Le CRIF en action
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Publié le 19 Juillet 2010

Eliane Klein : «Face à tous les obscurantismes, il nous faut défendre les valeurs qui fondent notre République et notre Démocratie : Liberté, Egalité, Fraternité, Laïcité»

Eliane Klein, déléguée du CRIF région Centre, lors de la Journée Nationale à la Mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français et d’Hommage aux « Justes » de France, a introduit avec émotion son adresse à l’assistance nombreuse par un hommage à Gilad Shalit :




« Je dédie mes paroles à l’otage franco-israélien, Gilad Shalit, prisonnier du Hamas depuis 4 ans et qu’en violation des conventions internationales, ni la Croix Rouge, ni aucune organisation humanitaire n’a pu lui rendre visite.
Lors de la manifestation en sa faveur, à Paris, plus de 15.000personnes, parmi lesquels de très nombreux élus de toute tendance, ont réclamé sa libération. Pratiquement aucun média n’en a rendu compte.
En ce jour de commémoration officielle à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français et en hommage aux Justes de France, je pense aux mots du philosophe Vladimir Jankélévitch dans son ouvrage « l’imprescriptible » : « Le présent, c'est-à-dire la quotidienneté ambiante, nous assiège de toutes parts et ne cesse de nous convier à l’oubli des choses révolues… »



Face à la tentation de l’oubli, Jankélévitch défend le « devoir de mémoire ». Les morts, écrit-il, dépendent entièrement de notre fidélité… Ces innombrables morts,… ces offensés nous incombent ; ce sont nos célébrations qui les sortent du néant ».



La cérémonie qui nous réunit ici, chaque année, s’inscrit dans notre volonté de penser à tous ces disparus, sans sépulture, et de penser également à toutes celles et ceux qui ont eu le courage de résister à l’entreprise totalitaire des nazis et de leurs complices français, que ce soit par la résistance armée ou par tous les autres actes qui permirent de sauver des vies. Nous rendons hommage, aujourd’hui, aux « Justes des Nations », ces sauveteurs aux mille visages, ces hommes et ces femmes de toutes origines et de toutes conditions-souvent modestes, connus ou anonymes- qui, en bravant les risques encourus pour sauver des Juifs, témoignent que les étre humains ont d’autres options que la soumission à un régime criminel.



Notre geste s’inscrit non seulement dans la tradition juive nous enjoignant de nous souvenir, mais aussi dans la tradition républicaine de la France, empreinte du souci de justice, de vérité et de respect de la personne humaine.



Aussi, face à ceux pour qui il faut « tourner la page », je dis que cette page doit étre lue, apprise, comprise et transmise.



Dans notre Région, le Cercil accomplit depuis bientôt 20 ans un travail d’Histoire et de Mémoire exemplaire qui a permis à nos concitoyens et au-delà, à un large public et surtout à de nombreux élèves, de connaître la réalité de ce qui s’est passé dans ces camps d’internements du Loiret : Jargeau pour les Tziganes- dont le sort tragique n’avait pas ou très peu été évoqué jusqu’alors-, Pithiviers et Beaune La Rolande pour les Juifs.



Après la Rafle du Vel d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942 plus de 8.000 Juifs parmi les 13.00 arrêtés, dont plus de 4.000 enfants de 2 à 18 ans y furent internés avant d’être envoyés, directement ou via Drancy, à Auschwitz, pour y être assassinés.



Les témoignages et les nombreux travaux des historiens ont mis en lumière le rôle joué par le régime de Vichy comme auxiliaire actif de la politique génocidaire des nazis : la Rafle du Vel d’Hiv fut le point culminant de la politique antisémite mise en œuvre par le gouvernement de Pétain dès le 3 octobre 1940, par les décrets dits « Statuts des Juifs », lois de ségrégation, de spoliation, d’exclusion et d’internement qui menèrent à l’assassinat de plus de 76.000 Juifs de France.



