Une pensée pour le franco-israélien Gilad Shalit, otage prisonnier du Hamas depuis bientôt 4 ans et qu’aucune organisation humanitaire n’a pu visiter. « Il ya des moments où la mémoire c’est un nom, il faut que ce nom soit retenu ». (Alain Finkielkraut)
Je dédie mes paroles à ceux qui, vivants ou disparus, Henry BULAWKO, Zalman Brajer et tant d’autres (présents parmi nous aujourd’hui) ont répondu à la terrible obstination des nazis d’effacer toute trace de leurs crimes, en consacrant une grande partie de leur vie à témoigner de l’enfer qu’ils avaient vécu, à œuvrer pour que l’histoire de la Shoah soit connue et transmise.
Merci à vous, cher Président Prasquier, pour votre présence renouvelée parmi nous, qui témoigne de votre fidélité, de votre engagement sans faille pour les causes qui nous importent tant : le travail de mémoire et d’histoire et la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme et d’atteintes à la dignité de l’Homme.
Merci, Serge (Klarsfeld), pour votre travail exemplaire, que nous saluons tous.
Nous vivons dans un monde où l’instant est privilégié au détriment de la durée, où un évènement chasse l’autre, où des images d’une violence inouïe banalisent la barbarie, un monde du spectacle favorisant ainsi l’oubli des évènements passés, leur méconnaissance et l’absence de réflexion.
Pire, dans un monde ayant tendance à relativiser les valeurs universelles, un monde où le relativisme historique présente la Shoah comme un massacre parmi les autres, comme ceux que l’on regarde à la télé le soir et que l’on s’empresse d’oublier.
Or, si nous sommes ici, à Pithiviers, c’est que face à « l’immense désir d’oubli » (Georges Bensoussan), face à l’indifférence, à la négation, face à ceux qui veulent « tourner la page », nous sommes animés par le sentiment d’une dette à l’égard de ceux qui ont disparu, sans sépulture, animés par la volonté de connaître et de transmettre ce qui fut. Pithiviers (comme Beaune la Rolande) sont ces lieux de mémoire qui nous aident dans le chemin de la connaissance, qui sont la marque de notre fidélité envers ceux qui, comme l’a écrit Vladimir Jankélévitch, sont « ces innombrables morts, ces massacrés, ces torturés, ces offensés…Qui en parlerait si nous n’en parlions pas ? »
Car ce qui s’est accompli ici, comme à Beaune la Rolande, était le début d’un meurtre de masse sans précédent dans l’histoire de l’Humanité-la Shoah- l’anéantissement programmé d’un Peuple, d’une langue, de sa culture, et cela, dans le silence des nations, avec la complicité active de la France, du Régime de Vichy.
Pour connaître et transmettre cette Histoire, il nous faut prendre le temps de l’écoute, de la lecture et de la réflexion :
Ecouter la parole des survivants est fondamental, eux qui n’ont pas été écoutés après la guerre, car presque personne ne voulait les entendre ni même les croire. Il n’y avait pas de place pour le malheur des Juifs.
La voix des témoins-survivants s’affaiblissant, le rôle de l’historien est primordial : son travail rigoureux s’oppose à la tendance à l’oubli, car en « écrivant le passé, il met des mots là où, jadis, le silence prévalait. » (Georges Bensoussan). Il préserve la singularité de cette catastrophe où, contrairement aux massacres précédents, le projet démentiel fut d’aller chercher des Juifs aux 4 coins de l’Europe, les convoyer jusqu’au lieu de leur assassinat et les réduire en cendres pour effacer toute trace du crime : la destruction des Juifs était au cœur du projet nazi.
Le récit historique nous fait appréhender cette terrible vérité : la barbarie a coexisté avec le progrès technique dans l’une des nations les plus civilisées de l’Europe du XXème siècle.
Enfin, grâce aux oeuvres d’art, nous pouvons approcher une réalité que nous n’avons pas vécu car « il y a en effet un chemin qui permet le retour de l’imaginaire à la réalité, c’est l’ART »(Freud).
Je pense, en ce moment, à la littérature et au très bel ouvrage de Daniel Mendelsohn : « Les disparus », où l’auteur redonne un visage à ceux qu’il n’a pas connus, ces disparus qui deviennent le symbole d’une culture, d’une civilisation assassinée.
Une tâche difficile incombe à l’Ecole, aux enseignants : comment évoquer l’horreur absolue sans céder à un discours moralisateur, sans traumatiser ni désespérer les élèves, mais en leur donnant des clés pour déchiffrer le passé et engager l’avenir afin qu’ils deviennent des citoyens au « cœur intelligent » (Hanna Arendt).
Des Institutions ont mis en œuvre un travail de Mémoire et d’Histoire auquel les enseignants et toutes les personnes soucieuses de connaître ou d’approfondir leur savoir sur cette période tragique de notre Histoire peuvent se référer.
J’ai déjà évoqué la mission pédagogique de l’Association Yad Layeled France (en particulier, les séminaires annuels de formation à l’Histoire et l’enseignement de la Shoah au Kibboutz des combattants des ghettos en Galilée, Israël, à l’intention des enseignants européens francophones) et je rappelle, bien sûr, le travail historique et les réalisations du Cercil dans notre région. (voir les 2 expos présentées au lycée de Beaune la Rolande et les publications, dont la dernière : « Annette Muller, la petite fille du Vel d’Hiv).
Le travail d’Histoire que je viens d’évoquer est une nécessité absolue pour éclairer notre présent, d’autant plus que l’on assiste à un dévoiement inacceptable du discours sur la Shoah.
On assiste à une entreprise de déligitimation radicale, de nazification de l’Etat d’Israël : scandaleusement, la Shoah est devenue une arme idéologique contre Israël et le sionisme.
Comme l’a écrit l’historien Elie Barnavi, « le phénomène général est l’insoutenable légèreté dont on use et abuse du langage comme des analogies historiques, terrifiant mépris des mots et goût des comparaisons irresponsables…Cette effrayante banalisation de la Shoah a un nom : « négationnisme ». En effet, le négationnisme n’est pas uniquement la négation pure et simple du génocide ; en sa forme plus subtile, il consiste à lui assimiler tout et n’importe quoi… son application particulière à Israël lui confère une dimension proprement tragique ». Par exemple, le parallèle établi entre Gaza et Auschwitz : « on retourne contre les fils les crimes commis naguère contre les pères » (Elie Barnavi).
Pour terminer, petit rappel historique : les intentions criminelles d’Hitler avaient été formulées noir sur blanc, dans « Mein Kampf ».A l’époque, bien peu nombreux étaient ceux qui l’avaient pris au sérieux.
Le président iranien répète publiquement qu’il souhaite la disparition de l’Etat d’Israël. La négation de la Shoah qu’il profère servirait-elle à en préparer la répétition future ?
Si le geste que nous accomplissons ici, ce matin, a un sens, c’est bien un appel à refuser ces paroles et comportements pervers, à exercer notre jugement pour déceler toutes les formes d’antisémitisme, toutes les atteintes à la vérité historique, toutes les atteintes aux valeurs de la démocratie – liberté, égalité, fraternité, laïcité-qui sont le socle de notre nation.
Photo : D.R.