Le CRIF en action
|
Publié le 31 Janvier 2003

Discours de M. Jean-Pierre RAFFARIN, Premier Ministre, lors du dîner du CRIF

Cher monsieur le président du Crif,



Merci de votre accueil, merci de votre engagement. J'ai apprécié naturellement le salut que vous avez adressé à certains aspects de notre politique et à nombreuses de nos initiatives. J'ai aussi entendu, écouté, ainsi que l'ensemble des membres du Gouvernement ici présents, vos incompréhensions, et les unes nous ont autant touchés que les autres.

C'est un moment fort pour moi de m'exprimer ce soir devant vous. Le dîner du Crif est devenu au fil des années un rendez-vous important de dialogue et d'écoute entre les autorités gouvernementales et les responsables de la communauté juive.

Le Crif représente avec efficacité les droits, les intérêts et les aspirations de la communauté juive de France. Je connais et j'apprécie son rôle comme interlocuteur des pouvoirs publics en France, mais aussi à l'étranger et je salue à cet égard monsieur le président. Votre engagement pendant l'année 2002 a contribué à faire percevoir la réalité de la situation en France et à lever certaines inquiétudes, notamment aux Etats-Unis.

Je note enfin, avec plaisir, que sont associés à notre dîner ce soir les représentants des autres grandes religions de notre pays - catholiques, protestants et musulmans - ainsi qu'un grand nombre de personnalités politiques que je salue.

Les occasions d'un rassemblement aussi large, aussi divers, sont rares, sont trop rares.

Mesdames et messieurs,

ce rendez-vous a lieu dans un contexte troublé. Les bruits menaçants du dérangement du monde portent jusque dans notre pays et troublent nos concitoyens et notamment ceux de confession juive, alors même que le 21 avril est encore dans toutes nos mémoires.

La situation au Proche-Orient n'a cessé de se détériorer au cours de la période récente, avec de part et d'autre, son lot quotidien de victimes - femmes, hommes et enfants.

Nous avons exprimé à chaque fois, avec force et détermination, notre horreur et notre indignation face à la recrudescence des attentats anti-israéliens. Notre compassion pour le peuple israélien qui paie un si lourd tribut au terrorisme est totale ; nous partageons la douleur et nous comprenons la colère.

Mesdames et messieurs, nous le savons, seul un règlement politique permettra à ce conflit plus que cinquantenaire un terme. Le Conseil de sécurité des Nations unies, unanime, l'a dit avec la plus grande clarté dans sa résolution 1397 : la solution passe par la coexistence de deux Etats, israélien et palestinien, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité.

Une chose est sûre : il est urgent de sortir de l'impasse actuelle. Le statu quo s'avère trop douloureux chaque jour davantage pour ces peuples.

Aujourd'hui, le Proche-Orient est inquiet, le Proche-Orient est angoissé. A faible distance d'Israël, l'Irak est gravement suspecté depuis 12 ans, de détenir et de développer des armes de destruction massive.

La communauté internationale a témoigné sur ce dossier lors de l'adoption, à l'unanimité, de la résolution 1441 au Conseil de sécurité de l'Onu, de sa cohésion.

Elle a fait le choix de résoudre collectivement la question du désarmement de l'Irak dans le respect de la légalité internationale.

Vous connaissez les efforts déployés par la France et le président de la République pour faire valoir cette approche. Celle-ci est fondée sur le droit, sur la morale et sur le principe de responsabilité face à la gravité de la crise.

La communauté internationale a donc défini, le 8 novembre dernier, un processus clair, et les inspections en Irak se déroulent actuellement à un rythme soutenu.

Conformément à l'échéancier fixé par notre communauté internationale, messieurs Blix et El Baradei feront, le 27 janvier, un rapport d’étape devant le Conseil de sécurité, sur la façon dont ils évaluent la situation irakienne.

Ils demanderont, sans doute, plus de temps pour mener à bien la mission qui leur a été confiée. La sagesse consisterait à le leur accorder.

