Le CRIF en action
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Publié le 18 Mai 2010

La Commission d’études politiques du CRIF, présidée par le Pr Raoul Ghozlan, a reçu Dominique Schnapper sur le thème: «Identité citoyenne et intégration : est-ce qu’on peut parler d’un modèle juif ?»

PRESENTATION DE DOMINIQUE SCHNAPPER

Dominique Schnapper est directrice d’études à l’EHESS. Elle est l’auteur de Juifs et Israélites (1981), et de nombreux ouvrages portant sur la sociologie et la citoyenneté, dont La communauté de citoyens (2004), La relation à l’autre (1998), La démocratie providentielle (2002).

Après avoir fait partie de la Commission Marceau Long sur la réforme de la nationalité en 1987 et de la Commission 2000 du Commissariat Général du Plan (1988-1989), Dominique Schnapper a été Présidente de la Société Française de Sociologie de 1995 à 1999 puis a été membre du Conseil Constitutionnel pendant 9 ans de 2001 à 2010.

Elle est l’auteur d’un livre intitulé « La condition juive en France » écrit en collaboration avec Chantal Bordes-Benayoun et Freddy Raphaël.

Pourquoi ce débat aujourd’hui portant sur le thème « Identité citoyenne et intégration : est-ce qu’on peut parler d’un modèle juif ? » ? Ce débat a été ouvert par le ministre Eric Besson. Ce débat concerne régulièrement des minorités visibles et non visibles.

Plusieurs institutions travaillent sur la question de l’intégration et de l’identité : le Haut Conseil de l’Intégration et la Halde, le Commissariat à la diversité, et enfin l’Institut du citoyen visible. Il existe à l’heure actuelle trois institutions représentatives des communautés juives, musulmanes et noires, avec respectivement le CRIF, le Conseil Français du Culte Musulman et le Conseil Représentatif des Associations Noires qui a pour conseiller scientifique Michel Wievorka.

Peut-on parler de modèle juif de l’intégration ?

Pour Monsieur Henri Guaino : « le judaïsme fait partie de notre identité ».

Dans intégration, il y a une approche à la fois scientifique et sociologique.

Va-t-on vers un modèle anglo-saxon, c’est-à-dire multiculturel ? En France, on parle d’intégration, aux Etats-Unis, on parle d’assimilation.

INTERVENTION DE DOMINIQUE SCHNAPPER

Le livre « La condition juive en France » écrit par Dominique SCHNAPPER en collaboration avec Chantal Bordes- Benayoun et Freddy Raphaël a une double ambition.

Il s’agit d’une part, d’étudier la condition juive, par l’intermédiaire des sciences sociales et d’apporter ainsi une connaissance objective des juifs de France. D’autre part, ce livre a pour but de savoir comment s’expriment l’identité collective et la tradition républicaine. Dans ce cas, l’exemple juif est très présent.

Le Conseil Français du Culte Musulman et le Conseil Représentatif des Associations Noires ont été créés en s’inspirant du CRIF.

Jusqu’en 1940, il y avait un franco-judaïsme, une réinterprétation du judaïsme dans le cadre de la république, que ce soit sur le modèle religieux ou culturel.

Le modèle du franco-judaïsme était celui où les juifs s’appelaient israélites. Les juifs européens ont bâti un modèle européen. Ils s’exprimaient dans des associations essentiellement philanthropiques, culturelles ou religieuses. Il y a eu des grandes figures du judaïsme dans le monde politique comme Léon Blum ou George Mandel qui agissaient en citoyens français et non en représentants des juifs.

La déclaration des droits de l’homme permettait de passer de l’identité juive à l’identité française.

En 1940, une rupture s’est produite avec le statut des juifs et la politique du gouvernement de Vichy. Le CRIF est né de cette période dramatique. La République avait trahi. Le travail des associations juives a paru insuffisant. Dans ce contexte, il a été nécessaire de donner une forme d’expression politique, en l’occurrence par l’intermédiaire du CRIF.

La modernité politique s’est affirmée par rapport au religieux. C’est le principe de l’Etat démocratique qui sépare le politique et le religieux. Les protestants et les juifs ont été les partisans de la laïcité. Les juifs ont été inclus dans le modèle français.

L’existence du CRIF correspond à une expression politique. Il y a une tension sous-jacente à son action et un problème de représentation. Lorsqu’on dit que le CRIF représente la communauté juive, cela peut prêter à confusion. En réalité le CRIF représente les organisations juives ou la Communauté Juive organisée.

Dans l’enquête réalisée dans le livre « La condition juive en France », Dominique SCHNAPPER précise que beaucoup des personnes interrogées ne se reconnaissent pas dans les organisations juives. Il y a donc un problème de représentation et de légitimité au sein de la communauté juive.

Le CRIF s’est longtemps organisé autour des combats universalistes notamment comme le combat contre l’antisémitisme et a toujours manifesté une solidarité avec l’Etat d’Israël.

A partir de 1981 , un organisme, le « Renouveau Juif », a mené campagne au nom du « vote juif ».
Peu de temps après, Monsieur Théo KLEIN a créé les diners du CRIF qui ont donné une existence visible à l’institution. Par la suite, la solidarité avec l’Etat d’Israël et la défense de son existence, s’est parfois transformée en une solidarité avec le gouvernement israélien.

Pour Dominique SCHNAPPER, il y aurait dans la population française à la fois un attrait vis-à-vis du modèle juif et en même temps des sentiments ambigus envers les institutions juives.

Pour Dominique SCHNAPPER, il faut un « accommodement raisonnable » avec les valeurs de la République.

Il y a un antisémitisme dans les banlieues et il faudrait apprendre à tous la « républicanisation » des organisations identitaires. Le CFCM a néanmoins donné un écho aux organisations fondamentalistes. Les musulmans républicains sont encore trop peu nombreux. L’erreur du Conseil Français du Culte Musulman a été d’avoir « cumulé » un Consistoire et un CRIF.

Il y a une population musulmane évaluée à 5 à 6 Millions. Selon les enquêtes, il existe des phénomènes minoritaires (tels que le port de la burqa ou comme celui des jeunes désocialisés) mais qui ont une signification. Dominique SCHNAPPER ne croit pas à une « islamisation » de la France mais constate l’expression de phénomènes minoritaires d’identités particulières, qui risquent de fragiliser le lien républicain.

En ce qui concerne la représentativité du CRIF, Dominique Schnapper considère la question comme générale et non spécifique au cas juif dans la mesure où la représentativité ne doit pas empiéter sur la citoyenneté.

Photo : D.R.