Roger Cukierman, président d'honneur du CRIF, a participé à cette conférence. Pour la newsletter du CRIF, il en retrace les grandes lignes.
L’environnement
Sur l'environnement, Bjorn Lomborg, jeune et brillant professeur danois qui se définit comme un "environnementaliste sceptique", a déclaré : "Al Gore se trompe. La chaleur tue certes mais le froid actuel tue encore plus." Selon lui, la hausse du niveau de la mer ne sera pas de six mètres mais de seulement trente centimètres. Et pour préserver la vie des ours polaires il suffit de ne plus les chasser.
Lomborg considère aussi qu'on peut mieux utiliser l'argent pour le bien de l’humanité. Ainsi, lutter contre la malaria qui touche un milliard de personnes dans le monde par an ne coûte que 13 milliards de dollars, de même que s'attaquer à la malnutrition sur l'ensemble de la planète en distribuant des vitamines ne reviendrait pas plus que 12 milliards de dollars. Il faudrait aussi imposer que les pays du tiers monde aient un véritable accès au libre échange et développer la prévention contre le Sida.
A côté de ces questions planétaires, la conférence s'est focalisée sur les grands problèmes actuels sur un plan israélien. Nous les détaillons ci-après
Les négociations avec les Palestiniens
Les points de vues exprimés sur la manière de résoudre la crise avec les Palestiniens ont sérieusement divergé. Ainsi, Moshé Yaalon l'ancien chef d’état major (de 2002 à2005) ne croit pas à l'aboutissement des négociations avec les Palestiniens. Il faut préalablement que les Palestiniens accèdent à un régime politique normal avec une seule autorité, un seul pouvoir, une seule justice, et l’acceptation de l’existence d’un état juif. On en est loin.
Sir Ronald Cohen, ancien patron d’Apax, soutient que c’est en aidant l’économie palestinienne qu’on pourra changer les mentalités et il cite l’Irlande comme exemple de réussite d’abord économique puis politique. Et il investit chez les Palestiniens par son Portland Trust.
Bibi Natanyahou, ancien Premier ministre et chef de l'opposition estime qu'il n'y a rien à espérer, dans la situation actuelle, d’un Mahmoud Abbas faible, face au Hamas, tenant d'un fondamentalisme islamique sous la houlette de l’Iran qui sur un autre front dirige le Hezbollah. Il faut préparer l’avenir en renforçant les Arabes modérés et en améliorer leur situation économique.
Tsipi Livni garde l’espoir de voir aboutir le dialogue avec l’Autorité palestinienne mais à condition que le monde arabe modéré se mobilise aussi en faveur de paix, aux côtés de l’Occident.
Olmert très critiqué, et poussé à la démission, réécrit un bilan positif de la guerre du Liban et se montre ferme dans son intention de rester au pouvoir [NDLR : entre-temps, la Commission Winograd a minimisé les responsabilités du Premier ministre dans l'échec de la guerre du Liban].
La situation militaire
Le Général Ido Nechushtan, chef du département du développement et de la direction politique de Tsahal souligne les changements survenus dans la région. Il existe désormais un chef d’orchestre, l’Iran, avec des armes, les missiles, et un acteur nouveau le civil israélien désormais exposé comme les civils irakiens. Les adversaires ne sont plus des Etats, mais des organisations équipées de ces missiles. Le travail du renseignement est difficile pour prévenir les actes terroristes par le moyen d'alerte préventive.
Par ailleurs, il est à signaler que 28 % des garçons et 44 % des filles d'une classe d'âge en Israël n'effectuent pas leur service militaire.
Le seuil de pauvreté
Stanley Fisher, gouverneur de la Banque d'Israël signale qu’en Israël le seuil de pauvreté est déterminé par le niveau moyen de l’ensemble des revenus des citoyens et non par un chiffre déterminé. Donc quand les revenus des sociétés de la nouvelle économie et du high tech augmentent, le niveau au-dessous duquel on est considéré comme pauvre augmente d'autant, ce qui est paradoxal.
Il n'en demeure pas moins vrai que cette donnée détermine l'écart social. Ainsi, 60 % de la population juive ultra-orthodoxe (appelés les "Haredim" – piétistes en hébreu) et de la population arabe sont au dessous du seuil de pauvreté ce qui s’explique par le faible taux d’emploi dans ces populations.
Les analyses du Dr Yossi Hollander, président du Centre israélien pour la planification économique, ont rejoint celles du président Shimon Peres sur la nécessité de faire entrer les Haredim dans le monde du travail.
Israël pourrait s'inspirer du modèle de l’Irlande, petit pays de moins de 10 millions d’habitants, qui a doublé son revenu par tête en 15 ans. La clé c’est la croissance de la population active. Pour qu’Israël arrive au même objectif, il faut aider les populations juives orthodoxes et arabes à entrer dans le monde du travail. Shimon Peres préconise que les haredim travaillent et fassent l’armée. L'outil technologique et notamment la micro-informatique pourrait être un élément déterminant dans le travail à domicile des femmes issues de ces populations.