Quant aux Irakiens, s'ils veulent éviter une guerre aux conséquences incalculables, s'ils veulent que le processus engagé se poursuivent, il faut qu'ils clarifient toutes les zones d'ombre identifiées par M. Blix ; ils ne peuvent être innocents de leurs attitudes.

Ils doivent coopérer de façon active avec les Nations unies, en fournissant les éléments complémentaires de nature à répondre aux interrogations légitimes de la communauté internationale.

A nos yeux, une confrontation peut encore être évitée. La communauté internationale ne saurait recourir à la guerre qu'en dernière extrémité, une fois toutes les autres options épuisées.

La France, qui a toujours assumé ses responsabilités entend, pour sa part, garder sa pleine liberté d'appréciation et d'action.

Madame la ministre de la Défense, ici présente, a dit directement et personnellement notre position aux autorités américaines.

Mesdames et Messieurs,

La tourmente tragique dans laquelle Israël est pris, est pour nous tous, un sujet d'angoisse.

Dans cette épreuve, je tiens à vous dire que la France reste fidèle à l'amitié profonde qu'elle porte à Israël depuis sa fondation.

C'est au nom de cette amitié que nous avons souhaité développer et approfondir nos relations bilatérales.

Nos deux gouvernements ont ainsi créé un groupe de haut niveau, chargé de proposer des actes renforcement, de coopération, déjà très denses, qui lient nos pays.

Il est présidé, pour la partie française, par le professeur D. Khayat, que je salue, et qui a d'ores et déjà rendu un premier rapport d'étape prometteur. Ce groupe présentera des projets emblématiques au niveau de qualité de nos relations bilatérales.

Je souhaite également, à la veille d'une importante échéance électorale en Israël, saluer la vigueur de la démocratie israélienne.

Nous respecterons naturellement la décision du peuple israélien, en ayant à cœur de poursuivre avec le gouvernement qui se mettra en place, une relation de confiance et de coopération, pour renforcer nos liens bilatéraux et pour oeuvrer en faveur de la paix dans la région.

Nous devrons tous au lendemain de ce scrutin, travailler ensemble pour inverser l'évolution tragique que nous observons depuis plus de deux ans et qui doit cesser.

La France se tiendra toujours aux côtés de ceux, de tous ceux qui agiront dans le sens de la paix. Mais notre pays, parce qu'il est vigilant au-delà de ses frontières, se doit de l'être aussi à l'intérieur de son territoire. Et je sais que nous affrontons sur notre propre sol, dans ce contexte international troublé, une recrudescence de comportements intolérables.

L'antisémitisme et les actes anti-juifs, dont on aurait voulu se croire définitivement débarrassés, sont réapparus. Les années 2001 et 2002 furent de ce point de vue particulièrement éprouvantes.

Après les pics de violence antisémites de mars et avril derniers, je souhaite que la décrue constatée au deuxième semestre 2002 se confirme et que le pire soit désormais derrière nous, malgré les événements récents.

La mobilisation du président de la République et du Gouvernement sur ce sujet, est et restera, totale. Parce que nous voulons redonner confiance en la République, parce que la sécurité est au cœur de notre pacte républicain, nous avons déployé, dès notre arrivée, la plus grande énergie pour faire reculer l'insécurité.

Nous ne pouvons tolérer que certains, en raison de leur confession, juifs, musulmans ou chrétiens, en raison de l'origine ethnique ou de leurs opinions, soient soumis à la vindicte d'individus dangereux, que nous poursuivons avec détermination. Nous ne tolérerons jamais qu'une synagogue, qu'une mosquée, qu'une église, qu'un temple soit profané.

Je l'ai dit au moment du 60ème anniversaire de la commémoration de la monstrueuse rafle du Vél d'Hiv. Je le redis aujourd'hui avec autant de conviction : « Agresser la communauté juive, c'est agresser la France, c'est agresser la République et ses valeurs. »

Face à ces difficultés, vous connaissez donc la détermination de notre Gouvernement. Mais je me garderais pour autant de tout triomphalisme.

Les résultats, je le sais, sont fragiles ; la vigilance est de mise et le contexte international peut à tout instant rallumer les feux de la haine que l'on croyait éteinte.

