Le CRIF en action
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Publié le 25 Avril 2006

Emouvante cérémonie du Yom HaShoah

La communauté juive de France s’est rassemblée pour la cérémonie de lecture des noms des Juifs déportés de France. Devant le Mur des Noms au Mémorial de la Shoah, plusieurs personnalités étaient présentes notamment Simone Veil, présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, et Roger Cukierman, président du CRIF.


"Nous avons refusé que les victimes restent anonymes, a déclaré Serge Klarsfeld, président des Fils et filles de déportés juifs de France.
"Pour que l'histoire ne se répète pas, pour que la France soit la France que nous aimons, généreuse, tolérante, il faut qu'elle maintienne les valeurs de la République dans une condamnation sans faille du racisme et de l'antisémitisme", a souligné Roger Cukierman.
A la lueur de six bougies allumées par des enfants, des descendants de déportés de France ont commencé à égrener des noms de victimes. Cette lecture publique des noms, ininterrompue nuit et jour durant près de 24 heures, est organisée chaque année depuis 1990 à l'initiative du Mouvement juif libéral de France (MJLF), en commémoration de la Shoah.
Vous pouvez lire ci-dessous, l’intervention de Roger Cukierman :
Allocution de Roger Cukierman, Président du CRIF
J’avais six ans. C’est un âge qui ne laisse pas beaucoup de souvenirs.
- Mais j’ai dans l’oreille le souvenir du bruit des bottes allemandes frappant au pas cadencé les pavés de la ville de Nice.
- J’ai le souvenir de notre départ précipité de l’appartement de la rue de France un matin où ma mère venait d’apprendre chez le boulanger que la moitié de l’immeuble avait été raflée pendant la nuit.
- J’ai le souvenir de ma mère me disant que si la police arrivait dans notre nouvel appartement je devais lui dire au revoir madame et partir en courant.
- J’ai le souvenir de mon père m’amenant chez les bonnes sœurs qui allaient me cacher, et me disant que je m’appelais désormais Roger Fabre.
- J’ai le souvenir de la gifle que j’ai reçue parce que je lui disais à lui, mon brave père, et en confidence, que mon vrai nom était Roger Cukierman.
Notre petit noyau familial a eu la chance de survivre. Mais tout le reste de la famille resté en Pologne a disparu. Un jour d’octobre 1942, les 8.000 juifs du shtetle Ozarow ont été réunis sur la place du village devant la synagogue. Ils ont été tous embarqués en direction de Treblinka. Et de là, ils ont disparu, sans laisser la moindre trace.
Parmi eux, mes grands parents, mes oncles, mes tantes, mes cousins, mes cousines que je n’ai pas connus, qui sont pour moi des sans visages. La mémoire de mes racines m’a été volée. Qui ne peut se souvenir des visages, des lieux, des sons, des odeurs est un orphelin de la mémoire.
J’ai visité ce shtetle de Pologne que mon père avait quitté dans les années trente pour fuir l’antisémitisme et la misère, et pour rejoindre le pays des droits de l’homme. J’ai vu un village intact, des maisons, des hommes, des femmes. Il y avait le cadre mais l’âme manquait. Ma capacité d’imagination était insuffisante. Comment retrouver dans ce cinéma la synagogue de mes parents ? Et dans ces murs froids, la vie des êtres chers ?
L’émotion n’est venue que le lendemain, à quelques centaines de kilomètres, dans ce lieu appelé Treblinka, devant une simple pierre parmi d’autres, sur laquelle était gravée simplement le mot Ozarow, ce shtetle effacé de l’histoire des hommes. Devant cette pierre, ma fille Orlika a chanté en hébreu une chanson de Bialik. Et là, devant cette pierre, sont apparus ces grands parents, oncles, tantes, cousins. Et nous avons tous pleuré...
Les Juifs de France ne furent pas épargnés. Le gouvernement de la France de Pétain collabora avec les Nazis, transforma les Juifs en gibier, et livra les Juifs à un destin fatal.
Et parmi eux, tant d’enfants qui auraient pu enrichir l’humanité en poètes, en savants, et en gens ordinaires. Des enfants qu’on a tué, comme on a tué les enfants et petits enfants, qu’ils auraient eus.
Dans trente ans, dans cinquante ans, il n’y aura plus de survivants pour témoigner. Nous qui sommes les miraculés de l’horreur de la Shoah, nous avons le devoir de suivre l’exemple de ceux qui, comme Simone Veil, Henri Bulawko, ou Serge Klarsfeld, se battent pour maintenir vivant le souvenir de nos martyrs.
Je suis devant vous parce que je tiens essentiellement à ce que mes enfants, mes petits enfants et mes arrières petits enfants restent juifs. Pour que chacun d’eux perpétue les valeurs du judaïsme et contribue à la défaite des objectifs poursuivis par Hitler.
Si les deux tiers des juifs de France ont survécu, c’est que de nombreux Français ont aidé les Juifs au péril de leur vie. Comment oublierai-je jamais les bonnes sœurs qui ont caché l’enfant que j’étais, et m’ont sauvé la vie, au risque de la leur ?
Ces voix isolées venant d’horizons chrétiens ou laïcs, souvent modestes, ont montré la voie de la dignité.
Pour que l’histoire ne se répète pas, pour que la France soit la France que nous aimons, généreuse, tolérante, il faut qu‘elle maintienne les valeurs de la République dans une condamnation sans faille du racisme, et de l’antisémitisme.
Le spectacle de violence que nous offre le début de ce millénaire montre que les forces de haine se déchaînent sous leur forme la plus dangereuse, celle du fanatisme religieux.
Cet intégrisme dévoyé menace les Juifs. Il menace le valeureux Etat d’Israël, qui est notre fierté, et sans lequel nous ne pourrions vivre. Il menace le reste de l’humanité.
Les valeurs morales que le judaïsme défend sont celles sur lesquelles le monde civilisé s’est créé.
Nos parents déportés n’ont pas eu sépulture sur laquelle nous puissions nous recueillir.
Les déportés assassinés ont été privés de ce droit élémentaire.
Leurs cendres se sont envolées à jamais. Et ce droit qu’on leur a volé devient pour nous un devoir, le devoir de rappeler tous ces noms qu’on ne peut lire que dans des lieux privilégiés tels ce Mémorial si précieux.
Il faut témoigner, il faut sortir ces morts du silence de l’oubli.
Que l’ombre de nos martyrs protège nos enfants et l’Etat d’Israël !