Le CRIF en action
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Publié le 9 Février 2011

Discours de Richard Prasquier au diner du CRIF du mercredi 9 février 2011

Monsieur le Président de la République,



Merci d’être venu prendre la parole à notre diner pour la deuxième fois malgré l’ensemble de vos obligations.
Les événements de ces derniers jours mettent la démocratie au premier plan.



Pour Camus, la démocratie, c’est la loi des majorités avec la protection des minorités.



Le lien des Juifs aux démocraties est profond. Ils y ont obtenu liberté et égalité des chances. En retour, ils ont beaucoup apporté. Ce diner manifeste cette symbiose et notre attachement à nos institutions.



La démocratie doit lutter dans une Europe angoissée de sa démographie et incertaine de ses acquis. Cette situation stimule les populistes, bonimenteurs aux solutions faciles, qui pointent du doigt les minorités.



L’autre est le responsable: albinos en Afrique et immigrés en Europe, banquiers anglo-saxons et plombiers polonais, les populistes fouillent leurs inventaires. Mais les Juifs sont rarement loin dans la liste.



Les Juifs connaissent les populismes. Ils ne doivent pas les soutenir. Politiquement ils se fourvoieraient, moralement ils se déconsidèreraient.



Nous sommes hostiles au Front national qui, sous ses nouveaux habits, fait toujours du rejet de l’autre le filigrane de son discours.



La lutte contre le racisme est notre lutte. Nous ne voulons pas que le mot islam remplace le mot juif dans les fantasmes de diabolisation. Nous voulons que les gens du voyage, français de longue date, bénéficient des mêmes papiers que tous les citoyens de notre pays. Nous ne voulons pas que la couleur de la peau soit autre chose qu’une variation de pigment cutané.



La France ne doit pas être une juxtaposition de communautés, mais il y existe des minorités avec leurs traditions particulières. Jambon et vin rouge ne doivent être ni imposés, ni interdits: dans le compromis qui bâtit la vie en commun des solutions sont possibles à l’écart des idéologues. Mais notre société a aussi des principes non écrits et non négociables. L’échange s’y fait visage à visage.



Protection des minorités, loi de la majorité : selon un adage juif, la loi du pays est notre loi. L’accepter est le critère d’intégration. Certains territoires échappent à la loi républicaine. Il y a urgence. Nous ne sommes plus au temps des cours de miracles.



Nous tenons à la loi de 1905, symbole de cohésion et d’impartialité nationale.



En 2010, on a recensé 466 actes antisémites dans le rapport établi avec le ministère de l’Intérieur, par le SPCJ, Service de Protection de la Communauté Juive, créé il y a 30 ans, après l’attentat de la rue Copernic, que nous avons commémoré en octobre en présence du Premier Ministre.



En 2009, pour le seul mois de janvier, du fait de l’opération Plomb Durci à Gaza, on recensait 354 actes antisémites et les chiffres 2010 montrent une évidente diminution. Mais ils restent trop nombreux si on les compare à la situation d’avant 2000. On bute sur un socle structurel où l’action ferme de la police et celle de la justice ne suffisent pas.



Pour coordonner les diverses initiatives contre les comportements et la propagande antisémites, nous demandons une nouvelle impulsion pour un comité interministériel regroupant l’ensemble des services et des associations concernées dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.



Le meurtre d’Ilan Halimi a été le plus horrible de ces actes. Le procès en appel en a établi clairement le fondement antisémite.



Aujourd’hui, les Juifs sont agressés pour leur soutien à Israël, car Israël est devenu le Juif des Nations. A Sumatra après le tsunami, devant des morsures de requins à Charm el Cheikh ou les décombres d’une église à Alexandrie, les Juifs, pardon, les « sionistes » sont accusés. Qu’Israël aide les Haïtiens après le tremblement de terre, on dit qu’il vole des organes. Un pays bouc émissaire… Voilà une obsession qui mériterait que l’on s’en indigne.…



Dans le monde, les Juifs sont une toute petite minorité: ils ont été presque toujours marginalisés, souvent persécutés et parfois exterminés. Ils ont une religion commune, une histoire commune et une approche de la vie commune. C’est pourquoi les Juifs sont un peuple. Israël est le seul pays au monde où les Juifs sont et devront rester majoritaires. C’est l’Etat du peuple juif, mais c’est aussi un Etat où tous ont des droits égaux et la liberté d’expression absolue.



Le théoricien palestinien qui veut détruire Israël par le boycott n’étudie pas à Naplouse, mais à l’Université de Tel-Aviv. Le Président du Tribunal qui a condamné l’ex-président Katzav est un arabe israélien. Appliqué à Israël, le mot d’apartheid est obscène.