Jafar Farah, citoyen israélien, de la communauté arabe demande que les Arabes israéliens cessent d’être des citoyens de seconde zone avec un revenu par tête de 8.000 dollars contre 24.000 dollars pour l’ensemble de la population, et n’assurent que 8 % de produit national alors qu’ils sont 20 % de la population.
La Cour Suprême d’Israël
L’image de la Cour Suprême s’est dégradée auprès d'une partie de l'opinion qui estime que ses juges, en traitant des sujets qui relèvent de l’action du gouvernement israélien, se substituent à lui. Des milliers de pétitions sont soumises à la Cour contre 100 par an aux USA. Elle est trop impliquée dans le domaine politique dit Tom Lapid, président du Conseil de Yad Vashem et ancien ministre du gouvernement Sharon : c’est elle qui dit s’il faut mettre des toits de protection sur les maisons à Sdérot. Mais l’ancien juge suprême Aharon Barak proteste contre les projets de réforme qui empêcheraient la Cour de défendre l’individu contre l’Etat.
Débat sur l’éducation
Selon Benjamin Netanyahou, l’Australie et la France ont sensiblement augmenté leur budget consacré à l’éducation sans qu’il y ait le moindre effet positif sur l’efficacité du système éducatif. En revanche la Finlande, la Corée du Sud, l’Espagne et Singapour ont réussi à augmenter le niveau des études par une sélection accrue, la promotion des meilleurs, la mise à l’écart des moins bons, et la mise en oeuvre de la discipline, a estimé le chef de l'opposition israélienne.
Réfugiés juifs
Irwin Cotler, ancien ministre canadien de la Justice regrette l’absence de toute référence aux réfugiés juifs des pays arabes dans les résolutions de l’ONU.
Le dossier iranien
Les participants à la rencontre sont revenus sur le document du Conseil National du Renseignement américain intitulé "Nuclear Intelligence Estimate (NIE 2003)" qui a évalué que l'Iran avait cessé de développer l'arme nucléaire en 2003. L'évaluation est que la décision prêtée aux Iraniens de renoncer en 2003 à la bombe était le résultat de la victoire américaine apparente en trois semaines en Irak. Ils ont eu peur de la menace militaire américaine. Khadafi avait eu la même réaction mais est resté sur cette position, alors que les Iraniens ont repris le développement.
2008 est une année décisive, parce que si cette année, on ne met pas un coup d'arrêt au développement de l'arme nucléaire iranienne, les Iraniens en disposeront en 2010. Et si l’Iran a la bombe, c'en est fini du Traité de non prolifération.
John Robert Bolton, ancien ambassadeur américain aux Nations Unies estime que "NIE 2003" a saboté la politique du président Bush. Elle a annihilé la dissuasion militaire et la possibilité de sanctions accrues
Le cas de la Corée du Nord est à ce titre édifiant. C’est la troisième fois que ce pays annonce qu'il renonce à la bombe, en échange d'avantages économiques. Et immédiatement après elle relance le développement, à l'instar de la coopération avec la Syrie. Il est essentiel que les Israéliens lèvent la censure et révèlent ce qu’ils ont détruit en Syrie en septembre 2007. Tous les gouvernements concernés sont au courant. Le public doit savoir si les Nord Coréens respectent ou non les règles du jeu. Cela concernerait aussi la vente d'armes biologiques et de narcotiques.
Jon Alterman du Centre d'Etudes Stratégiques et Internationales SIS et John Bolton s'accordent sur le fait qu'il n'y aura pas d’action militaire des Etats-Unis contre l'Iran car les inconvénients politiques sont supérieurs aux avantages.
Pour François Heisbourg, expert de la question du nucléaire israélien, la publication du NIE 2003 pousse Israël à agir seul. Si l’Iran a l’arme nucléaire, tous les Etats à majorité sunnites s'estimeront menacés par l'Iran et voudront, à leur tour disposer de l'arme atomique. Il en va de même pour la Turquie. D'où encore une fois l'importance de connaître précisément ce que les Israéliens ont bombardé en Syrie.
La sécularisation
L'écrivain israélien Amos Oz a rappelé que le mot "religion" n’existe pas en hébreu. Le judaïsme ne connaît ni pape, ni hiérarchie religieuse, ni clergé. Tout le monde enseigne, étudie, argumente en même temps. Le Pr. Yehuda Bauer, historien de la Shoah, ajoute à ce débat sa propre touche d'humour : Je suis le fils et le petit fils d’athées juifs. Dans ce sens je suis un juif traditionaliste."