le calvaire vécu dans les camps et en sachant qu’il y a aussi une mémoire sans paroles, celle des millions d’enfants et d’adultes disparus dans les camps de la mort ou massacrés par les Einsatzgruppen sur les territoires de l’ex Union soviétique.



Je voudrais, à cet instant, rendre hommage aux « rescapés », aux survivants, aux derniers témoins, ceux qui n’ont pas été écoutés juste après la guerre, car peu voulaient ou pouvaient les entendre, les croire. .Je pense aux disparus et aux vivants, Zalman Brajer, Henry Bulawko et tant d’autres qui ont consacré une grande partie de leur vie à témoigner, qui, face à la terrible obstination des nazis d’effacer leurs crimes, ont répondu par leur formidable volonté de vivre.



Le documentariste et écrivain Michaël Prazan évoque ainsi les rescapés qu’il rencontre aux USA, en Israël, en Europe : « Au-delà de leur réussite professionnelle et personnelle, qui ne cesse de me surprendre, il y a chez eux davantage de bonté, de bienveillance et de pudeur que chez le commun des mortels. Comme si le malheur effroyable qui leur a tout enlevé, famille, pays, jeunesse, leur avait en échange accordé un surcroît d’humanité ».



L’importance du témoignage a été soulignée, en particulier par l’historienne Annette Wieviorka qui écrit, à propos du procès Eichmann- je cite- « j’ai pris conscience d’un fait majeur : le procès Eichmann marquait le passage du survivant au témoin, un témoin devenu porteur d’histoire et vecteur principal de la mémoire. »



Cependant, la voix des témoins-survivants s’affaiblissant, le rôle de l’historien devient fondamental aujourd’hui dans notre quête de sens. Il est essentiel à plusieurs titres : « le récit historique doit rendre compte de cette donnée inquantifiable, le chagrin des vies mutilées. »



Le travail de l’historien s’oppose à la négation, à la tendance à l’oubli, car, en écrivant le passé, il met des mots là où, jadis, le silence prévalait » (Georges Bensoussan). Il préserve le souvenir de la singularité de cette catastrophe où, contrairement aux massacres précédents, le projet démentiel fut d’aller chercher les Juifs aux 4 coins de l’Europe pour les convoyer jusqu’au lieu de leur assassinat, les réduire en cendres et effacer les traces du crime. La destruction des Juifs d’Europe était au cœur du projet nazi.



Le récit historique nous révèle cette terrible vérité : « La Shoah, ce n’est pas la barbarie qui coexiste avec le progrès technique dans l’une des nations les plus civilisées d’Europe, c’est l’un mis au service de l’autre » (George Bensoussan).



C’est aussi, comme l’a écrit Primo Lévi, cette « zone grise », faite d’hommes ordinaire, médiocres, soucieux de leur carrière, bons pères de famille le soir, et les pires assassins le lendemain.



Ceci m’amène à la question de l’enseignement de la Shoah, devant être abordée dès le CM2.



C’est une tâche difficile pour des enseignants dont l’une des missions est de transmettre des valeurs universelles fondées sur le respect de la dignité humaine.



Comment évoquer l’horreur absolue sans traumatiser ni désespérer les élèves, mais en leur donnant des clés pour déchiffrer le passé et engager l’avenir pour qu’ils deviennent des citoyens au « cœur intelligent ».



Cela est d’autant plus difficile que cet enseignement ne peut être basé sur la seule émotion, certes compréhensible, mais qui empêche de penser. Comme l’a écrit Vassili Grossman, « face à l’ampleur du désastre, et contre le chagrin, il reste la digue de la connaissance et le contrepoison de l’intelligence qui décrypte la machine de mort… »



A cet instant, je veux saluer l’excellent travail de mémoire et d’histoire mis en œuvre par des enseignants du primaire et du secondaire avec tous les outils pédagogiques mis à leur disposition par le Cercil, (et d’autres encore).



Avec mes félicitations à Jean-Pierre Genet, le proviseur adjoint du Lycée agricole et forestier de Beaune la Rolande, qui, depuis plusieurs années, accomplit un travail d’histoire exemplaire avec l’équipe pédagogique et les élèves.



Ce travail d’Histoire, que je viens d’évoquer, est une nécessité absolue pour éclairer notre présent : A l’heure où des discours populistes, des discours de haine se font entendre, à L’heure où l’on tente de relativiser les valeurs universelles au nom du multiculturalisme et du relativisme historique.



A l’heure où nous assistons au développement d’une violence sauvage sur une grande partie de notre planète : Par exemple, la haine homophobe, raciste et antisémite qui tisse sa toile sur le net, par exemple, les atteintes aux libertés fondamentales et à la dignité des êtres humains, des femmes en particulier, les prises d’otages, les attentats, les massacres, les répressions sanglantes des manifestations en Lybie, en Syrie, etc. Je n’en ferai pas la liste ici.



J’espère que dans notre pays, nous saurons garder les yeux ouverts face à toutes les dérives du langage et du comportement, toutes les atteintes à la démocratie et aux valeurs qui la fondent.



La démocratie est fragile ; souvenons –nous que la « demeure de la civilisation ne sut pas être un abri » (Georges Steiner) :L’histoire du Régime de Vichy illustre cette fragilité de la Démocratie quand ses principes fondamentaux ne sont pas enracinés dans la conscience collective d’un peuple, quand on permet à des idéologies totalitaires de pénétrer l’espace républicain.



Photo : D.R.