Il faut donc prévenir. C'est pourquoi le dispositif de prévention et de lutte contre les actes antisémites et antijuifs, mis sur pied au printemps dernier, est maintenu.

13 unités de forces mobiles, 1200 CRS et gendarmes mobiles sont spécialement engagés sur le terrain afin de protéger les zones les plus sensibles qui sont déterminés en concertation avec les représentants de la communauté juive en France.

Des instructions ont été données aux procureurs de la République pour qu'ils exercent la plus grande vigilance sur des actes à caractère racistes et antisémites, et qu'ils réagissent avec la plus grande fermeté.

J'observe ainsi que chaque fois que les auteurs d'actes antisémites ont pu être identifiés, les peines prononcées ont été particulièrement sévères et je m'en félicite.

La France a également oeuvré au renforcement des mesures contre des actes antisémites dans le cadre de l'Union européenne. Car malheureusement, en Belgique, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Allemagne, les actes antisémites se sont également accrus. Madame Lenoir, chargée des Affaires européennes au sein du Gouvernement, est particulièrement vigilante sur ce dossier.

Il convient donc de travailler efficacement contre l'antisémitisme.

C'est pour cela que je salue cette proposition de loi lucide et généreuse, portée par Pierre Lellouche, qui a été adoptée à l'unanimité, avec le soutien total du Gouvernement, à l'Assemblée nationale, Cher Jean-Louis Debré, mais aussi au Sénat, cher Christian Poncelet.


A côté des violences antisémites, on assiste à une évolution des formes d’expression de l’antisémitisme en France, qui est inquiétante.

Je constate, vous en avez parlé tout à l'heure monsieur le président, par exemple avec beaucoup de préoccupation, que certains appellent au boycott de produits d’origine israélienne.

Je me dois de rappeler qu’ils sont passibles du tribunal correctionnel. Le Code pénal réprime en effet sévèrement par l’emprisonnement tout acte de discrimination fondée sur l’appartenance, vraie ou supposée, ou à une nation ou une religion déterminée.

Je vous rassure, monsieur le président, le Garde des Sceaux, Dominique Perben, ici présent, apporte une attention personnelle à cette question. Et des instructions particulières ont été données sur ce point également aux Parquets concernés, sur la base, notamment, des éléments transmis au ministère de la Justice.

Naturellement, la France continue à défendre son point de vue et son analyse de la situation en Palestine : il n'y aura pas de paix sans justice et respect des droits des Palestiniens.

Mais, cette réalité ne peut justifier l’amalgame. La France a toujours condamné le terrorisme d'où qu'il vienne, et en particulier les attentats suicide qui frappent les populations civiles.

Mon espérance est que "Le nouveau siècle comprendra qu’il doit rejeter les idéologies meurtrières au profit de l’« humanisme intégral » parce que « chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition ». Cette phrase vient d'un autre maire de Bordeaux, monsieur de Montaigne.

Je redis ici ma profonde horreur contre cette violence fanatique, profonde horreur qui conduit certains à choisir de faire de leur mort un crime !

Enfin, nous savons tous que l’antisémitisme a investi les nouvelles technologies de communication. Les sites racistes, négationnistes et antisémites son nombreux sur Internet.

Les propriétaires de ces sites savent parfaitement exploiter les failles des législations nationales, qui rendent souvent difficile l’engagement de poursuites à leur encontre, parce qu’ils résident à l’étranger. Nous ne voulons pas nous abandonner au sentiment d’impuissance. La justice française a ainsi engagé un procès contre un serveur américain accusé d’avoir permis la diffusion de publicités ayant trait à la commercialisation d’objets nazis.

Le directeur de cette société informatique a été appelé à comparaître devant un tribunal français.

Une action au plan international dans ce domaine est indispensable et nous étudions la possibilité de proposer une réponse de la communauté internationale à ces dérives de l'Internet. Il s’agit, de façon générale, d’éviter que les nouvelles technologies échappent à toute régulation et s’affranchissent de tout souci éthique.

C’est aussi cela la mondialisation humanisée que la France et le Président de la République appellent de leurs vœux.