Une révolution sans précédent soulève divers pays arabes. Elle est portée par une aspiration démocratique évidente, qui suscite notre admiration. Mais sous l’étendard de la démocratie et de la liberté se camouflent des gens qui cherchent à détruire la liberté et la démocratie. C’est le cas des Frères Musulmans. Leur idéologie rejette l’altérité. Ils peuvent provoquer le retour d’une rhétorique de guerre contre Israël. Nous sommes admiratifs, mais nous sommes vigilants.



Le doute, a dit Voltaire, est désagréable, mais la certitude est absurde.



Le doute qui laisse place à ce qui est au delà de nous, mais ne s’en prétend pas le maitre, le doute qui a fait le siècle des Lumières, le doute qui génère la recherche et engendre le progrès, le doute a mauvaise presse aujourd’hui.



Certes, beaucoup d’activités n’autorisent pas l’expression du doute. En politique, il doit diriger la réflexion, il ne doit pas justifier l’inaction. Mais il n’est pas contraire à la conviction, et ne doit pas abdiquer au nom de certitudes inquestionnables.



Sans le doute, pas de véritable responsabilité individuelle. Est-ce pour cela que les idéologies de certitude font tant d’adeptes, elles qui balaient le doute au profit du slogan dénonciateur? Au XXe siècle, des religions séculières ont fasciné des centaines de millions d’individus au prix de dizaines de millions de morts. Les sociétés totalitaires de certitude finissent par remplir les fosses communes.



La place du doute est essentielle dans le domaine de la religion. Le Grand Rabbin de France a rappelé que la tradition talmudique accordait au doute une valeur quasi spirituelle. Il aiguise les questions, il pousse au dialogue où l’autre apporte sa part de vérité, vérité plurielle qui peut transcender les cadres de la logique humaine.



En matière religieuse, la certitude est mortifère quand elle justifie la violence. Celui à qui le ciel ordonne de tuer, tue sans question et sans remords ; il aura sa récompense au paradis. Il sera un modèle. Les nihilistes de naguère étaient des hommes seuls, les kamikazes d’aujourd’hui sont traités comme des héros.



L’extrémisme islamiste a beaucoup tué, mais pas autant qu’il le désirait, grâce aux hommes qui dans l’ombre nous protègent. Je voudrais les remercier. Des attentats ont été déjoués, d’où la fausse impression que nous ne sommes pas en danger. L’attentat suicide récent de Stockholm prouve qu’on ne se protège pas en étant accueillant aux islamistes, mais en les combattant sans faiblesse.



Le fanatisme islamiste est responsable des crimes récents contre les communautés chrétiennes en Irak, au Pakistan ou contre les coptes en Egypte. Son message est clair : l’autre doit partir. Il n’a pas place en terre d’Islam, même si son installation remonte au fond des âges.



Il fabrique à son profit exclusif des lois, contre le blasphème et contre la conversion, qui envoient hommes et femmes à la mort. Sachons tous combattre cette nouvelle inquisition.



Le Hamas est un mouvement islamiste, totalitariste et terroriste. Il trouve aujourd’hui ceux qu’on appelait des « idiots utiles », c’est-à-dire de bonnes âmes promptes à s’indigner et faciles à manœuvrer. Ceux-là le considèrent comme un mouvement modéré, envoyant à contre cœur des roquettes sur Israël. Humaniste, en somme, le Hamas qui impose une Charia impitoyable, qui a éliminé ses opposants et dont la charte prône l’extermination des Juifs? De qui se moque-t-on?



Des mouvements terroristes islamistes, de l’Afghanistan au Niger en passant pas la Somalie et la Bande de Gaza, détiennent aujourd’hui neuf otages français : les époux Larribe, Thierry Dole, Pierre Alain Legrand, Marc Ferret, Hervé Ghesquières, Stéphane Taponier, Denis Allex et Gilad Shalit, ce dernier détenu par le Hamas depuis près de cinq ans, sans contact avec l’extérieur. Merci de ne pas l’oublier, merci de ne pas les oublier.



Dans une ambiance politiquement correcte, l’âpreté de la polémique fige les positions et interdit le dialogue. C’est alors le public qu’il faut convaincre, plutôt que l’interlocuteur. Encore faut-il que les arguments soient dignes et que le théâtre de la confrontation d’idées soit neutre. Est-ce toujours le cas ? Je pense que non.



Il y a une forme de certitude qui fleurit aujourd’hui, c’est l’idéologie des bons sentiments. Sans remise en cause possible, sans passage au crible du doute, ces bons sentiments fabriquent des jeux de rôle. Il y a les bons et les méchants. Ceux qu’il faut soutenir et ceux qu’il faut combattre.



