Le CRIF en action
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Publié le 18 Juillet 2011

Edwige Elkaim : Un pays se grandit quand il porte un regard sans complaisance sur les pages sombres de son passé

Le discours de la présidente du CRIF-Grenoble Isère, dimanche 17 juillet 2011, à l’occasion de la journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites et d’hommage aux justes de France.




Mes chers Enfants, c’est à vous, que je souhaite spécialement m’adresser aujourd’hui :



Elle s’appelait Susi, Suze Feldsberg.
D‘elle, il nous reste aujourd’hui : une photo et un cahier d’écolière : le cahier de Susi.
Un cahier très bien tenu, couvert de sa belle écriture soignée et de jolis dessins colorés, dont elle a illustré ses textes à l’orthographe impeccable.



Susi est une bonne élève.
Elle a 11 ans et n’avait jamais entendu parler français avant ses 8 ans : elle vivait à Vienne, en Autriche, avec sa petite sœur Elise, sa maman Frida et son père Armin.
Elle aimait alors parler en Allemand avec ses amis. Cette langue, qui lui semblait douce et harmonieuse, était soudain devenue brutale et haineuse, depuis que les soldats d’Hitler la vociféraient dans les rues de sa ville, envahie le 12 mars 1938.



Ceux là, n’aimaient pas les juifs, c’est certain.
Et leur veulent du mal.
Elle le devine, ses parents le savent.



D’abord, il faut sauver les enfants : Elise et Susi iront à Middelkerke, en Belgique, avec d’autres enfants juifs en pension, dès Janvier, le temps pour les parents de rassembler les pauvres affaires qu’ils pourront préserver, pour tenter de rebâtir une vie libre.



Mais la guerre est déjà là : les soldats d’Hitler ont envahi la Pologne, le 1er Septembre.
La France et l’Angleterre veulent résister, mais le 10 mai 1940, l’attaque de la Belgique par les Hitlériens est irrésistible et submerge tout.
Ils sont à Paris le 14 juin et le 22, la France cesse le combat.



En dehors de la zone sud, toute la France est occupée, et le Président de la République a cédé ses pouvoirs au Maréchal Pétain.



C’est dans cette zone Sud que les Feldsberg viennent chercher refuge, à Lafitte, dans le Lot, à la ferme de Bordeneuve, où la famille Morichon les accueille et les cache.
Les parents travaillent, Elise et Susi vont à l’école.
Une vie presque retrouvée…
Et les pages du cahier de Susi se remplissent de son écriture régulière et de ses jolis dessins, au fil des devoirs.
Susi est fière de ses bonnes notes, que lui valent ses efforts.



Elle aime regarder la signature de son père, Armin, et celle de son instituteur, Monsieur TEYSSIER, à côté d’un 7/10 assorti de l’appréciation pour le mois de juin 1942 :
« Assez Bon devoir »…



et puis des pages blanches, des pages désespérément vides…



Deux mois après sa dernière rédaction, le 26 Août 42, les Feldsberg sont arrêtés par la police collaborationniste de Vichy, puis livrés aux Nazis.
Susi sera déportée et assassinée à Auschwitz Birkenau II avec sa sœur Elise, 9 ans, sa mère Frida et son père, Armin.
Après avoir été gazés dans le Bunker 1 ou 2, la famille Feldsberg a été précipitée dans les fosses communes, située au fond du Camp de Birkenau.



De leurs vies brulées, il ne subsiste rien !



Rien, si ce n’est un document administratif retrouvé, faisant mention que les pauvres biens spoliés de la famille Feldsberg ont été vendus, par leurs persécuteurs, le 28 janvier 1943…



Rien, si ce n’est le cahier de Susi, précieusement conservé par son camarade Jean Morichon, qui allait en classe avec elle et gardait la secrète espérance, que de nouvelles pages de ce cahier inachevé s’écriraient un jour…



Comme il avait raison !...
Car, c’est à vous, les enfants qu’il appartient, aujourd’hui, de devenir des amis de Susi et de sa famille, comme l’ont été les Morichon – de toutes leurs forces.



La mémoire de la Shoa ne peut se transmettre, autrement que par l’expérience sensible.



L’inimaginable projet criminel élaboré et poursuivi par les Nazis et leurs complices, d’anéantir tous les juifs d’Europe durant les années noires, demeure, VER TI GI NEU SE MENT, incompréhensible à l’entendement humain.



Aujourd’hui, comme il y a 69 ans – durant le cruel été 1942 – doit s’imposer à nous le souci de ce qu’il advient, de l’autre :
« Chercher à savoir, devient un devoir, quand les petits Zilberman, commencent à manquer la classe », ainsi que l’avait ressenti le jeune Bertrand Poirot-Delpech, alors élève au Lycée Louis Legrand.



