Des catholiques nourris de l’héritage de la Première alliance, au point d’en reprendre certains rites ? Le F. Moïse Ballard l’assume sans complexe. Depuis plus de quinze ans, ce religieux ne cesse d’explorer ce qu’il considère comme le « trésor du peuple juif », en célébrant, chaque vendredi soir, une « prière d’entrée en shabbat » avec les siens. Cette coutume, librement inspirée de la tradition synagogale, est en effet désormais bien ancrée dans la vie des membres de la communauté des Béatitudes : « Nous nous sentons de plus en plus appelés à approfondir cette dimension, sur la base de notre foi chrétienne et de notre baptême. À travers le Christ, nous avons l’intuition que les croyants de toutes les nations partagent les promesses faites à Israël », résume le F. Moïse, qui aime à rappeler, tout catholique qu’il est, que rien ne permet de dire que le dimanche a « remplacé » le samedi dans l’Église. Selon lui, la semaine chrétienne serait même « incomplète », si l’on saute du vendredi au dimanche « en enjambant un jour vide de sens ».
« La continuité de l’œuvre de Dieu »
Comme l’explique un document de la commission Judaïsme des Béatitudes, « on peut ainsi vivre le vendredi comme rappel de la Passion, et le samedi comme rappel du repos du Christ dans la mort ; le vendredi et le samedi sont alors comme une sorte de développement du sens du dimanche, au service d’un meilleur vécu du Mystère pascal le dimanche ». « Pour nous, célébrer le shabbat, c’est donc retourner à nos racines, à notre culture », indique le P. François-Xavier Wallays, modérateur général de la communauté des Béatitudes (1). De fait, complète Sylvaine Lacout, laïque consacrée aux Béatitudes et spécialiste du shabbat (2), « un chrétien qui ne puise pas dans ses origines juives est comme un arbre qui a peu de racines ». « De nombreux passages du Nouveau testament ne peuvent être compris qu’à la lumière de l’Ancien testament et des traditions juives. Approfondir ces aspects permet de réaliser que le christianisme s’inscrit dans la continuité de l’œuvre de Dieu », fait-elle valoir.
Doxologie et chant à Marie nourrissent ce rituel de shabbat
Ce « shabbat chrétien » traduit aussi, chez ceux qui le pratiquent, un désir de s’associer à la prière de leurs « frères aînés dans la foi », comme les appelait Jean-Paul II. « Cela manifeste que l’élection du peuple juif n’est pas révoquée par la Nouvelle alliance, et qu’il continue à jouer un rôle privilégié dans le plan de Dieu », détaille Sylvaine Lacout, qui voit là un moyen de « scruter le mystère de l’Église », dans lequel Israël reste «un vis-à-vis nécessaire » pour les catholiques. « Nous avons la conviction que le Seigneur continue à bénir le peuple d’Israël d’une façon particulière », dit autrement le F. Moïse. Cette démarche se veut donc connectée à une « double source», pour reprendre les mots du P. Wallays : une tradition certes typiquement juive, mais largement irriguée par la spiritualité chrétienne dans la manière dont elle est vécue au sein de la communauté des Béatitudes : prière du Notre Père, doxologie et chant à Marie nourrissent ce rituel de shabbat.
« Le samedi soir nous pratiquons des danses d’Israël »
Citant le récit de la Genèse, Sylvaine Lacout souligne qu’il s’agit au fond d’une occasion de mettre en valeur la place de l’homme par rapport à l’ensemble de la Création, d’interroger son rapport à Dieu et aux autres… C’est aussi, plus largement, une façon concrète de renforcer le dialogue judéo-chrétien, en enracinant la foi chrétienne dans la foi juive. Car cette démarche, propre à la communauté, ne se limite pas à l’entrée en shabbat du vendredi soir : « Nous avons une sensibilité particulière pour tout ce qui peut rappeler nos racines juives, et pas que sur le plan théologique ! Les danses d’Israël, que nous pratiquons le samedi soir pour marquer la joie de la Résurrection, sont aussi un moyen d’approfondir cette culture en impliquant le corps », illustre Frère Moïse : « Il y a trente ans, cela paraissait audacieux, on nous regardait avec étonnement. Aujourd’hui, c’est mieux compris. On sent que le Concile a porté ses fruits. »
François-Xavier Maigre (article publié dans la Croix, le 9 avril 2010)
(1) Les Sens du shabbat, actes du colloque éponyme, Éd. des Béatitudes , 2006, 188 p.
(2) Le Shabbat biblique, temps pour Dieu, repos de l’homme, respect de la Création, Éd. des Béatitudes , 2009, 190 p.
Photo : D.R.