Vous le voyez, la tâche est grande, l’antisémitisme est malheureusement toujours menaçant. Mais, sachez que le gouvernement est particulièrement attentif à ce fléau.

Je voudrais, monsieur le président, insister sur les questions liées à l’enseignement que vous avez justement abordées, monsieur le Président.

L’antisémitisme se diffuse en effet parfois jusque dans nos classes. Nous vivons là - regardons les choses en face - des échecs de l’intégration à notre pacte républicain qui reste une mission fondamentale pour l’école. Dans certains établissements scolaires, il devient difficile pour les professeurs d’aborder la Shoah ou de prononcer le nom d’Israël.

Je partage la conviction d’Alain Finkielkraut selon laquelle « une civilisation qui oublie son passé se condamne à le revivre ». Nous nous devons d’enseigner l’Holocauste !

Le ministère de l’Education nationale mobilise les moyens pour apporter rapidement des solutions qui passent par une extrême fermeté sur les principes et par l’organisation de leur application sur le terrain : l’objectif prioritaire est de mieux aider les établissements et les enseignants à lutter contre ces phénomènes inacceptables.

Nous rassemblons des ressources très importantes au sein du ministère, dans les rectorats et avec les inspecteurs d’académie pour y faire face.

Dans l’enseignement supérieur, des phénomènes inquiétants ont pu se manifester, avec notamment, l’appel d’une université parisienne en faveur du « non-renouvellement de l’accord de coopération universitaire entre l’Union européenne et Israël », et d’un moratoire sur les échanges avec les institutions universitaires israéliennes.

Ce n’est pas faire violence à l’autonomie de l’université que de dire - et c'est un décentralisateur qui le dit - que cette initiative excédait ses compétences n’est pas admissible, le gouvernement la condamne avec force !

Elle ne correspond en rien à nos orientations. Nous souhaitons, au contraire, développer les relations bilatérales avec Israël et la coopération avec les universités étrangères, comme l’a justement rappelé le ministre de l’Education nationale.

C’est dans cet objectif qu’un accord a été signé le 14 janvier pour un nouveau cadre de coopération scientifique et technologique entre le ministère de la Recherche et une délégation scientifique israélienne de haut niveau.

Nous veillerons enfin, à ce que les fonds accordés par la France et l’Union européenne aux pays du Proche-Orient soient justement employés, comme vous l'avez souhaité, pour la paix et le développement.

Quant à l’appel de cette université parisienne, j’observe avec satisfaction - parce qu'il y a quand même de bonnes nouvelles - que la mobilisation des intellectuels et l’indignation générale dans l’opinion ont constitué une réaction salutaire.

Ces dérives malheureuses prouvent chaque jour la nécessité de poursuivre et d’enrichir toujours le travail de mémoire sur l’antisémitisme, mais aussi sur l’indifférence qui ont permis la tragédie de la Shoah.

La France assure actuellement, jusqu’au mois de mars, la présidence du Groupe d’action international pour la mémoire de la Shoah, né du Forum international de Stockholm de janvier 2000.

Lors du colloque du GAI et du séminaire organisé par les ministres de l'Education au Conseil de l'Europe, en octobre 2002, sous la présidence du ministre Xavier Darcos, ici présent, la France a proposé l'initiative pour que, cette "Journée de la mémoire de l’holocauste et de la prévention des crimes contre l’Humanité", puisse être organisée dans les écoles et dans chaque Etat, à partir de 2003, notre pays a choisi pour cette journée la date du 27 janvier, jour anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz.

Je voudrais vous dire ce soir, que j’ai demandé à nos autorités consulaires de mettre en oeuvre le processus de rénovation du pavillon français d’Auschwitz, qui honore la mémoire de tous nos concitoyens disparus tragiquement dans ce camp.

Nous nous efforcerons également, avec le Conseil de l’Europe, de mettre en place un réseau européen regroupant les lieux de mémoire, les fondations et autres organismes travaillant sur la mémoire de la Shoah, afin d’organiser conjointement des séminaires et des manifestations à vocation culturelle et scientifique.