Susi aurait aujourd’hui 80 ans, et serait probablement une jolie et gentille grand-mère, aimée des siens et de tous, si sa vie d’enfant n’avait été détruite, au seul fait qu’elle était née juive.



Avec elle et avec Elise, sa petite sœur, ce sont 11400 autres enfants qui ont été déportés de France entre 1942 et 1944, auxquels nous devons, avec Serge et Beate KLASFELD, restituer en plus d’une identité, un visage et une histoire, que leurs bourreaux auraient voulu effacer, à jamais.



Guillaume Ribot,
talentueux photographe et intrépide journaliste d’investigation, qui a sillonné l’Ukraine aux côtés du Père Patrick Desbois, récipiendaire du Prix Louis BLUM, qui nous a révélé les effroyables secrets de la « Shoah par balle »,



nous donne aujourd’hui – avec le cahier de Susi, précieusement conservé par son grand’ oncle, Jean – un support nécessaire, pour relier nos cœurs, à ceux des innombrables enfants, dont les vies ont été saccagées, par la folie haineuse de l’antisémitisme.



Durant ces journées – honteuse pour la France – du jeudi 16 juillet et celle du vendredi 17 juillet 1942, ce sont 4115 enfants qui seront raflés dans Paris par la police de Bousquet- précédant même, les exigences de l’occupant nazi - pour être précipités au Vel d’Hiv devenu l’antichambre de la mort, avec 1129 hommes et 2916 femmes, leurs parents.



Ces mêmes journées, la police de Vichy, enchainait aussi à la Déportation, 1989 hommes et 3003 femmes, célibataires ou sans enfant, en les enfermant à Drancy.



Cette effroyable comptabilité de 13152 victimes ne remplit pas le plan macabre, qui prévoyait l’arrestation programmée de 27391 juifs étrangers, hommes, femmes et enfants, même si ces derniers étaient de nationalité française.



Suzi et sa famille seront le 26 Août 1942, avec 10500 juifs, raflés dans toute la zone sud, sous administration du seul gouvernement de Vichy.
Ces crimes d’Etat accomplis par un pouvoir sans légitimité, sont demeurés trop longtemps, un lourd secret de la mémoire française.



La France méritait mieux, et la reconnaissance du 16 juillet 1995 – exprimée par Jacques Chirac, Président de la République – a libéré notre mémoire blessée.



Loin de se déshonorer, un pays se grandit, quand il porte un regard sans complaisance, sur les pages sombres de son passé, permettant aussi de mettre justement en lumière, les héros de l’ombre, ces Justes de France, qui se sont mis au service du Bien et ouvert pour tous, la voie d’un avenir meilleur.



Tant que l’Homme reconnaitra dans l’autre son semblable, on ne saurait désespérer de l’avenir.
Tant que la France se reconnaitra dans celle qui est restée fidèle, pendant les années noires, aux valeurs qui fondèrent son identité, elle sauvegardera sa Liberté et la grandeur du pays des Droits de l’Homme



Cette année, l’émouvant musée mémorial des enfants du Vel d’Hiv, inauguré à Orléans, le 27 janvier dernier, en présence de Simone Veil, prolonge le nécessaire travail de mémoire, qu’il nous fallait ensemble accomplir.



Je souhaite que demain, le « Cahier de Susi », mis en lumière par Guillaume Ribot, apporte aux enfants de notre Académie de Grenoble, un précieux outil de connaissance, de la destinée des enfants martyrs de l’antisémitisme.



Une destinée tragique à laquelle les organisations juives de résistance comme l’O.S.E, le Comité Amelot, et les Justes de France, ont souvent réussi à en soustraire un grand nombre, mais que la complicité, l’indifférence ou la peur ont livré trop nombreux, hélas, à leurs bourreaux.




C’est le SS Werner Bost, qui se satisfait de cet effroyable constat que :
«Les peuples qui livrent leurs juifs abandonnent, avec eux, leur façon de vivre, déterminée par le faux idéal enjuivé de Liberté ».



Car le préjugé antisémite arase le remords.
Il autorise la férocité.
Il n’est pas anodin.
Il est de nouveau très présent dans nos cités, ainsi que nous le rappelle notre Président Richard Prasquier.



Et je pense avec lui, que cette commémoration, n’a pas de sens, si nous n’y pensons pas aujourd’hui.



Avec Paul Schaffer, Président du Comité Yad Vashem France, je veux ici réaffirmer, au nom du CRIF de Grenoble Isère, que :
« Dans un monde où les actes de haine, la confusion des valeurs, la diabolisation d’Israël se manifestent, le rappel des principes qui ont guidé les Justes d’hier s’impose, et exige de nous, de défendre la VERITE, la JUSTICE et la PAIX ».



Photo : D.R.