« Quel rapport y –a-t-il entre ce petit rassemblement de fidèles qui maintiennent à bout de bras un passé déjà presqu’oublié, et ces promeneurs que l’on croise dans la rue ? Les printemps succédant aux printemps finiront-ils par rendre l’horreur tout à fait irréelle ?
A cette question, je veux répondre que face à l’oubli, face à la fragilité de la mémoire, le geste que nous accomplissons ici, chaque année, est le signe de notre volonté de penser à tous les disparus, sans sépulture, et de penser aussi à toutes celles et ceux qui ont eu le courage de résister à l’entreprise totalitaire des nazis et de leurs complices, que ce soit par la Résistance armée ou par tous les autres actes qui permirent de sauver des vies.
Nous rendons hommage, en particulier, aux « Justes des Nations », ces hommes et ces femmes de toutes conditions-souvent modestes- qui, en bravant les risques encourus pour sauver des Juifs, témoignent que les êtres humains ont d’autres options que la soumission à un régime criminel.
A ces femmes et ces hommes, souvent anonymes ou inconnus, je dis merci.
Notre geste s’inscrit non seulement dans la tradition juive nous enjoignant de nous souvenir, mais dans la tradition républicaine de la France, empreinte du souci de justice, de vérité et de respect de la personne humaine.
Aussi, face à ceux pour qui il faut « tourner la page », je dis que la page doit être lue, apprise , comprise, pour être transmise.
Dans notre région, le CERCIL, Mémorial des enfants du Vel d’Hiv,(maintenant installé dans ses nouveaux locaux, rue du Bourdon blanc), a mis en œuvre un travail d’Histoire et de Mémoire exemplaire, destiné aux enseignants, aux élèves et à tous ceux qui désirent savoir ou approfondir leurs connaissances sur ce que la philosophe Hannah Arendt a décrit comme « l’enfer construit par les nazis, une césure dans l’histoire de la civilisation ».
Car ce qui s’est passé là, si près de nous, est l’un des épisodes les plus tragiques de notre histoire : la collaboration du Régime de Vichy à un crime sans précédent : la Shoah.
Les témoignages et les travaux des historiens ont mis en lumière le rôle joué par une grande partie des hauts fonctionnaires de Vichy, plus soucieux de leur carrière que de la portée de leurs actes, exécutant des ordres iniques, sans oublier l’immense zone grise de la bureaucratie, des corps intermédiaires et de tous ceux qui, par indifférence, lâcheté ou haine antisémite, se sont rendus complices de la barbarie.
Toutes les mesures prises par ce Régime signèrent la faillite de la démocratie et d’une certaine idée de l’Homme :
La rafle du Vel d’Hiv fut le point culminant de la politique antisémite mise en oeuvre par le gouvernement de Pétain dès octobre 1940, par les décrets dits « Statuts des Juifs », lois de ségrégation, d’exclusion, de spoliation et d’internement qui préfiguraient la tragédie de l’année 1942. Ces statuts indignes qui faisaient de mes parents des étrangers dans le pays qui les avait accueillis et leur avait accordé la citoyenneté française.
A l’heure où nous vivons des temps précipités, médiatiques, où une image chasse l’autre, des temps où l’ignorance ou la malveillance conduisent à des dérives, des amalgames, des parallèles ineptes, à l’heure des appels démagogiques à l’ « indignation » sélective, à l’émotion brute, il faut prendre le temps de l’étude rigoureuse et de la réflexion.
Réflexion sur les questions fondamentales que la Shoah et les génocides du 20ème ( et 21ème) siècle posent à la conscience humaine.
Comment en est-on arrivé là ? Quel cheminement idéologique a pu mener au crime de masse ? Comment des Etats démocratiques ont-ils pu consentir au pire ?
L’histoire du régime de Vichy illustre cette fragilité de la Démocratie quand ses principes fondamentaux sont bafoués.
Aussi , il nous incombe, au nom des principes universalistes dont nous nous réclamons, de combattre toutes les dérives, les violences, les atteintes aux libertés, à la laïcité, bref, à toutes les valeurs qui fondent notre République pour qu’aucune idéologie totalitaire ne pénètre notre espace républicain.
(Discours prononcé à Orléans le 17 juillet 2011)
Photo : © 2011 Alain Azria