La complexité des rapports entre la Pologne et les Juifs d’une part, les Polonais et les Juifs à travers mille ans d’histoire commune mal assumée, mal partagée, était au centre de savantes communications présentées par un panel de jeunes historiens, en majorité polonais
Une vingtaine d’intervenants ont brossé l’histoire des Juifs de Pologne depuis leur établissement au XIe siècle à aujourd’hui, les points majeurs étant la période de l’occupation allemande avec l’ombre d’Auschwitz, le retour des survivants, l’antisémitisme d’Etat durant le régime communiste.
Ainsi Bozena Szaynok a rappelé le pogrome de Kielce le 4 juillet 1946, quand 42 Juifs, hommes femmes, enfants, ont été massacrés par la population polonaise. Marcin Zaremba a évoqué les différentes peurs de l’après guerre : politique et économique, le chômage, la famine. Il a souligné « le facteur lié aux craintes du retour des Juifs ayant survécu à la Shoah, des propriétaires d’appartements, de maisons, d’ateliers de travail. Il a stigmatisé la propagande datant des années 20 à travers des brochures ultra-catholiques parlant de « complot judéo-communiste-maçonnique », dont les effets ont perduré des décennies. Il a parlé des rumeurs et accusations portées contre les Juifs, accusés de meurtres rituels, et a salué le travail de l’historien Jan Tomasz Gross, auteur de « La Peur » et de « Jedwabne ».
Piotr Oseka a consacré son intervention à « la campagne antisémite 1967-1968 », synonyme d’exil forcé pour beaucoup des derniers Juifs de Pologne. Le régime en place, dirigé par Wladislaw Gomulka, a pris le prétexte de la Guerre de Six Jours, victorieuse pour l’Etat d’Israël (ndla : La Pologne avait voté en faveur de la création de l’Etat d’Israël) pour condamner l’agression sioniste et déclencher une véritable purge au sein de l’appareil de l’Etat, de l’armée et du parti, où les Juifs étaient présents.
« Les milieux juifs adoptent presque unanimement une attitude pro-israélienne » disait le rapport. La chasse a démarré et une « liste des sionistes » fut constituée à cet effet. En conséquence, près de 12 000 juifs polonais ont du quitter leur patrie ; parmi eux, des chercheurs, enseignants, hauts fonctionnaires, journalistes, musiciens, acteurs.
Jean-Charles Szurek (« Juifs et Polonais » sous le direction de J.-Ch. Szurek et Annette Wieviorka) a abordé la question des Juifs, dans la partie de la Pologne occupée en septembre par l’Armée Rouge, accusés à tort de trahison. Elzbieta Ficowska, a parlé de son travail de mémoire auprès de jeunes élèves et de l’action de « La République Ouverte » et du groupe « Le Préau » qui porte son attention sur la culture juive et sur la lutte contre l’antisémitisme. Il fut aussi question de la Fondation Batory et de son « Programme pour la Tolérance », qui cherche à « exclure de la conscience collective des convictions ou attitudes antisémites ».
Corinne Evens a fait part de l’avancée significative du projet en chantier du Musée d’Histoire des Juifs polonais à Varsovie (dont la première pierre fut posée par les présidents Lech Kaczynski et Shimon Peres). Konstanty Gebert, intellectuel juif polonais, revenu à la pratique religieuse, a évoqué « Les identités juives en Pologne après 1989 », c'est-à-dire après la chute du communisme et la naissance de la Pologne démocratique d’aujourd’hui où vivent plusieurs milliers de Juifs dont certains ont pris conscience que tardivement de leur identité. Il a noté un glissement vers le religieux.
Il faut également évoquer, ne pouvant citer tout le monde, les interventions du Pr Wladyslaw Bartoszewski, figure historique, de Bernard Guetta, Pierre Birnbaum, Henri Minczeles, Ephraïm Teitelbaum, Céline Gervais-Francelle et de Piotr Cywinski, directeur du musée d’Auschwitz-Birkenau.
La conclusion du colloque a été faite par le président du CRIF, Richard Prasquier qui, en félicitant tous les participants, a évoqué l’implication de l’AMOP (Association des Médecins originaires de Pologne) dans la préparation de cet important colloque. Des membres du CRIF y étaient présents : Manek Waintraub Serge Klugmann, et Claude Hampel.
Ces échanges démontrent que seul le langage de vérité est de nature de tracer des perspectives d’une pleine réconciliation de mémoires juive et polonaise.
Photo (la bibliothèque polonaise de Paris) : D.R.