Est-il aujourd’hui possible de dire que l’antisionisme est souvent le camouflage d’une nouvelle judéophobie ? On peut en douter quand le livre de Pierre André Taguieff « Nouvelle propagande anti-juive », a rencontré un silence total dans le monde médiatique et universitaire. Son tort est-il de ne pas dire assez de mal du sionisme et d‘Israël ?



Est-il possible de rechercher, sans être traité d’extrémiste, la vérité sur l’affaire Al Dura qui a entrainé une vague de haine contre Israël et de violences contre les Juifs ? Je refuse malgré tout d’en douter. Je réitère ma demande de constitution d’une commission d’enquête pluraliste et impartiale. En le faisant, je suis sûr de défendre l’idée même d’honnêteté qui est à la base de la liberté de la presse.



De façon plus générale, je pense qu’il faut en finir avec les présentations manichéennes et ne pas craindre d’affronter la complexité du réel. Le temps où il était plus glorieux d’avoir tort avec Sartre que d’avoir raison avec Aron doit être révolu aujourd’hui.



Si la vérité reste voilée, le mensonge existe et doit être combattu. Au nom de quoi ? Au nom de phrases symboliques qui disent l’utopie humaine. C’est « aimer son prochain comme soi-même ». Ou plus simplement, « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits». Le rejet de ces phrases conduit rationnellement au génocide. C’est par leur absolue généralité que nos valeurs sont universelles. Nous devons tous les défendre avec acharnement.



La Shoah n’est pas qu’un fait d’histoire, elle illumine de sa lueur blafarde le territoire de nos interdits. Elle éclaire l’homme dans son indifférence, sa malléabilité et sa surdité grégaire, mais aussi dans sa liberté d’héroïsme. Elle éveille et elle alerte. Elle oblige à penser, notre époque pousse à zapper.



Les responsabilités sont complexes. La SNCF, qui s’est engagée fortement à dévoiler toute son histoire, est un exemple de ces ombres et lumières entrelacées. Nous soutenons sa démarche.



L’enseignement de la Shoah est exemplaire en France. Il s’appuie sur des expertises nombreuses, des convictions fortes, des soutiens fidèles et des lieux de mémoire remarquables auxquels il faut garder les moyens de leur développement.



Mais cet enseignement reste à défendre : plus que l’éloignement des survivants, plus que la lassitude ou le négationnisme, ce qui le menace, c’est le relativisme. « Puisqu’on parle de la Shoah, pourquoi ne pas parler aussi du génocide de Gaza ? ». Ce mensonge anéantit le travail de mémoire et fait germer la haine.



Le relativisme affaiblit le sens des mots, il permet tous les amalgames. Les Juifs en sont les cibles, comme si on voulait retourner contre eux la mémoire de la Shoah. La mystification est ignoble, elle pervertit le raisonnement.



Relativisme dans le cas Céline. Il a appelé à exterminer les Juifs mais il est proposé à la célébration nationale car ce qui importerait, dit-on, est qu’il était grand écrivain. Le général de Gaulle, lui, avait refusé la grâce de Brasillach justement parce qu’il écrivait bien. Il était donc plus responsable.



Le discours du Vel d’Hiv de 1995 interdit d’honorer Céline aujourd’hui. Ceux qui nous accusent de pressions communautaristes ont une vision déformée des valeurs de notre pays, ou une détestation telle des Juifs que tous les moyens sont bons pour l’exprimer. Qu’on lise Céline oui, qu’on l’étudie oui, mais qu’on le donne en exemple, non!



Le relativisme exploite la galaxie Internet: documents mélangés, erreurs non corrigées, responsabilité non assumée, tout est comparable et chacun ajoute ses approximations. Plus important que jamais, le travail du journaliste. Il évalue ses sources, fait le tri et garde le recul sur l’événement.



Monsieur le Président de la République,



Vous déployez beaucoup d’efforts pour un engagement politique actif et équilibré de la France au Proche Orient. Nous y sommes sensibles.



Israël, seul Etat démocratique de la région, est aussi le seul Etat au monde publiquement menacé dans son existence.



L’image que l’on donne d’Israël est injuste : ce pays affronte une nouvelle guerre, qui distord le droit, s’appuie sur des rapports biaisés et manipule les opinions publiques. Le boycott commercial est un élément de cette guerre ; c’est une méthode discriminatoire, illégale et stupide, qui ne cible que des agriculteurs israéliens installés dans les frontières d’avant 1967 et des agriculteurs de Gaza, qu’il prive de leur seul moyen de subsistance.