Il convient de s’interroger sur le rôle joué par un grande partie des hauts fonctionnaires de Vichy, plus soucieux de leur carrière que de la portée de leurs actes, exécutant des ordres iniques, sans oublier (occulter ?) l’immense zone grise de la bureaucratie, des corps intermédiaires et de tous ceux qui, par indifférence, lâcheté ou haine antisémite, se sont rendus complices de la barbarie.



Ces interrogations s’inscrivent dans le travail d’histoire et de mémoire que j’ai évoqué plus haut ; travail exigeant, appelant à la réflexion sur les questions fondamentales que la Shoah et les autres génocides- du 20ème siècle posent à la conscience humaine.



Quel cheminement idéologique a pu mener au crime de masse ? Comment un Etat moderne a-t-il pu basculer dans la barbarie ?



L’histoire du Régime de Vichy illustre cette fragilité de la démocratie quand ses principes fondamentaux sont bafoués, quand on permet à des idéologies totalitaires de pénétrer l’espace républicain.



Or, nous assistons aujourd’hui, dans notre pays, à des phénomènes très inquiétants, comme des atteintes à la laïcité, des violences en milieu scolaire, un repli communautariste, bref, une certaine dissolution des règles du vivre ensemble.



La Commission Nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) a constaté une augmentation des violences racistes et xénophobes et, particulièrement, une hausse des actes et menaces antisémites depuis plusieurs années.



On voit, avec inquiétude, une instrumentalisation de la Shoah où, par une perversion du vocabulaire, l’Etat d’Israël est mis au ban des nations, nazifié : Un antisionisme radical relayé par certains médias, des partis politiques et des associations dites « humanitaires » camoufle une véritable haine antisémite.



Florence Taubmann, Présidente de l’Amitié judéo- chrétienne de France, écrit :



« Nous sommes scandalisés par le regain des clichés antisionistes…Attention que ce ne soit pas le sombre désir de communier dans la haine du bouc émissaire !..Il y a une étrange et dangereuse jouissance dans la haine, un plaisir morbide dans la parole qui dénonce, calomnie et finit par tuer ».
Aussi, face à toutes ces dérives, face à tous les obscurantismes, face aux atteintes à la dignité humaine, face au détournement de la vérité historique, il nous faut défendre les valeurs qui fondent notre République et notre Démocratie : Liberté, Egalité, Fraternité, Laïcité. »




Bernard Klein lit les témoignages des assistantes sociales et infirmières qui ont tenté d’alléger les souffrances des « raflés » du Vel d’Hiv :
« A partir du 17 juillet 1942, les milliers de femmes et d’enfants enfermées depuis plusieurs jours au Vel d’Hiv sont transférés dans les camps de P et BR, où rien n’a été prévu pour accueillir autant de monde, et surtout de si jeunes enfants (ils sont plus de 4000). Pour les internés, l’angoisse s’ajoute à un absolu dénuement.



Quelques assistantes sociales ou infirmières sont envoyées dans les deux camps par la Croix-Rouge, mais en nombre très insuffisant. Elles font tout ce qu’elles peuvent, mais, n’ayant aucun moyen pour nourrir, soigner, rassurer les internés, et surtout les enfants, elles sont réduites à l’impuissance.



Nous avons choisi cette année de vous faire entendre le témoignage de quelques-unes d’entre elles.



Marie-Louise Blondeau, jeune élève-assistante-sociale (elle a 19 ans), est envoyée à Pithiviers pour effectuer un stage. Elle arrive fin juillet 1942 et découvre l’enfer du camp où s’entassent, dans des conditions inhumaines, des milliers de femmes et d’enfants.
Elle écrit à sa mère le 29 juillet 1942 :