Permettez-moi, sur tous ces sujets, de saluer le travail remarquable réalisé par la Fondation pour la mémoire de la Shoah et par sa présidente, Mme Simone Veil, à qui je dis devant tous, notre estime et toute notre amitié.

Par ailleurs, notre pays a mis en oeuvre, par ailleurs, un dispositif d'indemnisation des biens juifs spoliés pendant la Seconde guerre mondiale, qui se veut efficace. Et je salue ici le travail considérable effectué par la commission créée à cette fin. J'ai entendu votre message, monsieur le président ; je veillerai à ce que ces décisions soient plus rapidement suivies d’effets.

Avant de conclure, mesdames et messieurs, je souhaiterais profiter de l’occasion qui m’est donnée pour vous préciser la façon dont je perçois le rôle des religions dans nos sociétés et la relation passionnelle et passionnante qui relie religion et politique.

Nos sociétés contemporaines sont frappées par des interrogations profondes qui affectent les grandes religions et la politique.

Je n’oublie pas, je vous l'ai dit, le 21 avril : la politique a été, ce jour-là, dans notre pays, ébranlée. Mon ambition est de contribuer à lui redonner, par l'action gouvernementale, toute sa force.

On peut chercher à interpréter cette remise en question - sécularisation, crainte de l’avenir, matérialisme, individualisme croissants. La liste des causes serait longue pour expliquer la crise idéologique que nous vivons. Mais aujourd'hui, une question reste pour tous : en quoi peut-on croire ?

Religion et politique se retrouvent ainsi ensemble face à une difficulté commune, alors que les frontières entre elles se font moins claires.

Parfois, des questions religieuses deviennent des problèmes politiques : le port du foulard à l’école, les dérives de certains mouvements sectaires, le terrorisme islamique, l’antisémitisme en font partie.

Parfois, il faut toute la force du ministre de l’Intérieur pour accélérer l’organisation de la deuxième religion de notre pays et tout le monde comprendra que je salue ici, que je salue, d'un message affectueux, Nicolas Sarkozy et le Recteur Boubakeur.

Parfois, la politique doit répondre à des questions posées auparavant par les religieux - aujourd'hui, sur le clonage, la brevètabilité du vivant, sur les questions éthiques en règle générale. Le politique est amené, de plus en plus, à intervenir sur ces sujets.

Parfois enfin, les religions mobilisent leurs fidèles et les engagent à s’impliquer dans la politique. La note récente du cardinal Ratzinger va dans ce sens. Et le Président de la Fondation pour le protestantisme français, monsieur Pierre Joxe, de plaider ce matin dans La Croix, « pour une visibilité du protestantisme ».

Ces questionnements croisés nous confirment dans l’idée que nos sociétés ont besoin de sens. Le religieux doit donner du sens, et la politique aussi doit donner du sens. Mais, bien évidemment, ils se situent sur des plans différents : spirituel et religieux d’un côté, temporaire et collectif de l’autre. Les orientations données par la religion et par la politique ne sont pas du même ordre, ce dont naturellement il faut se féliciter dans notre République laïque.

Le sens donné par la République, c’est d’abord ses valeurs : la liberté, l’égalité, la fraternité, ces valeurs qu’a porté et que porte le Président de la République devant les Français et sur la scène internationale. C’est aussi, évidemment, naturellement, la laïcité, qui est une valeur cardinale qui permet précisément à chacun d’exprimer ses convictions, dans la liberté, dans la sécurité et dans la tolérance.

La laïcité est notre cadre commun. La laïcité permet à la France d’être une terre de tolérance ; la laïcité permet à la France de ne pas être une juxtaposition de communautés.

Aux côtés de ces valeurs qu’il faut défendre, la politique retrouve sa capacité à donner du sens quand elle assume sa dignité, c’est-à-dire la cohérence entre la pensée et l’action.

Mon gouvernement mène son action dans cet esprit.

La sagesse, pour la politique, c’est la confiance, celle qui lie la conviction et l’action.

Pourtant, malgré nos efforts et nombreux sont ceux ici qui se sont engagés avec toute leur force dans l’action politique, la politique est suspecte ; le 21 avril nous l’a douloureusement rappelé.