En réalité l’objectif du boycott est politique : diffuser peu à peu l’idée qu’Israël est illégitime, ou, ce qui revient au même, lui interdire les moyens d’assurer sa sécurité.



Les négociations israélo-palestiniennes sont aujourd’hui dans l’impasse. Je le regrette. Je suis conscient du malheur palestinien et du désir de la plus grande partie de sa population, comme celle de la population israélienne, de vivre en paix. J’espère que le conflit trouvera une issue rationnelle dont les contours sont d’ailleurs connus, avec la reconnaissance de deux états, celui du peuple juif et celui du peuple palestinien, et la fin d’une éducation à la haine dont le poison persiste à long terme.



Je suis sioniste. J’ai connu les jours de mai 67 où Israël, entouré d’ennemis et lâché par plusieurs de ses amis paraissait voué à la disparition. Je vois aujourd’hui la transformation de son environnement géopolitique. L’Iran exerce sa suzeraineté sur la Syrie et le Liban, où le Hezbollah vient de mettre la population sous sa coupe. L’Iran cherche à s’imposer en Irak, avant de menacer les monarchies du Golfe. L’Iran domine le Hamas, crée des ponts avec les Frères Musulmans en Egypte ou au Qatar et s’ouvre des espaces en Amérique du Sud.



Il se prépare au chantage à l’apocalypse nucléaire qui annoncerait pour certains la venue du Mahdi. La lucidité et la fermeté de la France sont plus utiles que jamais et nous espérons que les autres démocraties ne seront pas tentées par un comportement munichois.



Ce que les ennemis d’Israël ne voulaient pas admettre en 1967, à savoir l’existence d’un Etat où les Juifs ne se retrouvent pas dans un statut de minorité, est-ce qu’aujourd’hui Ahmadinedjad, Nasrallah et Khaled Mechaal seraient prêts à l’accepter ?



La réponse est non.



Elle ne dépend pas de l’arrêt des constructions, du nombre de checkpoints ou du tracé des frontières. Cette réponse est métaphysique: pour eux il ne peut pas y avoir d’Etat juif en terre d’Islam. La modération de tel ou tel dirigeant palestinien ne pourra pas s’exprimer avant que ne se relâche l’emprise des islamistes qui le dénonceront à la moindre de ses concessions. Entre-temps, nul n’a le droit d’exiger d’Israël qu’il se suicide.



La focalisation sur la question palestinienne au détriment de toutes les détresses du monde, les mensonges qui font croire que Gaza est un camp de concentration, le prêt à penser qui fait du conflit israélo-palestinien la source des malheurs de cette planète en disent plus sur nos capacités d’aveuglement que sur la réalité de ce conflit.



Le Sud Soudan accède à l’indépendance : il a subi une guerre de vingt deux ans avec 2 millions de morts et 4 millions de déplacés. Qui avait protesté? Et qui s’est indigné pour le Darfour voisin, 400 000 morts ? Pas l’ONU en tout cas, ces Nations Unies dont le Conseil des Droits de l’Homme avait nommé la Libye à sa présidence, qui ont choisi l’Iran pour défendre les Droits des Femmes et qui s’apprêtent à célébrer avec pompe, sans même que nous protestions, le dixième anniversaire d’une Conférence de Durban où la haine d’Israël s’était exposée de façon ignoble.



Depuis près de 3000 ans, les Juifs, où qu’ils fussent, ont cherché Jérusalem dans leurs prières quotidiennes. Elle est leur capitale et leur espoir, leur royaume et leur consolation. Aucune ville n’a de lien aussi fort avec un peuple que Jérusalem n’en a avec le peuple Juif. Ils furent chassés, parfois massacrés. Ils en ont toujours rêvé ; ils y sont maintenant revenus. Jérusalem est unifiée et nous espérons qu’elle le restera, car seule la souveraineté israélienne a permis le libre exercice des trois religions monothéistes.



Monsieur le Président de la République,
Permettez-moi au terme de cette intervention de saluer ici ceux qui cette année encore ont donné leur temps et leurs talents pour faire vivre le CRIF. Chacun comprend que face à la situation que je viens d’évoquer, nous avons besoin d’une institution qui rassemble et fédère. Le CRIF le fait sans considération politique, culturelle et religieuse. C’est un lieu de confrontation d’idées, un outil de riposte, une maison ouverte à tous les Juifs. Une maison française qui bat au cœur de la République.



Monsieur le Président de la République,



Il fut un temps où les Juifs disaient « Heureux comme Dieu en France ». Ma conviction, c’est que malgré nos inquiétudes, nous pouvons toujours le dire aujourd’hui.



Richard Prasquier
Président du CRIF
Photo : © 2011 Erez Lichtfeld