EFI a été crée en 2006 à l’initiative de députés européens et de parlementaires nationaux siégeant dans l’ensemble des vingt sept pays membres de l’Union européenne. Son objectif est de renforcer la compréhension mutuelle et les relations entre l’Europe et Israël dans un esprit de dialogue et d’ouverture.
Sous la bannière d’une « Europe unie dans la lutte contre le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme », plus de deux cent cinquante participants, dont une centaine de parlementaires et d’eurodéputés représentants trente-trois pays, ont participé à ce voyage de la mémoire dédié aux millions de victimes de la barbarie nazie.
Venus des quatre coins de l’Europe et d’Israël se recueillir sur les décombres de l’un des plus grands crimes de toute l’histoire de l’humanité, les parlementaires entendaient manifester leur fidélité au devoir de mémoire à l’heure où les témoins disparaissent peu à peu et où les discours de haine et de négation du génocide juif se propagent jusqu’au sommet de certains Etats.
Placé sous la houlette du Président d’EFI, l’eurodéputé suédois Gunnar Hökmark et du Président du CRIF, Richard Prasquier, ce voyage a débuté dans la matinée du 26 janvier par la visite de la vielle ville de Cracovie et de son ancien quartier juif de Kazimierz. Cette visite émouvante a permis aux participants de capter les échos encore perceptibles d’une vie juive désormais disparue. En effet, Cracovie abrita, peu avant la seconde guerre mondiale, l’une des plus importantes communautés juives d’Europe et fut l’un des hauts lieux de la culture juive.
Cette visite sur les traces de la mémoire a alimenté la réflexion collective des parlementaires et des officiels de la Commission européenne, qui furent les maitres d’œuvre d’un symposium consacré, dans le courant de l’après-midi, au « monde post-Shoah » et « aux nouvelles formes de racisme et d’antisémitisme ».
Parmi ses principaux intervenants, l’on comptait de nombreux Présidents et Vice-présidents de parlements nationaux, dont Petra Pau (Allemagne), Jorge Fernandez Diaz (Espagne), Alexander Torshin (Russie), Per Westerberg (Suède), Rodoula Zissi (Grèce), Lászlo Mandur (Hongrie), Tsetska Tsacheva (Bulgarie), Yuli Tamir (Israël)…
De nombreux députés ont également animé les discussions, tels l’ancien ministre des Affaires étrangère Yasar Yakis (Turquie) ou encore Jose Ribeiro e Castro, actuel Président de la commission des affaires étrangères (Portugal), ainsi que des officiels, tel Laurent Muschel, chef de cabinet adjoint du Vice-président de la commission européenne Jacques Barrot.
La délégation française ne fut pas en reste. Le sénateur Simon Sutour (PS), actuel Vice-président de la commission des affaires européennes du Sénat a pris la parole lors d’un discours sans faux semblants. Le Sénateur du Gard a rappelé que « l’assassinat de plus de 6 millions de Juifs a été l’aboutissement de la négation des valeurs fondatrices de l’humanisme occidental » et qu’il était impératif de « … rappeler à l’Humanité l’impérieuse nécessité de rester vigilante et intransigeante face à la résurgence de l’antisémitisme et de toutes les formes de racisme ». Tout en tenant à préciser que « l’ami de l’Etat d’Israël qu’il est n’est pas toujours en accord avec la politique de son gouvernement », il a également dénoncé «… le retournement contre les Juifs de l’accusation de racisme et la nazification du sionisme et de l’Etat d’Israël » qui constitue selon lui « …l’un des thèmes majeurs de la nouvelle haine anti-juive ».
C’est dans un froid sibérien (les températures avoisinaient les -20C°), éclairé par un soleil glacé à la couleur laiteuse, que les délégations de parlementaires ont franchi, dans la matinée du mardi 27 janvier, le tristement célèbre portique qui porte l’inscription « arbeit macht frei » (« le travail rend libre »).
Les délégations ont parcouru le camp de concentration d’Auschwitz I entouré de ses fils barbelés et de ses sinistres blocks de briques rouges dans lesquels furent internés, asservis et assassinés, prisonniers de guerre, opposants politiques et les « éléments asociaux », vocable nazi désignant au premier chef les Juifs, les Tziganes, les prostituées, les homosexuels et les handicapés.