Nous ne baissons pas les bras. J’ai confiance.

Je crois en la capacité d’action de la politique car je sais qu’elle peut puiser son énergie à la meilleure source. La réponse est peut-être paradoxale, mais je crois profondément que c’est aussi dans la sphère privée qu’elle puisera sa nouvelle force.

Comme l’écrit un très bon ministre de l’Éducation nationale, aussi philosophe, « la finalité de la politique est la prise en charge par la sphère publique des questions qui relèvent de ce qu’il y a de collectif dans la sphère privée ».

Ce qui fait le sens de nos vies n’est pas épuisé par les grandes idéologies collectives, mais réside aussi dans la sphère privée, dans la richesse de la personne humaine, dans la vitalité du lien social, dans les espaces de fraternité familiaux, associatifs, territoriaux…

Ce basculement possède paradoxalement, parce qu’il est collectif, une puissance politique très importante. Regardons ainsi la formidable énergie de l’engagement associatif de proximité, la préoccupation humanitaire de la jeunesse, la mobilisation collective au moment de certains drames écologiques ou le million de Français qui étaient ensemble dans la rue, pour soutenir les valeurs républicaines. L’élan parfois, dépasse l’argument.

Mesdames, messieurs,

Je crois profondément que le sens que nous cherchons, il faut le trouver dans l’homme et dans son humanité.

Pour que l’homme soit préservé de l’Histoire, il lui faut s’affirmer au-delà des lois de la nature. C’est donc à une notion située au-delà des contingences, une notion universelle qu’il faut faire appel. Cette notion, à mon sens, c’est la liberté. A nous, responsables politiques, de contribuer à la promouvoir. Car c’est par la liberté que l’homme va au-delà de l’histoire et qu’il comporte en lui-même une part de sacré.

Cicéron avait déjà conscience des horreurs de l’histoire quand il écrivait : « La liberté qui fut un moment suspendue nous mord plus fortement au cœur que la liberté qui n’a jamais été perdue ». Certains ici, dans cette salle, n’oublieront jamais cette liberté qui « mord au cœur ».

C’est cette recherche qui fonde mon humanisme, c’est celle qui fonde ma passion pour la politique.

Préservons, par notre action, la part d’humanité qui existe en chaque homme. Les hommes doivent croire en eux-mêmes et en leur destin. C’est pourquoi il faut lutter contre l’exclusion, c’est pourquoi il faut lutter pour que nos sociétés soient dynamiques et fières d’elles-mêmes.

Mais elles seront fières si elles savent chasser leurs hontes, notamment cette honte du racisme et de l'antisémitisme.

Préservons la liberté qui est en chaque homme en commençant par assurer la sécurité de chacun !

Pour ceux ici qui représentent des grandes religions, et pour nous responsables politiques, cette part de sacré en l’homme, cette liberté, est notre énergie collective, elle est notre force à tous, elle est notre espoir !

Dans notre société, il n’y a pas de conflit entre religion et politique : nous travaillons pour le sens, nous travaillons pour l’homme, chacun de notre côté, mais dans un espace politique commun qui est celui de la nation et de la République.

Et parfois, comme ce soir, nous nous retrouvons, ensemble, pour échanger. Merci.

C’est en ce sens que la loi de 1905, l’une des grandes lois fondamentales de la République, est d’une actualité majeure. Je suis très attentif à ce que l’équilibre subtil qu’elle a institué et qui régit depuis un siècle les relations entre les Églises et l’État demeure préservé.

Je pense que l’urgence, pour la politique, pour ses acteurs, ces hommes et ces femmes dont c’est la mission, et souvent qui donnent leur vie à ce combat, est de revenir aux sources de leur engagement et de les expliquer.

La politique gagne, je crois, à ne pas sacrifier la pensée de l’amont au discours en aval.

C’est ainsi que la République parlera à cette part de clarté qu’il y a en chacun de nous ; c’est ainsi que nous libérerons ce que Isaac Luria appelait « les étincelles de lumière qui aspirent à la délivrance ».

Je vous remercie.