« … Ah l’arrivée, maman ! C’était un désordre inimaginable, un tableau pitoyable qui vous serrait le cœur : tant de bébés sur la paille ! C’est à peine si on pouvait encore pénétrer dans les baraques. Les femmes anéanties essayaient de s’installer dans cette pagaille où les enfants criaient, pleuraient. Certaines bousculaient tout le monde, se disputaient, essayant d’accaparer tout ce qu’elles pouvaient obtenir, d’autres pleuraient en silence. L’amour maternel ne pouvait supporter tant de souffrance. Chacune se débattait pour que son petit soit préservé. D’autres, vaillantes, donnaient l’exemple … Quelques femmes au début restaient obstinément dehors, refusant de se joindre au troupeau humain. Les gendarmes débordés n’avaient plus d’égards, les fourraient comme des bêtes dans les granges, sans pitié : elles refusaient d’entrer, demandant des conditions spéciales pour elles ou leurs petits (malades) … Le soir elles rentraient comme les autres, vaincues ! Il y avait des très petits, deux ans et demi, trois ans, qui butaient contre les grosses pierres calcaires du champ autour et tombaient le visage crispé, trop sérieux, tragiques, personne pour les consoler, ils reprenaient leur chemin… »



Adélaïde Hautval est médecin. Elle a été arrêtée pour avoir porté une étoile en papier, en signe de solidarité avec les Juifs : « Vous les défendez, lui dit-on. Vous partagerez leur sort ! ». Accusée du délit d’ « amie des Juifs », elle est internée au camp de Pithiviers, où elle restera jusqu’à sa déportation à Auschwitz, en 1943.
A Pithiviers, elle assiste au départ en déportation des mères :



« Le plus terrible des départs est celui du 2 août 1942 : on sépare les parents des enfants. Ces derniers doivent rester au camp. On se représente ce que cela signifie lorsqu’on sait qu’il y en avait 1200. Seuls les enfants au-dessus de quinze ans peuvent accompagner leur famille. Scènes abominables. On arrache de force les enfants aux parents. Une femme à moitié folle vient enlever son bébé malade à l’infirmerie. J’ai vu ce jour-là pleurer plus d’un gendarme. Ils devaient faire cesser les scènes de famille, chasser les gens hors de baraques. La plupart n’avaient guère le cœur à la tâche…
Ce qui paraît impossible arrive quand même. Dans l’après-midi, les mères sont dans le champ à l’extérieur du camp, et les enfants, avec des lamentations désespérées, s’agrippent à l’intérieur aux fils de fer barbelés, les regardant partir, inexorablement. »



Paule Fétiveau est une toute jeune élève-assistante sociale de 19 ans. Début août, elle s’est présentée à la Croix-Rouge : « Vous pourriez vous occuper d’enfants ? » lui demande-t-on. On l’envoie au camp de BR, elle arrive le 10 août:



« Je devais m’occuper d’une baraque où ils avaient mis les tout-petits. Je suis rentrée là-dedans. Il y avait plein d’enfants allongés sur de la paille, l’air abruti, qui ne disaient rien, qui ne pleuraient pas. Ou alors ils pleuraient, mais sans bruit : des fois je m’approchais d’un enfant silencieux et je m’apercevais qu’il avait des larmes qui coulaient…C’était horrible. Il y en avait tant, on était très peu, on n’y arrivait pas. Qu’est-ce qu’on pouvait faire ?… »



Annette Monod, elle aussi assistante sociale, assiste au départ d’enfants du camp de Pithiviers :



« …Nous arrivâmes à la gare où se trouvaient des sentinelles allemandes armées de mitraillettes. On fit monter les enfants dans les wagons de marchandises, les gendarmes portaient les petits car c’était très haut. A un moment, plusieurs enfants ont pris peur de se retrouver dan ces wagons sombres et se sont mis à m’appeler, moi et d’autres assistantes sociales : « Mademoiselle, mademoiselle, je veux descendre ! » Je me souviens notamment d’un petit auquel je m’étais attachée, Jacquot. Certains appelaient même des gendarmes. La porte refermée, Jacquot m’appelait encore. Une main, glissée entre deux planches, s’agitait. C’était peut-être la sienne. En passant, l’adjudant qui avait un peu avant interdit au gendarme d’aider les enfants, frappa sur cette main pour qu’elle rentre. »



Les milliers d’enfants internés à P et BR sont ainsi embarqués dans des convois qui, après avoir transité par Drancy, partent vers Auschwitz-Birkenau. Aucun de ces enfants ne reviendra. »



Photo : D.R.