Cette visite a été ponctué par le dépôt, devant le Mur des fusillés, de gerbes symbolisant l’ensemble des délégations nationales. Une minute de silence a été observée pendant que d’irréels flocons de neige se mirent à tomber. Chacun a alors pu mesurer comment les agressions du froid, de la faim et la brutalité sadique des bourreaux ont pu réduire leurs victimes à l’animalité en les obligeant à déployer un effort désespéré et continuel pour survivre d’une minute à l’autre.
A ce moment de recueillement devant ce cimetière à ciel ouvert a succédé la ferveur d’une prière prononcée dans l’enceinte du musée d’Auschwitz. L’émotion s’est emparée de l’ensemble de l’assistance lorsqu’un jeune rabbin a brisé le silence en entonnant, d’une voix tremblante et déchirée, le Kaddish en mémoire des 6 millions de martyrs juifs. Les mélodies juives traditionnelles ont accompagné cette prière au son d’un violon dont le cri sans voix donnait à entendre celui, indicible, des suppliciés assassinés pour le simple crime d’être nés.
Le point d’orgue de ce parcours fut la visite du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz II (Birkenau). Situé à 3 km d'Auschwitz I, à l'emplacement du village de Brzezinka (Birkenau en allemand), ce camp fut le lieu de la mise en œuvre de « la solution finale de la question juive », c’est-à-dire de la mise à mort systématique et à l'échelle industrielle de plus d’un 1,1 million d’hommes, de femmes et d’enfants, juifs dans leur immense majorité. C’est l’effroi et l’épouvante qui ont saisi les délégations de parlementaires venues se recueillir devant les ruines des chambres à gaz, détruites par les nazis afin d’effacer les traces de leur crime, privant ainsi leurs victimes de sépulture.
Les parlementaires ont achevé leur visite par la « rampe des Juifs » (Judenrampe), la voie ferrée dont les rails parvenaient jusqu’à l’entrée du camp de la mort. Les Juifs y subissaient la « sélection » à leur arrivée au terme d’un voyage exténuant passé dans l’obscurité suffocante des wagons à bestiaux où nombre d’entre eux moururent de soif, de faim, de maladie ou encore d’asphyxie.
Cette « sélection » arbitraire scellait le destin tragique des victimes. Elle condamnait d'un côté les faibles, les personnes âgées, les malades, les femmes enceintes, les enfants, les handicapés, à une mort immédiate dans les chambres à gaz ou dans les fours crématoires dans lesquels les suppliciés furent brûlés vivants. De l'autre, elle destinait les adultes les plus valides (en théorie à partir de 15 ans) à une mort lente mais certaine, par un travail forcé harassant et absurde.
Ce voyage de la mémoire fut une protestation silencieuse contre l’oubli. Il a permis aux leaders européens de mesurer combien il était difficile, voire impossible, de concevoir rationnellement l’anéantissement programmé de tout un peuple. Il leur a également donné l’occasion de réfléchir aux nouvelles formes de haines racistes et antisémites. Plus que jamais, ils se sont engagés à combattre ces fléaux en leur opposant la promotion du dialogue, de la tolérance, du débat d’idées et la connaissance de l’Histoire. Ils entendaient également réaffirmer leur amitié pour l’Etat d’Israël dont la vocation fut de redonner aux Juifs, parmi lesquels un grand nombre de rescapés de la Shoah, dignité et respectabilité en leur conférant un toit politique et une place parmi les nations.
Seuls les mots d’un poète juif qui a traversé l’enfer des camps de la mort peuvent conclure ce voyage de la mémoire:
Je sais la mort de toutes les morts
Comme je sais le vol de l’oiseau à l’aube ;
Je vois en chaque table
L’arbre sec de la potence.
Je sais la douleur de toutes les douleurs
La nuit qui descend sur nous avec sa lame rouge.
Dans le chant des synagogues brûlées résonne
Le chant de toutes nos morts.
Je sais la route de tous les abîmes
La marche aux psaumes de tous nos aïeux.
Sur les chemins d’errance je me planterai
Un mur- pour les générations futures – muet témoin.
Témoin d’un peuple à jamais tranché
Témoin d’une flamme à jamais éteinte
O donne-moi de nouveau une mort paisible
Dans le silence d’une terre paisible et verte.
Isaïe Spiegel, Ghetto de Lodz, 1943.
Photo : D.R.