Le CRIF en action
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Publié le 25 Mai 2011

Emouvante cérémonie en hommage aux 260 enfants déportés de l’Ecole Hospitalières Saint-Gervais

« Mon métier est de vous apprendre à vivre »…




Lundi 23 mai 2011 se sont rassemblés sur le parvis de l’Ecole située au cœur du Marais, autrefois le Pletzl, des dizaines de personnes pour rendre hommage aux 260 enfants juifs déportés. Cette cérémonie s’est déroulée en présence de la Maire du IVe, Dominique Bertinotti, entourée d’Elus municipaux, dont Julien Landel, délégué à la Mémoire.



Après les paroles introductives de Milo Adoner, enfant de cette école, qui sera par la suite déporté dans les camps d’exterminations, la parole a été donnée au directeur de l’école, M. Hattu, qui a exprimé son émotion face à ce moment tragique de l’histoire que constitua la déportation d’élèves juifs, dont les noms figurent sur les plaques commémoratives. Milo Adoner a, ensuite, apporté le témoignage sur les enfants ayant fréquenté cette école : Lucien Finel (ancien Maire du IVe), Prof. Ady Steg et Henry Bulawko (déporté quelques années plus tard à Auschwitz). Il a rappelé que l’Ecole des Hospitalières Saint-Gervais, qui était un lieu symbolique, avait pour directeur Joseph Migneret, devenu Juste parmi les Nations en sauvant des familles juives de la déportation. Milo Adoner, en exprimant le souhait d’un grand nombre de voir l’école porter le nom de Joseph Migneret, a rappelé la devise du Maître envers les enfants : « mon métier est de vous apprendre à vivre ! » Le directeur de l’école fut bouleversé d’apprendre, à la Libération, de la bouche de Milo, que toute sa famille fut exterminée. Après le témoignage apporté par Evelyne Zarka, adjointe aux affaires scolaires, ce fut le tour de Madame la Maire, Dominique Bertinotti, d’évoquer à travers trois lettres le désarroi des enfants forcés de revêtir une autre identité pour pouvoir survivre. La Maire du IVe a rappelé que les premières plaques à la mémoire des enfants juifs déportés furent apposées sur le frontispice de l’école en 1971. Le dévoilement des plaques a été suivi de la lecture des noms par les élèves de l’école. Parmi les personnalités étaient présents, le Rabbin Olivier Kaufmann ; le Commissaire de police du IVe ; M. David, au nom du Mémorial/CDJC ; Noël Veig, président des COMEJD ; les membres du Comité Joseph Migneret et des Fils et Filles des Déportés Juifs de France. Le Président du CRIF, Richard Prasquier était représenté par Claude Hampel, prés. de la Commission du Souvenir.



Allocution de Dominique Bertinotti – Maire du 4e arrondissement – 23 mai 2011
Ecole Hospitalières Saint Gervais – pose de plaques commémoratives.



« Je souhaite rappeler que la première plaque commémorant la déportation des enfants de l’école des Hospitalières Saint-Gervais a été posée sur l’école par la Ville de Paris en mai 1971. Ces cérémonies sont toujours d’une grande émotion. Mais celle qui nous réunit maintenant revêt une dimension un peu particulière, car les plaques que nous dévoilons aujourd’hui comportent les noms et prénoms de l’ensemble des enfants ayant fréquenté l’école et qui ont été arrêtés, déportés et qui ne sont pas revenus des camps nazis.



Je tiens à saluer l’immense travail collectif qui a été accompli particulièrement par l’ensemble des membres du Comité Migneret et qui nous permet aujourd’hui de remettre un nom sur chacun des 260 enfants morts en déportation. Ces plaques permettent de leur redonner une identité que leurs tortionnaires avaient voulu leur ôter. En effet ces plaques nominatives permettent de rendre de nouveau ces enfants visibles dans l’espace public qu’ils fréquentaient, au cœur même du 4e arrondissement. Car avant la guerre, ce quartier, même s’il s’agissait d’un quartier plutôt pauvre, se caractérisait par son côté humain et familial, Et les enfants, qui étaient tout comme vous jeunes enfants présents aujourd’hui, aimaient parcourir ses rues, y jouer, y aller à l’école, y sortir, ils y ont pleuré, ri, ils s’y sont amusés… Le temps de la guerre est venu balayer tout cela.



Rien n’est pire que d’imposer à un enfant le changement de son nom, de son prénom, et c’est à ce titre que j’aimerais vous faire partager les témoignages d’enfants qui ont survécu mais qui ont été confrontés à un changement imposé de nom. Or qu’avons-nous de plus personnel, de plus singulier que notre nom ?



Liliane nous raconte son expérience : « Avant que je rentre à l’école, on m'a fait une ''leçon d’identité'' et on m’a dit : ‘’Tu ne t’appelles plus Goldberg, tu t’appelles Page, Lily Page.’’ J’ai essayé d’intégrer ça. Je me suis retrouvée dans une salle de classe. J’étais déjà une petite fille objetisée, chosifiée. … Et l’instituteur a fait l’appel, il a donné plusieurs noms. A chaque fois, il y avait un aller-retour, un nom et puis une réponse « Présent ! » ou « Présente ! ». Et à un moment donné, j’entends un nom avec insistance, personne ne répond, encore une fois, personne. Et subitement, illumination, c’était moi. On appelait « Page ». Et d’un seul coup j’ai levé le doigt comme si on me réveillait et j’ai dit : « C’est moi » avec l’impression d’avoir échappé à quelque chose d’horrible. »



La petite Margot livre un témoignage très dur : « Le 18 décembre 1942, je suis baptisée catholique en l'église Saint-Sauveur de Figeac. C'est moi-même qui signe au bas du certificat de baptême : Marguerite – c'est un prénom nouveau puisque je m'appelle Margot. Ma mère est présente. J'ai presque 7 ans et demi. Quelques jours plus tard, il faut changer d'école, pour des raisons de mort, d'arrachement, de déportation, c'est ce que me dit ma mère et je dois changer de nom de famille : ce n'est plus Cerf mais Cordier ; je ne crois pas un mot de ce que dit ma mère. Je la crois incapable de me protéger, elle a peur, elle m'abandonne, elle ne me veut plus».



Enfin je voudrais vous livrer un des témoignages les plus forts, celui de Simone : « Ne pas remuer, ne pas se montrer. Je suis caméléon, je change de couleur, de forme ; je suis comme une plante qui, pour sa survie, prend la couleur, la forme de son milieu. Je suis l’eau qui dort ; je suis ce mouvement circulaire qui n’a pas de fin, je suis l’éternité, je suis Mélisande, l’inexistence, le presque rien. Pourquoi remuer, pourquoi tempêter ? Vanité des vanités ! L’univers revient toujours au même point. Alors ma défense suprême : l’immobilité. Je suis un meuble, un pied de piano. Je suis cachée sous le piano à queue, immensité des immensités. Assise sur mon petit banc, je vogue au gré des mouvements lents et furieux du piano, écoutant battre mon cœur. »



Soyons extrêmement vigilants pour que plus jamais des enfants n’aient à subir cette négation de leur identité. Il faut donc honorer sans cesse leur mémoire, lire leurs noms et leurs prénoms, une façon de les faire revivre en dépit d’un destin brisé par la barbarie nazie. »



Photo : D.R.